Deux mois après le violent assassinat du P. Thomas, recteur du séminaire de Bangalore, l’Eglise catholique au Karnataka s’interroge sur la lenteur de la police, qui n’a toujours arrêté aucun suspect ni émis aucune hypothèse concernant le mobile. Après les évêques indiens, le Vatican presse à son tour les autorités de l’Etat de faire aboutir l’enquête, indique "Eglises d'Asie", l'agence des Missions étrangères de Paris :

http://eglasie.mepasie.org/asie-du-sud/inde/2013-06-03-meurtre-du-recteur-du-seminaire-le-vatican-demande-l2019elucidation-rapide-de-l2019affaire

« Après avoir avancé dans le brouillard pendant deux mois, la police de Bangalore est arrivée à la conclusion qu’elle ne pouvait résoudre l’affaire », a annoncé l’Express News Service le 1er juin dernier. Selon le quotidien, la police aurait interrogé plus de 80 personnes depuis les faits et exploré en vain différentes pistes, sans recueillir aucun indice susceptible d’orienter l’enquête.

« Nous sommes maintenant certains qu’il ne peut s’agir d’un meurtre crapuleux ; les assassins avaient tout prévu soigneusement à l’avance », a expliqué à l’Express l’un des enquêteurs. « Toutes les hypothèses possibles ont été étudiées. Nous avons même pensé à un ‘supari killing’ (1), mais rien de concret n’est venu étayer ces pistes et nous pensons maintenant que ce cas est impossible à résoudre dans un futur proche », a ajouté l’officier, appartenant au département d’enquête judiciaire de l’Etat du Karnataka, qui travaille conjointement avec la police de Bangalore sur l’affaire.

A cette annonce, le P. Ronnie Prabhu, porte-parole de l’archevêché de Bangalore, a répondu en exprimant la déception et l’indignation de la communauté chrétienne de voir la police renoncer à pousser plus avant ses investigations : « Cela fait déjà deux mois que tout cela est arrivé et nous attendons de connaître la vérité », ajoutant être « très déçu par le fait que la police avoue elle-même ne pas trouver le moindre indice dans le dossier ».

Le 31 mars dernier, dans la nuit du dimanche de Pâques, le recteur du séminaire pontifical Saint Pierre (Saint Peter’s Institute) de Bangalore, le P. K. J. Thomas, 62 ans, était sauvagement assassiné et retrouvé mort quelques heures plus tard dans une mare sang, le visage tellement mutilé qu’il était à peine identifiable. Les traces de pas, les nombreux coups portés et les traînées de sang semblaient indiquer que le prêtre avait tenté d’échapper à ses agresseurs – ils auraient été trois selon la police – qui l’auraient poursuivi depuis sa chambre près de l’entrée du bâtiment jusqu’au réfectoire situé au rez-de-chaussée pour finir par le frapper dans la cour centrale où ils lui auraient écrasé le visage et la tête à coups de briques. Le corps du recteur avait été ensuite traîné jusqu’à la salle de repos des professeurs, où il a été retrouvé au petit matin par le P. Patrick Xavier, économe du séminaire.

Le recteur étant décrit de façon unanime comme un « homme de paix et de générosité », les enquêteurs s’étaient orienté tout d’abord sur la piste d’un crime crapuleux ou d’un cambriolage qui aurait mal tourné. Ces hypothèses avaient été rapidement écartées par le résultat des premières investigations démontrant que, malgré la mise à sac des bureaux de l’accueil et de la chambre du P. Thomas, les agresseurs avaient dédaigné le portable, l’iPad et l’ordinateur du prêtre.

En revanche, l’acharnement avec lequel les trois hommes avaient poursuivi et massacré le recteur, ainsi que l’absence de signe d’effraction qui supposait une connaissance des lieux, semblaient indiquer un acte prémédité.

Mais depuis ces premières déclarations des enquêteurs au lendemain du crime, le dossier est au point mort. Le 19 avril, Mgr Moras, archevêque de Bangalore, lors d’une conférence de presse, se faisait l’interprète de l’incompréhension de la communauté catholique face à la lenteur de l’enquête. Signée par quinze évêques membres du conseil administratif du séminaire St Peter (2), une requête demandant de presser les investigations avait été ensuite déposée devant les autorités de l’Etat du Karnataka.

Le 23 avril, une réunion de prière était organisée par le Christian Voice Forum à la cathédrale St François-Xavier afin de « faire comprendre la détermination [des chrétiens] à la police de Bangalore et aux autorités, et de prier pour qu’elles agissent enfin ». Le Times of India signalait l’événement dans son édition du 24 avril et rapportait la crainte de la communauté chrétienne de voir les discriminations antichrétiennes, grandissantes dans l’Etat, conduire une nouvelle fois à l’impunité des agresseurs.

« Il est très choquant que quelqu’un puisse commettre un tel crime haineux sur un prêtre », a déclaré Mgr Bernard Moras, lors de la réunion. « Les coupables doivent être trouvés au plus vite faute de quoi la situation risque de dégénérer en rumeurs et suspicions dont nous n’avons vraiment pas besoin en ce moment », avait-il ajouté. Les étudiants du séminaire, rentrés de vacances depuis les faits, ont confirmé auprès d’Eglises d’Asie que le fait que l’enquête n’aboutisse pas alimentait un climat de peur et de soupçon.

Le président de la Conférence des évêques catholiques de la Région du Karnataka (KRCBC), le P. Archibald Gonsalves, a ensuite invité l’assemblée à ne jamais cesser de se battre pour la justice : « Ce n’est pas seulement la mort qui nous a ravi le P. Thomas, c’est un meurtre, et nous avons besoin de savoir pourquoi. » A l’issue de cette réunion, un mémorandum demandant que les investigations se fassent plus intenses a été rédigé par le KRCBC et envoyé au gouverneur de l’Etat.

Un mois plus tard et après plusieurs déclarations de la police judiciaire laissant espérer « de nouveaux indices éclairants » avant de reconnaître « n’avoir toujours aucune piste », il est aujourd’hui question de transférer le dossier au Bureau central d’enquête ou CBI, l’organe fédéral d’enquête criminelle.

Une initiative fortement recommandée par le Saint-Siège qui est intervenu récemment, suite aux efforts demeurés vains des évêques indiens. C’est par l’intermédiaire de son nonce apostolique à New Delhi, rapporte le Deccan Chronicle du 30 mai dernier, que le Vatican, sous l’autorité duquel se trouve le séminaire de Bangalore, a pressé les autorités du Karnataka d’élucider de façon la plus rapide possible le meurtre du P. Thomas

« Nous avons reçu des ordres de nos supérieurs nous intimant de presser l’enquête », a déclaré au quotidien un responsable de la police judiciaire de l’Etat sous le couvert de l’anonymat. « Ils avaient reçu des pressions eux-mêmes de la part du ministre de l’Intérieur K. J. George après que l’ambassadeur du Vatican se soit entretenu avec certains hommes politiques haut placés », a poursuivi l’officier.

Sur la page Facebook de l’ancien recteur (3), toujours mise à jour avec de nouveaux articles, souvenirs et condoléances, un slogan a depuis quelques jours remplacé le descriptif de la page : Cry for justice! 

Notes

(1) L’expression « supari killing » signifie globalement « contrat de meurtre ». Les origines sont controversées mais, selon certains spécialistes, elle aurait pour origine une coutume à laquelle se livrait un ancien roi de la région de Bombay, chef de la tribu Mahemi. Lorsqu’il voulait assigner une tâche difficile à l’un de ses guerriers, il les rassemblait tous dans son palais. A la fin du repas, il déposait une assiette contenant une feuille de bétel (supari) ; celui qui prenait la feuille se voyait chargé de la tâche en question (généralement celle de tuer quelqu’un).
(2) Plusieurs diocèses sont liés au séminaire St Peter, dont l’histoire remonte à la première fondation de l’institut à Pondichéry par les MEP en 1778 avant d’être déplacé à Bangalore, au Karnataka, en 1934. Premier séminaire régional de l’Inde, il a été élevé au rang de séminaire pontifical en 1962. Bien que placé sous l’autorité de l’archevêque de Bangalore (Mgr Moras en est aujourd’hui l’actuel chancelier), le séminaire, en raison de ses origines pondichériennes, accueille les étudiants des deux Etats de l’Inde (les « Académies » de St Peter sont d’ailleurs réparties en trois langues : kannada, anglais et tamoul). Le St Peter’s Pontifical Seminary est aujourd’hui l’un des plus importants centres de formation et de recherche de l’Eglise catholique en Inde : il compte quatre facultés : théologie, philosophie, droit canon et missiologie.
(3) Un site en hommage au P. Thomas a été également ouvert à l’initiative de Mgr Moras : http://www.frkjthomas.com/