L’étonnante actualité de John Henry Newman (1801-1890) (I)

Entretien avec Grégory Solari

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ROME, Mercredi 5 décembre 2007 (ZENIT.org) – On se souvient que pour le Chemin de Croix du Vendredi Saint 2001, Jean-Paul II avait choisi les méditations de John Henry Newman (1801-1890). Le 9 octobre 2004 a correspondu au cent-cinquantième anniversaire de la conversion de Newman. « Newman, plus actuel que jamais, dans la lumière du mystère de l’Église », écrivait alors Grégory Solari dans la revue « Képhas ». Aujourd’hui, l’auteur-éditeur de Newman (éditions Ad Solem) évoque cette actualité du cardinal anglais.

Zenit – Qu’est-ce qui fait l’originalité de sa pensée ? Son actualité ?

G. Solari – Son originalité réside dans le lien très étroit que Newman établit entre la vie morale et la vie de l’intelligence. Pour voir la vérité, il faut avoir un cœur pur, ou tout au moins avoir ce désir de clarté intérieure qui est comme une ouverture par laquelle peut nous parvenir la lumière de Dieu. Le « lieu » de cette ouverture en nous, c’est pour Newman la conscience. Non pas la conscience au sens psychologique, ou réflexif, mais au sens de la raison, la raison dans sa plénitude, sans limitation de sa capacité de connaître. Cette raison-conscience est comme un espace dans lequel « résonne » la Parole de Dieu. Newman l’appelle le « Vicaire originel, naturel, du Christ en nous » ; en usant du terme de « vicaire », il pense à la personne et au rôle du Pape, qui est le Vicaire du Christ sur la Terre, et il veut dire qu’entre les intimations de la conscience (distinction du bien et du mal, recherche de la vérité) et l’enseignement de l’Eglise, il n’y a pas d’opposition ; mieux, il y a une profonde convergence, une harmonie, qui fait que l’Evangile ne vient pas s’ajouter de l’extérieur à la quête de la vérité ou de l’origine des choses, comme une « donnée externe », mais l’accomplit de l’intérieur, en révélant à la raison sa profonde connaturalité avec la Raison divine. « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas » dit saint Jean-Baptiste aux émissaires du Temple venus l’interroger. Cette présence cachée au milieu de nous, « plus intime que nous le sommes à nous-même », c’est le Verbe, c’est le Christ. Mais pour le voir, il nous faut le miroir de la Révélation, il faut l’Eglise. C’est précisément ce que nous dit aujourd’hui Benoît XVI dans son enseignement sur la raison par rapport à la foi. D’une certaine manière, Newman a développé en l’anticipant la pensée du Saint-Père sur le rôle de la conscience, ou de la raison, par rapport à la connaissance de Dieu : « [la conscience], a écrit Joseph Ratzinger dans son livre Foi, vérité, tolérance, est l’organe donné en partage à tous les hommes, qui leur permet de se rendre transparents au Dieu unique ». Newman l’a montré non seulement par ses livres, mais par le chemin de sa propre vie.

Zenit – Un Anglais devenu catholique : qu’est-ce qui l’a attiré ? Peut-il aujourd’hui nous apprendre à aimer l’Eglise ?

G. Solari – Newman a entrevu l’Eglise catholique, lorsqu’il était adolescent, à travers la lecture d’un livre de Joseph Milner consacré à l’histoire du christianisme primitif. Il a été fasciné par l’évocation des Pères de l’Eglise et par l’importance que les sacrements jouaient dans leur vie spirituelle. On peut dire que depuis cette découverte, Newman a essayé de conformer l’anglicanisme à l’Eglise des Pères – ce fut l’objectif principal du « Mouvement d’Oxford ». Ce n’est pas que les Pères fussent absents de l’enseignement de l’Eglise anglicane. Après la Bible, ils étaient considérés théoriquement comme des autorités en matière de doctrine. Mais les anglicans les lisaient à travers leur propre conception de l’Eglise, qui partageait la « Grande Eglise » originelle fondée par le Christ en trois branches : anglicane, romaine et orthodoxe, les anglicans revendiquant pour eux la fidélité à l’héritage patristique. Au début, Newman ne doutait pas que son Eglise fut celle-là même de saint Augustin, de saint Jean Chrysostome, de saint Grégoire de Nazianze. Progressivement son étude des Pères fit apparaître un décalage entre l’idée que l’Eglise anglicane se faisait du rôle des éléments catholiques présents dans sa tradition et celle que Newman voulait leur attribuer. A ce sujet, Chesterton a dit avec humour que « plus Newman voulait être anglican, plus il devenait catholique ». C’est bien vu. Il mit vingt ans à réaliser que la part du protestantisme pesait trop lourdement dans l’anglicanisme pour qu’il puisse légitimement revendiquer une origine apostolique ou patristique. C’est ce qui le conduisit à l’Eglise, en octobre 1845, au terme d’un chemin extraordinaire qu’il a décrit dans l’Apologia. L’un des aspects les plus impressionnants de l’itinéraire de Newman est sa volonté de ne pas lâcher un pouce au catholicisime avant d’avoir examiné les arguments en sa faveur. Malgré son amour des Pères, il ne voulait pas se laisser guider par ses sentiments. C’est pourquoi, durant la période qui le vit écrire son Essai sur le développement de la doctrine chrétienne, Newman s’interdit tout contact avec des catholiques. Au terme de l’Essai, il avait rejoint Rome. Mais à la veille de son entrée dans l’Eglise, alors qu’il attendait l’arrivée d’un missionnaire passioniste, Newman écrivait encore à sa sœur Jemima : « Je me tourne vers le désert. Je vais vers des gens que je ne connais pas. » Lui qui voulait que les idées du Mouvement d’Oxford convainquent non pas d’abord par des tracts ou des livres mais par l’exemple d’une vie habitée par le Christ – par contact -, n’a autorisé qu’une seule exception à sa règle : lui-même et son propre chemin vers le catholicisme! Cela donne quelque chose d’adamantin à son amour de l’Eglise. Un amour forgé dans la solitude, mais qu’il a su partager depuis: l’on ne compte pas le nombre de convertis au contact de Newman. Dans la positio déposée à Rome pour sa canonisation, deux grâces reviennent très souvent parmi les témoignages recueillis : fidélité renouvelée aux vœux du sacerdoce pour les prêtres, et pour les laïcs redécouverte de l’Eglise et des sacrements.

Zenit – Avec les avancées du dialogue œcuménique, doit-on encore parler aujourd’hui de « conversion » de Newman à l’Eglise catholique ?

G. Solari – Je vous répondrai en prenant l’exemple de sa vie sacerdotale. Newman était curé anglican lorsqu’il entra dans l’Eglise. Il ne remit nullement en question sa vocation sacerdotale dans l’anglicanisme, qu’il vivait dans le célibat et avec une grande exigence spirituelle. De ce point de vue, il n’y a pas de rupture, mais intensification : ce qu’il vivait en tant que pasteur anglican, il a continué à le vivre comme prêtre catholique, mais avec la réalité des sacrements en plus, en particulier celui de l’eucharistie, qui occupe une place centrale dans sa vie spirituelle. C’est de cette manière que Newman a compris sa conversion à l’Eglise catholique ; non pas comme un rejet de l’anglicanisme, mais comme un accomplissement. Le pape Paul VI a pu écrire que «pour aller jusqu’au bout de ce qu’il jugeait la Vérité, Newman a renoncé à l’Eglise d’Angleterre non pas pour se séparer d’elle, mais pour l’accomplir. Il ne cessait pas de croire ce qu’il avait cru, mais il le croyait davantage encore, il avait porté sa foi anglicane jusqu’à sa plénitude ». Toute conversion à l’Eglise catholique, en qui, enseigne le concile Vatican II, subsiste la plénitude de l’Eglise du Christ – toute conversion est un acte prophétique, et réalise déjà, à un moment de l’histoire, la réunion future de tous les chrétiens, dont la réalisation nous est encore cachée. Le caractère prophétique du parcours de Newman apparaît spécialement aujourd’hui où nous voyons une portion très importante de l’Eglise anglicane, opposée à l’ordination des
femmes au sacerdoce, demander sa réunion avec Rome. Cette réunion n’impliquera pas l’abandon des richesses spirituelles et liturgiques accumulées par l’Eglise d’Angleterre depuis cinq siècles. Benoît XVI l’a répété à plusieurs reprises, il y a place dans l’Eglise pour un sain pluralisme : unité ne veut pas dire uniformité. C’était également le souhait de Newman. « Les convertis doivent être préparés à l’Eglise ; mais l’inverse est vrai aussi : l’Eglise doit être prête à recevoir les convertis avec tout ce qu’ils apportent ». Lui n’a pas bénéficié d’une telle ouverture, mais je crois que l’on peut dire que la grande solitude qu’il éprouva dans l’Eglise, jusqu’à son cardinalat, a porté des fruits. Il est beau de penser qu’après tout ce temps, ce sont ses coreligionnaires anglicans qui aujourd’hui vont les récolter.

(à suivre)

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ZENIT Staff

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