« Pour donner une impulsion à l’action internationale en faveur des pauvres, il ne suffit pas d’être animés d’une bonne volonté ou, pire encore, de faire des promesses qui, souvent dans le passé, n’ont pas été tenues », déclare le pape François.
« On ne peut pas non plus continuer à avancer comme un alibi la crise mondiale actuelle », ajoute-t-il : il s’agit de « surmonter le manque d’intérêt ou la tentation de regarder de l’autre côté, et il est urgent d’être attentifs aux besoins immédiats ».
Ce jeudi 20 juin, à 11 heures, dans la salle Clémentine du palais apostolique du Vatican, le pape François a reçu en audience les participants à la 38e session de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui se tient à Rome du 15 au 22 juin.
Concrètement, le pape appelle à « trouver les moyens pour permettre à tous de bénéficier des fruits de la terre », soulignant que « la production actuelle est suffisante, et pourtant des millions de personnes souffrent de la faim et en meurent : c’est un véritable scandale ».
Il invite à « contrebalancer les intérêts économiques aveugles et les logiques de pouvoir de quelques-uns qui excluent la majorité de la population mondiale et génèrent pauvreté, marginalisation et fragmentation sociale ; il est nécessaire de lutter contre la corruption qui produit des privilèges pour quelques-uns et des injustices pour beaucoup ».
Discours du pape François :
Monsieur le président,
Messieurs les ministres,
Monsieur le directeur général,
Mesdames et Messieurs,
1. Poursuivant une longue et importante tradition qui a commencé il y a plus de soixante ans, je suis heureux de vous accueillir aujourd’hui au Vatican, vous tous qui participez à la 38e Conférence des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture.
Je vous remercie, Monsieur le président Mohammad Asef Rahimi, ainsi que les représentants de nombreux pays et cultures, qui cherchez ensemble des réponses appropriées à un des besoins primordiaux de beaucoup de nos frères et sœurs : avoir leur pain quotidien. Je salue Monsieur le directeur général, le Professeur José Graziano da Silva, que j’ai eu l’occasion de rencontrer au début de mon ministère comme évêque de Rome. A cette occasion, il m’a montré clairement combien la situation mondiale est particulièrement difficile, non seulement en raison de la crise économique, mais aussi à cause des problèmes liés à la sécurité, aux trop nombreux conflits, au changement climatique, à la conservation de la diversité biologique. Toutes ces situations exigent un engagement renouvelé de la part de la FAO pour faire face aux multiples problèmes du monde agricole et des personnes qui vivent et travaillent dans les zones rurales.
Les initiatives et les solutions possibles sont nombreuses et ne se limitent pas à augmenter la production. Il est bien connu que la production actuelle est suffisante, et pourtant des millions de personnes souffrent de la faim et en meurent : c’est un véritable scandale. Il faut donc trouver les moyens pour permettre à tous de bénéficier des fruits de la terre ; il ne s’agit pas seulement d’éviter de creuser le fossé entre ceux qui ont plus et ceux qui doivent se contenter des miettes, mais c’est une exigence de justice et d’équité, et de respect envers tout être humain.
2. C’est, je crois, la signification de notre rencontre : partager l’idée qu’il faut faire davantage pour donner une impulsion à l’action internationale en faveur des pauvres, et qu’il ne suffit pas d’être animés d’une bonne volonté ou, pire encore, de faire des promesses qui, souvent dans le passé, n’ont pas été tenues. On ne peut pas non plus continuer à avancer comme un alibi la crise mondiale actuelle, crise dont on ne pourra sortir complètement tant que les situations et les conditions de vie ne seront pas considérées en termes de personne humaine et de dignité humaine.
La personne et la dignité humaine risquent de devenir une abstraction face à des questions telles que l’usage de la force, la guerre, la malnutrition, l’exclusion, la violation des libertés fondamentales ou la spéculation financière, qui affecte en ce moment le prix des aliments, en les traitant comme n’importe quelle autre marchandise et en oubliant leur destination principale. Notre tâche est de proposer, dans le contexte international actuel, la personne et la dignité humaine non pas comme un simple rappel, mais plutôt comme les piliers sur lesquels construire des règles et des structures communes qui, surmontant le pragmatisme de données purement techniques, sont en mesure d’éliminer les divisions et de combler les lacunes existantes. En ce sens, il est nécessaire de contrebalancer les intérêts économiques aveugles et les logiques de pouvoir de quelques-uns qui excluent la majorité de la population mondiale et génèrent pauvreté, marginalisation et fragmentation sociale ; il est nécessaire de lutter contre la corruption qui produit des privilèges pour quelques-uns et des injustices pour beaucoup.
3. Si la situation que nous vivons est directement liée aux facteurs financiers et économiques, elle est aussi le résultat d’une crise des valeurs et des convictions, y compris de celles qui sont à la base de la vie internationale. Un tel cadre nécessite de procéder à un travail conscient et sérieux de reconstruction qui concerne également la FAO. Je pense à la réforme engagée pour assurer une gestion plus fonctionnelle, transparente et impartiale. C’est certainement quelque chose de positif, mais toute véritable réforme consiste dans l’acquisition d’une plus grande conscience de la responsabilité de chacun, tout en reconnaissant que le sort de l’un est lié à celui des autres. J’ai à l’esprit cet épisode bien connu de l’Évangile, où un Samaritain va au secours d’une personne en difficulté. Il ne le fait pas par charité ou parce qu’il a de l’argent, mais plutôt pour s’identifier à celui qu’il secourt : il veut partager son sort. En effet, après avoir laissé de l’argent pour soigner le blessé, il avertit qu’il repassera pour s’enquérir de sa santé. Ce n’est pas seulement de la compassion ni même une invitation à partager ou à promouvoir un rapprochement capable de dépasser les différences et les désaccords. Cela signifie plutôt être prêt à tout partager et choisir d’être de bons samaritains plutôt que des personnes indifférentes aux besoins des autres.
Ce qui est attendu de la FAO et de ses États membres, comme de chaque institution de la communauté internationale, c’est une ouverture du cœur. Nous devons surmonter le manque d’intérêt ou la tentation de regarder de l’autre côté, et il est urgent en revanche d’être attentifs aux besoins immédiats, en étant certains que les actions d’aujourd’hui auront des résultats dans l’avenir. Avancer de manière constructive et fructueuse dans les différentes fonctions et responsabilités nécessite la capacité d’analyser, de comprendre et donner, en abandonnant toute tentation de pouvoir, de richesse ou de chercher ses propres intérêts au lieu de servir la famille humaine et, en elle, les pauvres en particulier et ceux qui souffrent encore de la faim et de la malnutrition.
Nous sommes conscients que l’un des premiers effets des graves crises alimentaires, et pas seulement celles qui sont causées par les catastrophes naturelles ou les conflits sanglants, est le déracinement des individus, des familles et des communautés. C’est une séparation douloureuse qui ne se limite pas à leurs terres, mais qui s’étend à l’environnement existentiel et spirituel, menaçant et faisant parfois s’effondrer les quelques certitudes qui leur restaient. Ce processus, devenu mondial, nécessite de rétablir au sein des relations internationales la référence aux principes éthiques qui les rég
issent et de retrouver un authentique esprit de solidarité capable de garantir l’efficacité de toutes les entreprises de coopération.
4. À cet égard la décision de consacrer l’année prochaine à la famille rurale est d’autant plus significative. Au-delà de ce moment festif, il faut renforcer l’idée que la famille est le lieu principal de la croissance de chaque individu, car à travers elle l’être humain s’ouvre à la vie et à ce besoin naturel d’être en relation avec d’autres. Si souvent nous pouvons constater combien les liens familiaux sont essentiels pour la stabilité des relations sociales, pour le travail d’éducation et pour un développement intégral parce qu’ils se fondent sur l’amour, la solidarité entre les générations et une confiance mutuelle responsable. Ce sont des facteurs qui peuvent alléger même les situations les plus négatives et conduire à une véritable fraternité : l’humanité tout entière pourra alors se reconnaître comme une seule famille dans laquelle la plus grande attention est dirigée vers les plus faibles.
Reconnaître que la lutte contre la faim passe par la recherche du dialogue et de la fraternité signifie pour la FAO que, en donnant un élan aux processus de prise de décision, sa contribution dans les négociations entre États soit caractérisée par la promotion de la culture de la rencontre et de la solidarité. Ceci exige cependant une volonté des États membres, une pleine connaissance de la situation, une préparation adéquate, et des idées capables d’inclure chaque personne et chaque communauté. Alors seulement nous pourrons combiner le désir de justice de milliards de personnes avec les cas réels qui se présentent dans la vie réelle.
L’Eglise catholique, avec ses structures et ses institutions, est à vos côtés dans cette démarche qui vise à construire une solidarité concrète, et le Saint-Siège suit avec intérêt et encourage les actions et initiatives entreprises par la FAO. Je vous remercie pour cette occasion de nous rencontrer et je bénis le travail que vous accomplissez quotidiennement au service des plus petits de nos frères et sœurs.
Traduction de Zenit, Hélène Ginabat