Retour de Sarajevo, par Antoine Arjakovsky (I)

Le discours de la méthode d’Andrea Riccardi

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ROME, mardi 18 septembre 2012 (ZENIT.org) – De retour à Paris après la rencontre des Religions pour la paix de Sarajevo, Antoine Arjakovsky témoigne de ce que ce que les participants de la région et du monde ont vécu de façon poignante au cœur de la ville symbole d’une convivialité brisée par la guerre et d’une volonté de renaître dans la concorde. Un témoignage exceptionnel publié sur le blog des Bernardins et que nous publions avec l’aimable autorisation de l’auteur. L’intervention du cardinal Roger Etchegaray a été spécialement saluée par l’assemblée.

Antoine Arjakovsky est un historien orthodoxe, co-directeur du « Département de recherche Société, Liberté, Paix » du collège des Bernardins, à Paris, et dont les débuts ont été marqués par la visite de Benoît XVI en 2008.

Retour de Sarajevo

Du 9 au 11 septembre 2012 des centaines de leaders de toutes les religions, des hommes politiques et de culture des cinq continents, et des milliers de membres et sympathisants de la communauté Sant Egidio se sont donnés rendez-vous à Sarajevo, ville où a commencé et où s’est achevé le terrible XXe siècle. L’objectif de la rencontre organisée par Andrea Riccardi, fondateur de la communauté Sant Egidio et actuel ministre de la coopération et de l’intégration du gouvernement italien, était de guérir les blessures du passé dans les Balkans et de construire un nouvel art de vivre ensemble au XXIe siècle. Plus de 11 000 personnes ont péri lors du siège de Sarajevo entre 1992 et 1995. Mais depuis les accords de Dayton-Paris la Bosnie-Herzégovine, qui repose sur une fragile armature politique, n’a toujours pas fait le deuil de ses morts. Pour la première fois depuis le début du conflit l’ensemble des leaders religieux de la ville, ainsi que le patriarche serbe orthodoxe Irénée, grande première à Sarajevo depuis 1992, ont décidé de se rencontrer, d’affirmer en commun que nulle violence ne pouvait être justifiée au nom de Dieu, et de se donner publiquement le baiser de paix. On trouvera toutes les informations et photographies sur cet événement spectaculaire sur le site internet de la Communauté de Sant Egidio.[1]

On y trouve également les comptes-rendus écrits et filmés des autres événements marquants de cette rencontre exceptionnelle : la conférence du président de l’Union européenne, Herman von Rompuy venu affirmer le soutien de l’Union européenne à tous les artisans de paix de la région ; le discours du chef du gouvernement italien Mario Monti sur l’art du vivre ensemble européen basé selon lui sur les valeurs de solidarité, de tolérance et de recherche du bien commun ; le rappel par le premier ministre de Côte d’Ivoire qu’à l’époque de la mondialisation « le malheur des uns fait aussi le malheur des autres » ; la célébration d’un office oecuménique en commun avec plusieurs dizaines de responsables catholiques, protestants et orthodoxes, dont le cardinal Roger Etchegaray, vice-doyen de la curie romaine, Olav Fykse Tveit secrétaire du Conseil oecuménique des Eglises, Mgr Chrysostome II métropolite de l’Eglise Orthodoxe de Chypre ; la signature d’un appel pour la paix devant 5000 personnes par les plus hauts représentants du christianisme, du judaïsme, de l’islam, de l’hindouisme, du bouddhisme, du shintoïsme, etc.

Les questions que je souhaite poser ici sont plus analytiques qu’informatives. Comment font-ils ? Quel est la clef du succès incontestable de la Communauté de Sant Egidio ? Mais aussi pourquoi le monde séculier contemporain croit-il si peu dans la méthode d’Andrea Riccardi et de ses amis ? Il suffit pour se convaincre de ce dernier point de constater l’absence de l’ensemble des télévisions françaises et anglo-saxonnes au rassemblement ou de lire la dépêche en langue française de l’AFP qui n’a retenu de la rencontre que « l’évidence des difficultés de réconciliation en Bosnie »[2].

Commençons par les clefs du succès. Emile Poulat, l’un des amis de longue date d’Andrea Riccardi, présent à la rencontre de Sarajevo, explique que la communauté de Sant Egidio repose sur trois P : la prière, le soutien aux pauvres, et la quête de la paix. Lors de son discours du 9 septembre Andrea Riccardi est revenu sur la dimension transfiguratrice de la prière. Il cite le cardinal Carlo Maria Martini qui définissait la prière comme une « force humble et puissante », Martin Buber pour qui le point d’Archimède de la vie était la capacité de se transformer soi-même, et Jalâl ud Dîn Rûmî  qui identifiait la prière à un travail de purification par l’homme de sa propre nature. Ce sont ces maîtres qui permirent selon Andrea Riccardi à la communauté de Sant Egidio de croître depuis 44 ans. Andrea Riccardi fait une place particulière à Saint Jean Chrysostome qui a défini non seulement le fondement mais également le commencement de toute attitude priante, à savoir le désir de « faire de la terre un ciel ». Dans la tradition chrétienne cette attitude universelle s’accompagne selon Riccardi d’une conviction – « l’amour de Dieu est plus fort que l’enfer des hommes » – et d’une méthode, la compassion, comprise de la façon suivante par le patriarche Athénagoras : « Tous les peuples sont bons et ont besoin d’amour ; s’ils sont méchants, c’est qu’ils n’ont pas connu le vrai amour ».

Cette attitude priante et confiante est donc intimement liée au désir de changer le monde, de le rendre plus juste. En 1968, alors qu’il a 18 ans et que ses amis italiens militent contre l’ordre bourgeois, Andrea Riccardi a eu l’intuition qu’il devait initier « la révolution de la révolution ». Insensible au projet de dictature du prolétariat, alors qu’il était encore lycéen, il crée une école d’alphabétisation dans les quartiers pauvres de Rome. Là il crée une communauté qui s’inspire du livre des Actes des apôtres et de l’œuvre de saint François d’Assise. Très vite, la communauté s’engage auprès des clochards et des vagabonds et leur propose des repas chauds. Elle investit l’église de Sant Egidio dans le Trastevere où la prière devient inséparable de l’enseignement. Andrea Riccardi découvre alors que ce choix dû au hasard est en réalité providentiel. En effet saint Gilles l’Ermite était un moine grec du VIIe siècle venu vivre dans le Languedoc où il protégea les plus pauvres y compris les animaux de la forêt qui venaient chercher refuge à sa grotte. Cette dimension oecuménique et protectrice des plus démunis du saint donna son ethos à la nouvelle communauté. Aujourd’hui la communauté de Sant Egidio compte plus de 50 000 membres et est présente dans 70 pays dans le monde. Partout elle œuvre auprès des plus démunis : les sans logis, les prisonniers, les immigrés, les malades, les victimes de la guerre, les handicapés, etc. Dès 1978 Jean-Paul II reconnut l’importance du travail réalisé par Sant Egidio et lui confia un nouveau lieu de culte dans le Trastevere. En 1986 le pape reconnut la communauté comme association internationale de laïcs.

La prière et l’amitié pour les pauvres conduisirent la communauté de Sant Egidio vers une nouvelle dimension de la révolution spirituelle initiée en 1968 : la médiation politique et la construction de la paix. Mais la méthode riccardienne n’est pas celle des Etats et de leurs ambassades. Elle repose là encore sur la prière et sur l’amitié. Les accords de paix du Mozambique signés à Rome le 4 octobre 1992 sont partis d’une rencontre organisée à Rome par Andrea Riccardi entre le pape Jean-Paul II et la pieuse mère de l’un des chefs rebelles africains amie de Sant Egidio. L’orga
nisation depuis 1987 des rencontres inter-religieuses dans l’esprit d’Assise correspond également à cette « force nucléaire faible » de la diplomatie spirituelle. A l’occasion de rencontres informelles un vaste réseau international de confiance se constitue et se transforme progressivement en réseaux d’influence. Les résultats sont stupéfiants compte tenu des moyens de la communauté. Pour ne prendre qu’un seul exemple récent le 30 juillet 2012 dernier Sant Egidio fut l’instigatrice d’un accord de paix entre les combattants de Qalamoun en Syrie et le mouvement Mussalaha en faveur d’une 3evoie réconciliatrice entre l’Etat syrien et l’armée syrienne de libération. Sur la base de cet accord l’opposition renonçait à l’option militaire et libérait les personnes enlevées tandis que le gouvernement s’engageait à libérer les prisonniers non coupables de crimes de sang et à donner à la population civile la liberté de s’exprimer démocratiquement à travers manifestations et sit-in. [3]

(à suivre) 

[1] http://www.santegidio.org/index.php?langID=fr

[2] http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5iHIqQJO2YGJk9sXs6gdA7g-Il_eA?docId=CNG.6d45a21c6ac81ccc71e77fdc0d7181ea.d81

[3] Roberto Morozzo della Rocca (sous la dir. de), L’art de la paix. La communauté de Sant Egidio sur la scène internationale, Paris, Salvatore, 2012.

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ZENIT Staff

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