Lorena Bianchetti , A Sua Immagine, RAI 1 © courtoisie de RAI 1

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La guerre, c’est faire le choix « de Caïn », déplore le pape François

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Une interview à la télévision italienne

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Le pape François déplore la guerre en Ukraine comme le choix de « Caïn »: « le monde a choisi – c’est difficile à dire – mais il a choisi le schéma de Caïn et la guerre c’est mettre en œuvre le Caïnisme, c’est-à-dire tuer son frère. »

Le pape François a accordé une interview à la journaliste italienne Lorena Bianchetti, animatrice de l’émission « A son image » (« A Sua Immagine ») de la première chaîne de la télévision publique RAI 1: elle a été diffusée à l’occasion du Vendredi Saint, ce 15 avril 2022, sous le titre: « L’espérance assiégée ». Le Dicastère pour la communication du Vatican publie la traduction en français de cette interview.

Lorena Bianchetti évoque d’emblée la guerre en Ukraine, les « images de corps sans vie dans les rues », « on parle même de fours crématoires ambulants », de « viols », de « dévastation », de « barbarie »: « Qu’arrive-t-il à l’humanité? »

La vision de Blaise Pascal

Le pape répond en citant Blaise Pascal: « Un écrivain a dit que « Jésus- Christ est à l’agonie jusqu’à la fin du monde », il est à l’agonie chez ses enfants, chez ses frères, surtout chez les pauvres, chez les marginalisés, chez les pauvres qui ne peuvent pas se défendre. Pour nous, en ce moment, en Europe, cette guerre nous touche beaucoup. Mais regardons un peu plus loin. Le monde est en guerre, le monde est en guerre ! Syrie, Yémen, puis pensez aux Rohingyas expulsés, sans patrie. Il y a la guerre partout. Le génocide rwandais il y a 25 ans. Parce que le monde a choisi – c’est difficile à dire – mais il a choisi le schéma de Caïn et la guerre c’est mettre en œuvre le Caïnisme, c’est-à-dire tuer son frère. »

Mais « comment trouver des formes de médiation, des formes de dialogue avec qui, ou en tout cas avec ceux qui ne désirent et ne poursuivent que l’oppression ? »

« Quand je dis qu’avec le diable, il n’y a pas de dialogue, c’est parce que le diable est le mal, sans rien de bon, réponds le pape ! Disons que c’est comme le mal absolu. Celui qui s’est totalement rebellé contre Dieu ! Mais avec des gens qui sont malades, qui ont cette maladie de la haine, on parle, on dialogue et Jésus a parlé avec beaucoup de pécheurs, jusqu’à Judas en fin de compte, « ami », toujours avec tendresse car nous avons tous, toujours, avec l’esprit du Seigneur qu’il a semé, quelque chose de bon en nous. Et quand je suis devant [une] personne et j’ai toujours – on dit tous, je dis ça différemment – quand on est devant [une] personne on doit réfléchir à ce que l’on veut dire à propos de cette personne : sur con côté mauvais ou sur côté caché, meilleur. Nous avons tous quelque chose de bon, tout le monde ! C’est le sceau même de Dieu en nous. Il ne faut jamais croire une vie perdue, non… achevée dans le mal, dire « C’est un condamné ». Je me souviens de cette dame qui s’était confessée chez le curé d’Ars parce que son mari s’était jeté du pont. Le curé l’écoutait, elle pleurait. « Ce qui me ronge plus c’est qu’il est en enfer ». « Arrêtez » – lui dit-il. « Entre le pont et la rivière il y a la miséricorde de Dieu ». Dieu essaie toujours de nous sauver jusqu’à la fin, car il a semé en nous le bon côté. Comme il l’avait semé pour Caïn, Abel et Caïn, mais Caïn a mené une action en faveur de la violence et c’est avec cette action qu’une guerre est menée. »

Le démon? Une « réalité »

Le mal, déplore le pape est « plus séducteur »: « Revenant au démon, quelqu’un dit que je parle trop du démon. Mais c’est une réalité. Moi j’y crois, hein ! Certains disent : « Non, c’est un mythe“. Je n’avance pas avec le mythe, j’avance avec la réalité, je le crois. Mais c’est un séducteur. La séduction essaie toujours d’entrer, de promettre quelque chose. Si les péchés étaient laids, s’ils n’avaient pas quelque chose de beau, personne ne pécherait. Le diable vous présente quelque chose de beau dans le péché et vous conduit au péché. Par exemple, ceux qui font la guerre, ceux qui détruisent la vie des autres, ceux qui exploitent les gens au travail. L’autre jour j’ai entendu une famille dire que le papa, encore jeune marié, devait travailler comme ouvrier agricole, mais il partait tôt le matin, et revenait le soir, pour peu d’argent, exploité par une entreprise milliardaire. Ça aussi c’est aussi une guerre. Ça aussi c’est détruire, pas seulement des chars d’assaut, c’est aussi détruire. Le diable cherche toujours à nous détruire. Pourquoi ? Parce que nous sommes l’image de Dieu Revenons au début, à trois heures de l’après-midi. Jésus meurt, il meurt seul. La solitude la plus complète, abandonné même par Dieu : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? ». La plus complète solitude, parce qu’il voulait descendre dans la plus dure des solitudes humaines pour nous en extirper. Lui retourne vers le Père, mais il descendu le premier, il est en chaque personne exploitée, qui souffre des guerres, qui souffre des destructions, qui souffre de la traite humaine. Combien de femmes sont esclaves de la traite, ici à Rome et dans les grandes villes. C’est l’œuvre du mal. C’est une guerre. »

Mercredi dernier, le pape a cité Dostoïevski et Les Frères Karamazov pour qui la partie se joue dans le coeur humain. Il précise: « C’est là que l’on joue. Pour cela nous avons besoin de cette douceur, de cette humilité pour dire à Dieu : « Je suis un pécheur, mais sauve-moi, aide-moi ! ». Parce que chacun de nous a en lui la possibilité de faire ce que font ceux qui détruisent les gens, qui exploitent les gens. Parce que le péché est une possibilité de notre faiblesse et aussi de notre orgueil. »

Face à la souffrance

A propos des tragédies en Ukraine, la journaliste demande: « Que dire à ces parents qui vivent cette expérience déchirante? » « Vous savez, dans la vie on apprend, répond le pape. J’ai dû apprendre beaucoup de choses et j’ai encore à apprendre parce que je m’attends à vivre encore un peu, mais je dois apprendre. Et l’une des choses que j’ai apprises, c’est de ne pas parler quand quelqu’un souffre. Qu’il s’agisse d’un malade ou face à une tragédie. Je les prends par la main, en silence. Mais quand on vient [te dire] et que tu es malade « Non, mais vous êtes là, mais le Seigneur… ». Tais -toi ! Tais -toi. Face à la douleur : silence. Et pleurer. C’est vrai que pleurer est un don de Dieu, c’est un don que nous devons demander : la grâce de pleurer, face à nos faiblesses, face aux faiblesses et aux tragédies de ce monde. Mais il n’y a pas de mots. Vous avez cité Dostoïevski. Ce petit livret [me vient à l’esprit], qui est comme un résumé de toute sa philosophie, de sa théologie, de tout : Souvenirs du sous-sol. Et il y a ici, quand quelqu’un meurt – ce sont des condamnés, des prisonniers qui sont à l’hôpital – il y en a un qui meurt, ils le prennent et l’emportent. Et un autre, depuis un autre lit, dit : « S’il vous plaît, arrêtez-vous ! Celui-ci avait aussi une maman ». La figure de la femme, la figure de la maman, devant la croix. C’est un message, c’est un message de Jésus pour nous, c’est le message de sa tendresse pour sa maman. Au moment le plus sombre de sa vie, Jésus n’a pas insulté. »

La Mère de l’Eglise

A propos du rôle des femmes, « quelle est l’importance du rôle actif des femmes, à la table des négociations, pour construire concrètement la paix ? » Le pape répond: « « Les femmes sont capables de donner la vie même à un mort » ; c’est une manière de dire. Les femmes sont au carrefour des plus grandes fatalités, elles sont là, elles sont fortes. C’est intéressant. Jésus est l’époux de l’Église et l’Église est une femme, c’est pourquoi la Mère Église est si forte. Je ne parle pas des cléricalismes, des péchés de l’Église. Non, la mère Église signifie celle qui est au pied de la croix, nous soutenant, nous pécheurs. C’est une chose qui me frappe beaucoup, qui me fait penser à Marie et aux autres femmes au pied de la croix. Quelquefois, lorsque je devais me rendre dans une paroisse d’un quartier appelé Villa Devoto, de Buenos Aires, je prenais le bus numéro 86, qui passe devant la prison et plusieurs fois quand je passais devant, il y avait une file d’attente de mères des détenus. Elles se montraient pour leurs enfants, car tous ceux qui passaient disaient : « C’est la mère de quelqu’un qui est à l’intérieur ». Et elles toléraient les contrôles les plus honteux, pour voir leur fils. La force d’une femme, d’une maman capable d’accompagner ses enfants jusqu’au bout. Et voici Marie et les femmes au pied de la croix, pour accompagner leur enfant, sachant que tant de gens disent : « Mais comment celle-ci a-t-elle éduqué son enfant pour qu’il finisse comme ça ? ». Des commérages, tout de suite. Mais les femmes ne s’inquiètent pas : quand il est question d’un enfant, quand il est question d’une vie, les femmes avancent. C’est pourquoi celui qui dit – donner le rôle aux femmes dans les moments difficiles, dans les moments tragiques -, c’est tellement important, c’est tellement important. Elles savent ce qu’est la vie, ce que veut dire préparer la vie et ce qu’est la mort, elles le savent bien. Elles parlent ce langage. »

Il y a aussi les femmes dans les milieux de la mafia, rappelle la journaliste. Le pape répond: « L’exploitation des femmes est notre pain quotidien. La violence faite aux femmes est notre pain quotidien. Des femmes qui subissent des coups, qui subissent la violence de compagnons et portent cela en silence ou s’éloignent sans dire pourquoi. Nous, les hommes, aurons toujours raison : nous sommes les parfaits. Et pour la société, les femmes sont condamnées à se taire. « Non, mais c’est une folle, c’est une pécheresse ». C’est ce qu’ils disaient de Madeleine. « Mais regarde ce qu’elle a fait, c’est une pécheresse !. « Et tu n’es pas pécheur ? Tu ne te trompes pas? ». Mais les femmes sont la réserve de l’humanité, je peux dire ceci : j’en suis convaincue. Les femmes sont la force. Et là, au pied de la croix, les disciples s’enfuirent, pas les femmes, celles qui l’avaient suivi tout au long de sa vie. Et Jésus, en route pour le Calvaire, s’arrête devant un groupe de femmes qui pleuraient. Elles ont la capacité de pleurer, nous les hommes nous sommes plus mauvais. Et il s’arrête [et dit] : « Pleurez pour vos enfants » car ils se déchaineront contre eux. »

Les « classes » de réfugiés 

Quant aux réfugiés, comme conséquence de la guerre, le pape répond avec des souvenirs de famille: « On divise les réfugiés en catégorie. Première classe, deuxième classe, couleur de peau, [si] ils viennent d’un pays développé [ou d’] un pays qui n’est pas développé. Nous sommes racistes, nous sommes des racistes. Et c’est mauvais. Le problème des réfugiés est un problème que même Jésus a subi, parce qu’il était un migrant et un réfugié en Egypte quand il était enfant, pour échapper à la mort. Combien d’entre eux souffrent pour échapper à la mort ! Il y a une image de la fuite en Egypte réalisée par un peintre piémontais. Il me l’a envoyée et j’ai fait faire de petites images de celle-ci : il y a Joseph avec l’enfant qui fuit. Mais ce n’est pas saint Joseph avec une barbe, non. C’est un Syrien, d’aujourd’hui, avec un enfant, qui fuit la guerre d’aujourd’hui. Le visage angoissé qu’ont ces personnes, comme Jésus obligé de fuir. Et Jésus a traversé toutes ces choses, mais il est là. Sur la croix se trouvent les peuples des pays d’Afrique en guerre, du Moyen-Orient en guerre, d’Amé- rique latine en guerre, d’Asie en guerre. Il y a quelques années, j’ai dit que nous vivions la Troisième Guerre mondiale par morceaux. Mais nous n’avons pas appris. Moi – je suis un ministre du Seigneur et un pécheur, choisi par le Seigneur – mais, un pécheur tel que, quand je suis allé à Redipuglia en 2014, pour la commémoration du centenaire, j’ai vu et j’ai pleuré. Je n’ai pu que pleurer. Tous des jeunes, tous de jeunes garçons. Puis un jour je suis allé au cimetière d’Anzio et j’ai vu ces jeunes qui avaient débarqué à Anzio. Tous jeunes ! Et j’ai pleuré là, une fois encore. Je pleure devant tout cela. Il y a deux ans, je crois, quand il y a eu la commémoration du débarquement de Normandie, j’ai vu les chefs de gouvernement, il y a eu une rencontre… ils ont commémoré cela. Mais pourquoi ne commémorons-nous pas les 30.000 soldats tombés sur les plages de Normandie? La guerre grandit avec la vie de nos enfants, de nos jeunes. C’est pourquoi je dis que la guerre est une monstruosité ! Allons dans ces cimetières qui sont la vie même de cette mémoire. Pensons à cette scène qui est écrite : des bateaux qui arrivent en Normandie, ils débarquent, ils sautent essuient les coups de fusil, les enfants et les Allemands… (ndlr le Saint-Père mime le geste de tirer) 30.000, sur la plage. »

« Il faut des femmes qui donnent l’alarme »

Un autre thème cher au pape François, le désarmement: « Je comprends les gouvernants qui achètent des armes, je les comprends. Je ne les justifie pas, mais je les comprends. Parce que nous devons nous défendre, parce que [c’est] le plan de guerre caïniste. S’il s’agissait d’un plan de paix, ce ne serait pas nécessaire. Mais nous vivons avec ce plan démoniaque, [qui dit] de s’entre-tuer par désir de pouvoir, par désir de sécurité, par désir de tant de choses. Mais moi je pense aux guerres cachées, que personne ne voit, qui sont loin de nous. Tant. Pourquoi ? Pour exploiter ? Nous avons oublié le langage de la paix : nous l’avons oublié. On parle de paix. Les Nations unies ont tout fait, mais sans succès. Je reviens au Calvaire. Là, Jésus a tout fait. Il a essayé avec pitié, avec bienveillance, de convaincre les dirigeants et [au contraire] non : guerre, guerre, guerre à lui ! A la douceur ils opposent la guerre pour la sécurité. « Il vaut mieux qu’un homme meure pour le peuple », dit le grand prêtre, car sinon les Romains viendront. Et la guerre. »

Avec la Passion du Christ, le pape évoque la femme de Ponce Pilate dont parle l’Evangile: « Il y a une femme dans l’Evangile dont on ne parle pas beaucoup – un peu en passant, dirions-nous – c’est la femme de Pilate. Elle a compris quelque chose. Elle dit à son mari : « Ne te mêle pas de ce juste ». Mais Pilate ne l’écoute pas, « des choses de femmes ». Mais cette femme, qui passe à l’improviste, sans force dans l’Evangile, en a compris le drame de loin. Pourquoi ? Peut-être parce qu’elle était mère, elle avait cette intuition des femmes. « Fais attention qu’ils ne te trompent pas. Qui ? La puissance, le pouvoir. Le pouvoir qui est capable de changer l’opinion des gens du dimanche au vendredi. L’Hosanna du Dimanche devient le Crucifie-le ! du vendredi. Et cela est notre pain quotidien. Il faut des femmes qui donnent l’alarme. »

La prière pour demander la fin de la pandémie

Le pape François revient aussi sur la prière pour la fin de la pandémie, le 27 mars 2020: « Je cherchais, j’ai ressenti le drame de ce moment, de tant de personnes. Mais vous avez souligné la solitude, la souffrance de l’époque, des personnes âgées. C’est curieux : c’est toujours eux qui paient l’addition. Et les jeunes aussi, parce que nous brisons l’espoir des jeunes. Nous leur faisons emprunter la route de Turandot : « l’espoir qui déçoit toujours ». Non, l’espoir ne déçoit pas ! Mais ce sont les jeunes et les vieux qui ont entre leurs mains et dans leur cœur la possibilité de réagir : c’est pourquoi j’insiste tant pour que jeunes et vieux dialoguent. La sagesse des anciens, mais avec la solitude qu’ils ont endurée. La sagesse des anciens si souvent négligée et laissée de côté, dans une maison de retraite. J’aimais aller dans des maisons de retraite à Buenos Aires, il y en a tellement dans une grande ville. J’ai demandé à une femme : « Comment ça va ? Combien avez-vous d’enfants? Ah, quatre ? Et viennent-ils vous voir ? ». « Oui, ils ne me laissent pas seule ». L’infirmière écoutait et à la sortie : « Père , personne n’est venu depuis six mois ». L’abandon des personnes âgées et l’abandon de la sagesse, car nous sommes parfois des sur- hommes, nous connaissons tout. Nous ne savons rien ! La solitude des personnes âgées et l’utilisation des jeunes, parce que les jeunes sans la sagesse qui vient d’un peuple iront mal. Jésus avait tout cela dans son cœur à ce moment-là : nous étions tous là. Vous rappeliez cette Statio Orbis de mars il y a deux ans et vous avez ressenti tout cela. Mais je ne savais pas que la place serait vide, je ne le savais pas. Je suis arrivé et [il n’y avait] personne. Oui, je savais que sous la pluie il y aurait peu de monde, mais personne. C’était un message du Seigneur pour bien comprendre la solitude. La solitude des personnes âgées, la solitude des jeunes que nous laissons seuls. « Qu’ils soient libres ». Non! Ils seront seuls, esclaves. Accompagnez-les ! C’est pourquoi il est important qu’ils prennent l’héritage des per- sonnes âgées, qu’ils prennent de ces dernières l’étendard de la dette. La solitude des jeunes, des per- sonnes âgées. La solitude des personnes qui souffrent psychologiquement dans les maisons de santé. La solitude des personnes qui vivent un drame personnel, familial. La solitude d’une femme battue par son mari, mais [qui] se tait pour sauver sa famille. Nous avons tant de solitudes. Vous avez la vôtre. J’ai les miennes : vous avez surement les vôtres. Petites solitudes, mais c’est là, dans ces petites solitudes, que nous pouvons comprendre la solitude de Jésus, la solitude de la croix. »

A la question de la solitude du pape, il répond : « Non, Dieu a été bon avec moi. Je ne sais pas. Toujours, s’il y a une mauvaise chose, il place quelqu’un pour m’aider ! Il a été très généreux. Peut-être parce qu’il sait que je ne peux pas le faire seul ! »

L’idolâtrie de la mondanité

Puis l’interview se fait encore plus grave, en ce Vendredi Saint: « Quelles sont les blessures que l’Église continue d’infliger au Crucifié aujourd’hui ? » Le pape reprend  un thème de son homélie du Jeudi Saint pour la messe chrismale, dans laquelle il dénonçait l’idole de la « mondanité »: « Je parle clairement, car j’en suis convaincu. La croix la plus dure que l’Église impose au Seigneur aujourd’hui est la mondanité, l’esprit de la mondanité. L’esprit de mondanité qui est un peu comme l’esprit de pouvoir, mais pas seulement de pouvoir, c’est vivre dans le style mondain qui – c’est curieux – se nourrit et grandit avec l’argent. Il y a une chose intéressante. Dans les trois tentations du diable à Jésus, le diable fait des propositions mondaines. La première, la célébrité, bien sûr : c’est humain – mais ensuite ? Le pouvoir, la vanité: les choses mondaines. Car la modalité est attirante et l’Église, lorsqu’elle tombe dans la mondanité, dans l’esprit mondain, l’Église est vaincue. L’esprit de mondanité est ce qui fait le plus mal aujourd’hui, mais il en a toujours été ainsi. Quand Jésus nous dit : « S’il vous plaît, choisissez une option claire, vous ne pouvez pas servir deux seigneurs. Ou vous servez Dieu – et je m’attendais à ce qu’il dise « ou vous servez le diable » – mais il ne le dit pas. « Soit vous servez Dieu, soit vous servez l’argent. » Utiliser l’argent pour faire le bien, faire vivre sa famille avec le travail, c’est bien. Mais servir ! Et le monde s’arrête beaucoup là-dessus. (…) [À] chaque époque, la mondanité change de nom, mais c’est [toujours] la mondanité. Cette prière, à Saint Michel Archange, je la prie tous les jours, le matin. Tous les jours ! Pour qu’elle m’aide à vaincre le diable. Quelqu’un qui m’entend peut dire : « Mais Sainteté, vous avez étudié, vous êtes Pape et vous croyez encore au diable ? ». Oui, j’y crois, mon cher, j’y crois. J’ai peur de lui, c’est pourquoi je dois tant me défendre. Le diable qui avait fait toute ces manigances pour que Jésus finisse comme il a fini, sur la croix. Le pouvoir des ténèbres sur Jésus : « C’est votre heure », le pouvoir des ténèbres. »

Pas d’anesthésie et le don du pardon

Puis vient la question de l’Ukraine et de ce que le pape ressent: « Une douleur. La douleur est une certitude, c’est un sentiment qui vous prend tout. Quand quelqu’un ressent une douleur physique après une opération, la blessure qu’on lui a faite, il demande une anesthésie, quelque chose pour l’aider à la supporter. Mais [pour] la douleur humaine, la douleur morale, il n’y a pas d’anesthésie. Uniquement la prière et les pleurs. Je suis convaincu qu’aujourd’hui, on ne pleure pas bien. Nous avons oublié [de] pleurer. Si je peux donner un conseil, à moi-même et au peuple, c’est de demander le don des larmes. Et pleurer, comme Pierre pleura après avoir trahi Jésus. Il a pleuré, quand il s’est enfui, quand il l’a renié. Il a pleuré. Des pleurs qui ne sont pas un exutoire, non. C’est la honte exprimée physiquement et je pense que la honte nous manque. Nous sommes tant de fois sans honte – ce qui est une insulte qui est utilisée dans ma patrie  » [c’est-à-dire] un sans vergogne » – mais la grâce de pleurer. Il y a une belle prière, il y a une messe pour demander le don des larmes. Une belle prière de cette messe dit ainsi : « Seigneur, toi qui as fait sortir l’eau du rocher, fais sortir des larmes du rocher de mon cœur ». Le cœur dur, le cœur qui n’est pas ému, ne sait pas pleurer. Je me demande : combien de personnes, devant les images de guerres, de n’importe quelle guerre, ont réussi à pleurer ? Certaines oui, j’en suis sûr, mais beaucoup ont échoué. Elles commencent à se justifier ou à attaquer. Non, cela (ndr : le Saint- Père montre le cœur) : vous devez vous en occuper. Et Jésus nous touche ici. Aujourd’hui, Vendredi Saint, devant Jésus Crucifié, laissez votre cœur être touché, laissez-le vous parler avec son silence et sa douleur. Vous parlez à ces gens qui souffrent dans le monde : ils souffrent de la faim, ils souffrent de la guerre, ils souffrent beaucoup de l’exploitation et de toutes ces choses. Que Jésus vous parle et s’il vous plaît, vous, ne parlez pas. Silence. Laissez-le faire et demandez la grâce de pleurer. »

La journaliste sollicite une parole pour les évêques orthodoxes: « Eux aussi préparent Pâques avec nous avec une semaine de décalage, car ils suivent – même les catholiques orientaux -, ils suivent le calendrier julien, pas grégorien. J’en profite pour adresser un message de fraternité à tous mes frères évêques orthodoxes, qui vivent cette Pâques avec la même douleur avec laquelle nous, moi-même et de nombreux catholiques la vivons. Ce n’est pas facile d’être évêque… et Dieu merci ce n’est pas facile ! C’est pourquoi je ne comprends pas ceux qui veulent devenir évêques ! Ils ne savent pas ce qui les attend ! Mais je profite de cette occasion pour saluer tous les évêques orthodoxes, en tant que frères dans la foi. »

Puis vient LA question, celle du pardon: « Comment peut-on être gentil ou pardonner à toutes ces personnes qui nous ont blessés, ces personnes qui tuent des innocents, ces personnes qui ont blessé non seulement physiquement, mais aussi psychologiquement ? »

Le pape confie: « Je vous donne ma recette. Si je n’ai pas commis ce mal, c’est qu’il m’a arrêté avec sa main, sa miséricorde. J’en suis sûr parce que sinon, j’aurais fait tellement [choses] comme ça, tellement de mal. En cela je peux dire que je suis un témoin de la miséricorde de Dieu. Pour cela je ne peux pas condamner quelqu’un qui vient demander pardon. Je dois toujours pardonner. Chacun de nous peut dire cela de lui-même dans son examen de conscience. C’est vrai que je ne pourrai peut-être pas sur le plan émotionnel : «Viens, embrasse-moi» . Non, peut-être que je vais être en colère ! Mais je dis : « Seigneur, enlève ma colère, je pardonne, mais je ne ressens pas le sentiment du pardon. Je pardonne. Toi, arrange-toi pour apporter ce pardon… ». »

Le pardon est « divin »? « Oui, le pardon est une chose comme ça à la fin. »

Espérance et optimisme, distinguer

Puis il est question de la souffrance: solitude, covid, chômage. « Quelles paroles d’espoir voulez-vous leur donner ? », demande Lorena Bianchetti. « Le mot clé que vous venez de dire, répond le pape, c’est l’espérance. L’espérance n’est pas faire des caresses et dire : « Ah, tout va passer, ne t’inquiète pas ». L’espérance est une tension vers l’avenir, vers le Ciel aussi. C’est pourquoi la figure de l’espérance est l’ancre : l’ancre jetée là et moi avec la corde là, pour y arriver, pour résoudre des situations, mais toujours avec cette corde. L’espérance ne déçoit jamais, mais elle vous fait attendre. L’espérance est la servante de la vie catholique, de la vie chrétienne. C’est véritablement la plus humble des vertus. Elle est cachée, mais si vous ne l’avez pas [à portée de] main, vous ne trouverez pas le bon chemin. L’espérance est ce qui vous fait trouver le bon chemin. Avoir de l’espérance ce n’est pas avoir l’illusion : « Je vais … [ voir ] quelqu’un qui lit dans mes mains … cela ira bien . Non, ce n’est pas ça, l’espérance. L’espérance est la certitude que je tiens en main la corde de cette ancre jetée là. Nous aimons beaucoup parler de foi, de charité : regardez la ! L’espérance c’est un peu comme la vertu cachée, la petite, la petite de la maison. Mais c’est la plus forte pour nous. »

Un message pour les jeunes aussi: « Qu’ils ne confondent pas [l’] espérance avec l’optimisme. L’optimisme, nous pouvons l’acheter dans un kiosque. Vous savez, ça se vend, l’optimisme ! Mais l’espérance est autre chose. L’espérance, c’est d’être sûr que nous nous dirigeons vers la vie. Il y a un poète argentin qui – un grand poète – [il y a] une phrase, un poème, qui m’a toujours frappé, une définition de la vie : « La vie est une mort qui arrive ». Non, la vie n’est pas une mort qui arrive : la vie c’est, peut-être, de la mort pour arriver à la vie ! L’espérance en cela est forte : c’est cette corde d’ancrage. Elle ne déçoit jamais ! Mais elle est humble, elle est vraiment la servante de la vie chrétienne. Mais souvent ce sont les domestiques qui font mènent de l’avant la vie d’une famille.

« Quel est votre souhait pour cette Pâque ? » « Une joie intérieure. Il y a un psaume qui dit : « Lorsque le Seigneur nous a délivrés de Babylone, nous avions l’impression [de] rêver ». Le cri de joie. C’est la joie. Mon souhait est de ne pas perdre espoir, mais la véritable espérance – qui ne déçoit pas – est de demander la grâce de pleurer, mais de pleurer de joie, de pleurer de consolation, de pleurer d’espérance. J’en suis certain, je le répète, nous avons besoin de pleurer plus. Nous avons oublié comment pleurer. Demandons à Pierre de nous apprendre à pleurer comme il l’a fait. Et puis le silence du Vendredi Saint. »

 

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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