Assise, Journée pour la paix, 20 septembre 2016 © L'Osservatore Romano

Assise, Journée pour la paix, 20 septembre 2016 © L'Osservatore Romano

Journée de la fraternité humaine: « Le dialogue interreligieux, pour quoi faire ? »

«Les religions font partie de la solution, pas du problème»

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Le dialogue interreligieux, pour quoi faire ?

Homélie du samedi 16 mai 2020

Monastère des moniales dominicaines (messe radiodiffusée)

Fr. Manuel Rivero O.P.

Jeudi dernier, le 14 mai, le pape François en relation avec d’autres représentants des différentes religions a exhorté les catholiques et les hommes de bonne volonté à prier pour la délivrance de la pandémie du covid-19[1].

Pourquoi favoriser le dialogue interreligieux ? Sur quoi repose-t-il ?

Le cardinal Jean-Louis Tauran (+2018), ancien président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, faisait remarquer que ce dialogue commence par l’affirmation de sa propre foi.

Il ne s’agit pas de mettre sa foi dans sa poche. Les chrétiens qui s’engagent dans le dialogue interreligieux n’ont pas à mettre Jésus ressuscité de côté. C’est à cause de Jésus-Christ et en son nom, que les baptisés vivent « la sortie de soi » pour aller à la rencontre des frères et des sœurs d’autres religions.

Quel est le fondement théologique de ce dialogue ? L’amour de Dieu pour l’humanité : « Dieu a tant aimé le monde qu’Il a donné son Fils unique » (Jn 3, 16). Par ailleurs, le Concile Vatican II enseigne que « par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme » (Gaudium et spes, n°22).

Avant de dire de quelqu’un qu’il est musulman ou bouddhiste ou athée, il convient de le regarder à la lumière de l’Évangile comme un homme aimé de Dieu et uni au Fils de Dieu par le mystère de l’incarnation : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn 1, 14).

Le mot « dialogue », d’origine grecque, comprend le mot « logos » qui veut dire « verbe », «parole », « raison ». La préposition « dia » signifie « à travers ». Dialoguer suppose se laisser traverser par le Logos, la Parole de Dieu et par la parole des autres.

Notre Dieu n’est solitaire mais trinitaire. Notre Dieu unique dialogue au cœur de la Trinité : le Fils écoute le Père dans l’amour de l’Esprit.

Dieu aime le dialogue. La Bible révèle le dialogue de Dieu avec son peuple. Dans la célébration de la messe, nous vivons le dialogue de Jésus-Christ avec son Église. Le Christ nous parle et nous nous lui parlons en grandissant dans la connaissance et l’amour.

Le saint pape Paul VI, dans son encyclique « Ecclesiam suam » de 1964, écrivait : « L’Église se fait conversation » (n°67). Le dialogue fait partie de la mission de l’Église.

Le dialogue interreligieux se pratique de différentes manières : dialogue de la vie, dialogue de la collaboration et de l’expérience spirituelle, dialogue théologique.

Le dialogue de la vie concerne le quotidien. Nous côtoyons des musulmans et des hindous dans nos quartiers, sur nos lieux de travail et de loisirs, dans les commerces en faisant les courses … Il importe de saluer et de se souhaiter une bonne fête lors des événements religieux. Il arrive que l’on partage des gâteaux pour associer les autres à la joie de croire. Les chrétiens pourraient partager quelques œufs de Pâques en chocolat si aimés par les enfants. L’œuf fermé qui contient le poussin symbolise le tombeau du Christ, scellé mais contenant la Vie.

Nous nous connaissons peu. Les catholiques connaissent peu les autres religions. Les musulmans et les hindous n’ont souvent du christianisme qu’une vision superficielle. Nous gagnerons à nous mieux nous connaître et cela enlèvera la peur.

Le dialogue de collaboration renvoie aux engagements humanitaires tandis que le dialogue spirituel correspond au partage de l’expérience de Dieu dans la prière.

En ce qui concerne le dialogue théologique, il est préférable de le confier aux experts. Le chrétien affirme et affermit sa foi dans le dialogue. Il respecte la différence des croyances. La foi chrétienne repose sur la liberté de conscience et de religion, qui n’est pas toujours partagée malheureusement par d’autres religions. Les disciples de Jésus vivent dans une société pluraliste qu’ils servent avec le meilleur d’eux-mêmes.

Notre frère dominicain, Mgr Pierre Claverie (+1996), évêque et martyr en Algérie, désirait que les hommes passent de la tolérance au dialogue. En regardant la société avec des menaces de violence et de divisions, Mgr Pierre Claverie tenait à se placer « sur les lignes de fracture » afin d’y travailler pour la paix et la réconciliation. À la suite de Jésus persécuté (cf. Jn 15,20) et de saint Paul qui a subi la prison, les coups de fouet et la lapidation, l’évêque d’Oran a versé son sang au service du dialogue avec les musulmans.

Dans la première lecture, tirée des Actes des apôtres, saint Luc nous a présenté la vision du Macédonien, événement extraordinaire qui m’a toujours émerveillé : « À Troas, pendant la nuit, Paul eut une vision : un Macédonien lui apparut,9) debout, qui lui faisait cette demande :  ‘Passe en Macédoine et viens à notre secours’ » (Ac 16, 9).

Il y a l’appel intérieur à sortir pour la mission. Dès le lendemain de cette vision, Paul et ses compagnons se sont mis en route vers la Macédoine, dans l’actuelle Europe, en quittant Troas dans la Turquie contemporaine.

Dans la tradition ignacienne, il est question du « sentir intérieur ». Dieu se manifeste se faisant « sentir » dans l’âme où il fait resplendir sa volonté. Cette volonté divine pour le salut de l’humanité finit par s’imposer dès l’intérieur à l’apôtre qui entreprend alors un nouveau chemin d’évangélisation.

Il me semble que cela s’applique aussi au dialogue interreligieux et aux appels que Dieu fait pour rapprocher les hommes.

Le cardinal Tauran affirmait : « Le religions font partie de la solution, pas du problème[2] ». Nombreux sont les exemples qui le montrent.

En 1986, le saint pape Jean-Paul II qui a foulé le sol de notre île, avait organisé à Assise (Italie) une rencontre interreligieuse avec une douzaine de représentants de plusieurs religions, sous le patronage de saint François, « le pauvre » qui voulut être le frère de tous.

La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 a aussi choisi ce mot « frère » pour désigner les relations entre les hommes.

Les religions contribuent à la paix.

À Marseille, en 1990, lors de la guerre du Golfe, le maire de la cité phocéenne réunit les représentants des religions présentes dans cette cité méditerranéenne afin de calmer les esprits. Dans la peur des conflits, des Marseillais achetaient des armes et se préparaient à des affrontements. C’est alors que dans le salon de la mairie, face aux journalistes et aux preneurs d’images, le prêtre orthodoxe Cyrille Argenti (+1994), proposa aux responsables religieux de se prendre par la main. Cette image de solidarité et d’espérance arrêta d’un coup les velléités de violence.

À La Réunion, le Groupe de dialogue interreligieux GDIR, travaille activement pour la paix. Par ailleurs, en tant qu’aumônier de la prison de Domenjod, je me réjouis des prières communes organisées à peu près une fois par an avec nos frères musulmans. Chrétiens et musulmans prient chacun selon sa foi et au terme de la rencontre, nous partageons un jus de fruit, geste d’amitié. Le fait de se serrer la main et de prier ensemble témoigne de notre fraternité. Les autres détenus comprennent que ce ne sont pas les religions qui déclencheront la violence.

Retenons encore une fois le message du cardinal Tauran : « Les religions font partie de la solution, pas du problème ».

NOTES

[1] « Le Haut Comité pour la fraternité humaine » a invité tous les croyants à une prière contre le Covid-19 le 14 mai 2020. Le Haut-Comité pour la fraternité humaine est né de la signature le 4 février 2019 à Abou Dhabi du « Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune » par le Pape François et le Grand Imam d’Al-Azhar, Ahmad Al-Tayyib lors du voyage du Saint-Père aux Émirats arabes unis.

[2] Cardinal Jean-Louis Tauran, Je crois en l’homme, « Les religions font partie de la solution, pas du problème », Paris, Bayard, 2016.

 

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Fr. Manuel Rivero, O.P.

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