ROME, Vendredi 7 décembre 2007 (ZENIT.org) – On se souvient que pour le Chemin de Croix du Vendredi Saint 2001, Jean-Paul II avait choisi les méditations de John Henry Newman (1801-1890). Le 9 octobre 2005 a correspondu au cent soixantième anniversaire de la conversion de Newman. Aujourd’hui, l’éditeur de Newman (éditions Ad Solem) évoque l’actualité du cardinal anglais dont la « rencontre » a été décisive pour son adhésion au catholicisme, il y a vingt ans. Voici le troisième volet de cet entretien (cf. Zenit des 5 et 6 décembre 2007 pour les premiers). Newman est un grand « connu méconnu », explique Grégory Solari qui souligne l’affinité entre Newman et Benoît XVI.
Zenit – Enfin, même s’il n’est pas proclamé bienheureux, qu’est-ce qui a fait la sainteté de sa vie ?
G. Salori – Sur sa pierre tombale, Newman a fait graver cette épitaphe : « ex umbris et imaginibus ad veritatem » : « hors des ombres et des images dans la vérité ». Je crois que sa vie et sa personnalité sont tout entier résumés dans cette phrase. Ex umbris : sortir, s’arracher, ne pas s’attacher à un lieu, à une habitude – à nous-mêmes surtout. C’est ce désir d’être docile à la volonté de Dieu qui a conduit Newman à tout abandonner, charges, honneur, réputation, amitiés, pour être fidèle à sa conscience.
A cette disponibilité intérieure s’ajoutait le sentiment très vif que ce monde, le monde visible, n’est pas tout ; mieux, il n’est que l’ombre de celui auquel nous sommes appelés. Comme Abraham, le chrétien est un pèlerin, et sa vie un chemin vers la terre que Dieu lui découvrira, au dernier jour. La prédication de Newman est une grande variation sur ce thème de l’exil, de la caducité des choses, du passage du temps.
Et imaginibus : sortir des images trompeuses, prendre conscience, « réaliser » l’objet de la foi, le faire nôtre intimement par l’intelligence et le cœur, c’était cela pour Newman « sortir des images ». Il ne s’agissait pas pour lui de dépasser le dogme, mais au contraire de laisser l’énoncé doctrinal qui donne forme à l’objet de foi nous imprégner toujours plus. « Le dogme donne un objet visible à l’adorateur », a-t-il écrit dans la Grammaire de l’assentiment. La doctrine chrétienne est pour lui le corollaire du mystère de l’incarnation, elle dessine avec toujours plus de précision le Christ, le visage du Christ, en le préservant des défigurations de l’hérésie.
Ad veritatem : vers la vérité. Malgré le temps qui nous sépare de l’incarnation (ou de la parousie), comme des fenêtres, ou des icônes, les dogmes doivent garder en nous le sens, l’évidence de la présence du Christ qui était celle des premiers chrétiens, et dont Newman avait la nostalgie. « Les premières générations de l’Eglise n’avaient besoin d’aucune déclaration explicite touchant la Personne sacrée de notre Seigneur. La vue et l’ouïe remplaçaient la multitude des mots ; la foi rendait superflu les longs credos. Le silence régnait. Mais lorsque la lumière de son avènement fut éteinte et l’amour refroidi, alors se firent jour les objections et les discussions, et il fallut répondre. Les erreurs durent être expliquées, les doutes aplanis, les questions satisfaites, les innovateurs réduits au silence. Les chrétiens furent obligés de parler contre leur gré, de crainte que les hérétiques ne parlent en leur lieu. » Ces lignes d’un de ses sermons paroissiaux s’appliquent aussi bien à Newman.
« Je ne suis pas un saint, disait-il à qui voulait bien l’entendre ; un saint n’aime pas la littérature, la musique, les auteurs anciens comme moi ». Et pourtant, tous ceux qui l’ont approché ont fait l’expérience de cette présence du Christ en lui. Comme cet étudiant d’Oxford, sans doute un peu dissipé, que Newman avait convoqué dans son bureau. A sa sortie, stupéfaits par son silence presque religieux, ses camarades lui demandèrent, mi-curieux, mi-inquiets : « Alors, quoi, qu’est-ce qu’il t’a dit ? » – « Rien. Il m’a simplement regardé ». Je ne sais pas s’il sera enfin un jour béatifié. Je l’espère. Mais comme cet étudiant, je peux dire que l’on ne ressort jamais le même du contact de Newman.
Zenit – Par quelle porte passer pour découvrir John Henry Newman ?
G. Salori – Le père Louis Bouyer, un grand spécialiste de Newman, disait que le public francophone ne pouvait « prendre du Newman » qu’à petites doses, faites d’extraits de textes, d’anthologies. Je crois que pour une première approche, c’est en effet ce qu’il faut faire. L’œuvre de Newman est gigantesque (26 volumes de correspondance, 15 volumes de sermons, anglicans et catholiques, des dizaines d’essais, sans compter les romans, la poésie…) : tout, et de loin, n’est pas traduit en français, mais face à cette profusion, que choisir ? J’inviterai les lecteurs qui veulent le découvrir à recourir à deux anthologies.
La première Pour connaître Newman (Ad Solem, 2001) est due au père Charles Stephen Dessain, un oratorien anglais, qui connaissait admirablement bien l’œuvre de Newman. Il a composé une anthologie thématique de textes de Newman, qui donne une excellente idée de l’homme et de sa pensée. La seconde est du cardinal Jean Honoré, qui a fait paraître récemment aux éditions du Cerf Les aphorismes de Newman, une série de phrases extraites de différentes parties de son œuvre, et qui sont commentées avec la sûreté coutumière du cardinal Honoré. Après cette première exploration, je conseillerai de lire son autobiographie, l’Apologia pro vita sua, où Newman décrit son itinéraire vers l’Eglise, en s’aidant éventuellement d’une bonne biographie, par exemple celle que le père Keith Beaumont a publiée récemment dans la collection « Une petite vie de saint » chez DDB.
Mais il faudra bien un jour se jeter à l’eau ! Là, il y a notre collection des « Ecrits newmaniens », dont deux nouveaux volumes viennent de paraître (L’Idée d’université et l’Essai sur le développement de la doctrine chrétienne) ; d’autres traductions viendront en 2008, notamment son essai sur la Mission de saint Benoît, et celui sur saint Philippe Néri et l’Oratoire. Et aux éditions du Cerf, il y a maintenant l’intégralité des Sermons paroissiaux (8 volumes). De quoi faire connaissance.
Zenit – Pensez-vous qu’il y ait une certaine affinité entre Newman et Benoît XVI ?
G. Solari – L’arrivée de Benoît XVI rend Newman encore plus actuel. Il y a une parenté d’esprit entre les deux hommes. Tous les deux sont de grands universitaires, des hommes de haute culture, grands connaisseurs des Pères de l’Eglise, hommes du nord de l’Europe, mélomanes (Newman était un excellent violoniste, et était fasciné par Beethoven), enfin tous deux partagent l’amour des livres. Une anecdote: lorsque Newman a emménagé dans son bureau de Birmingham et a vu ses livres (c’étaient ses volumes des Pères de l’Eglise) arriver enfin, il a confié à un ami : « My huge fellows arrived, now I am at home » – « Mes grands amis sont arrivés, maintenant je suis chez moi ». J’ai lu qu’après son arrivée dans son appartement du Palais apostolique, Benoît XVI a déclaré à un journaliste: « Mes livres sont arrivés, je suis chez moi. Vous savez, mes livres sont des amis ».
Propos recueillis par Anita S. Bourdin