Le P. Christophe Roucou souligne l’importance de former les futurs prêtres et les futurs imams « à la rencontre de l’autre »: « On ne peut pas ignorer la tradition de l’autre ». Et il souligne aussi l’importance de tenir ensemble la solidarité avec les chrétiens d’Orient persécutés et le dialogue avec l’islam en France.
Au sortir de l’audience générale du mercredi et de la rencontre avec le pape François, hier, 7 janvier, en la salle Paul VI du Vatican, quatre imams français engagés dans le dialogue interreligieux ont condamné de façon unanime l’attentat de Paris.
Ils ont rencontré la presse en fin d’après-midi à l’ambassade de France près le Saint-Siège, aux côtés de Mgr Michel Dubost et du P. Christophe Roucou. Mgr Dubost, évêque d’Evry-Corbeil-Essones, est président du Conseil pour les relations interreligieuses de la Conférence des évêques de France (CEF) et le P. Roucou est directeur du Service national pour les relations avec l’islam (SRI).
La solidarité avec les chrétiens et le dialogue avec l’islam
Le P. Roucou refuse d’opposer la solidarité avec les Orientaux chrétiens et le dialogue avec les musulmans de France : « Parfois, dans le contexte actuel on va opposer « chrétiens d’Orient » et « musulmans de France ». La ligne que nous avons eue, avec Mgr Santier d’abord et avec Mgr Dubost maintenant, c’est pour moi une conviction. J’ai vécu neuf ans en Egypte. J’y ai des amis. Il n’y a pas à choisir entre l’amitié avec mes voisins musulmans, avec nos amis ici présents, et la solidarité avec mes frères chrétiens d’Orient : ce sont deux choses à tenir ensemble, et à ne pas opposer l’une à l’autre. Ce n’est pas parce que je serai moins ami avec Azzedine Gaci que le sort de mes frères changera. Il me semble que c’est un message quelquefois difficile à faire entendre. Mais il peut prendre l’exemple du cardinal Barbarin qui est un grand ami d’Azzedine Gaci. A la fois il va en Irak et il signe « L’Appel de Lyon » avec Azzedine Gaci. C’est un message que je voudrais faire passer. »
Le P. Roucou a insisté sur la formation des « cadres »: « On est tous pris par l’actualité. Comme organisateur du voyage je voudrais souligner que le rendez-vous que nous venons d’avoir pendant deux heures au PISAI (http://fr.pisai.it/) et celui que nous allons avoir tout-à l’heure avec les séminaristes français, sont vraiment la mise en pratique de ce qu’ont dit les uns et les autres. On est tout à fait conscients qu’il faut aujourd’hui que les futurs prêtres, les futurs imams soient formés à la rencontre de l’autre, et tout à l’heure, au PISAI, il y avait une majorité d’étudiants de l’Afrique subsaharienne, du Pakistan, du Liban, qui se sont exprimés. Il y a eu vraiment un échange, des questions franches ont été posées, et des réponses aussi de la part de nos amis imams qui n’étaient pas de la langue de bois. C’est vraiment ce qu’on cherche. On n’en n’est pas encore à des échanges réguliers entre le PISAI et d’autres instituts de formation, mais par exemple, l’objectif de l’équipe du séminaire qui nous accueille ce soir, c’est de permettre aussi un échange avec les jeunes du séminaire français, pour casser certaines caricatures. Je voudrais aussi remercier nos amis musulmans qui sont là. Tout à l’heure le débat était vraiment en vérité, on n’était pas dans la langue de bois. »
La formation des prêtres et des imams
En effet, il fait observer l’ignorance de l’autre, entre religions : « Comment connaissons-nous la tradition de l’autre ? Un exemple très concret : au cours de la semaine islamo-chrétienne de novembre dernier, j’ai été invité à Mulhouse, dans un centre culturel turc où – ce n’est pas fréquent – il y avait à la fois des gens de tradition musulmane maghrébine et turque, dans le même lieu. Il y avait différentes générations, de jeunes Turcs musulmans à des retraités âgés. Et le thème était : « Abraham ». On n’a pas écouté un prêtre ou un imam parler d’Abraham. En petit groupes, dans la mosquée, les musulmans lisaient les textes de la Bible parlant d’Abraham et les chrétiens lisaient les textes du Coran. Avec chaque fois un interlocuteur. On prenait connaissance de ce que dit l’autre. On était à l’écoute de l’autre. Je prends cela comme un « événement » : c’est la première fois que je participais à une telle rencontre où l’on prend le temps d’écouter l’autre et de mettre le nez – si vous me pardonnez l’expression – dans la tradition de l’autre. »
Avec l’attentat, il y aura, a continué le P. Roucou, « il y a un « avant » et un « après » »: « Il y a une urgence encore plus grande à ce que dans la formation des futurs prêtres, dans la formation des futurs cadres musulmans – pas seulement l’imam -, il y ait une place qui soit faite à l’autre. Qu’un chrétien dise ce qu’est la foi pour lui, comment il la vit, à des futurs imams. Qu’un musulman – et cela se produit – dise aussi ce qu’il vit de sa foi, pour le faire comprendre à des futurs prêtres. »
L’enseignement public ne peut plus ignorer les religions
Il confiait une remarque du cardinal français Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux : « Le cardinal Tauran, c’est une constante chez lui, me disait il y a huit jours: « Comment les futurs prêtres sont-ils formés aujourd’hui à l’islam ? » Et je lui ai répondu : « J’enseigne à l’Institut catholique de Paris, dans un cursus assez complet sur deux ans, à propos de l’islam. Il va y avoir un cours de commentaire coranique, qui est fait par deux musulmans, un chiite et un sunnite. » C’est un exemple. »
Et d’insister : « Pour moi, les événements qui se passent aujourd’hui renforcent le fait que l’on ne peut pas ignorer la tradition de l’autre. Et il y a deux domaines où l’on pourrait faire beaucoup plus : le domaine des jeunes et de l’éducation. Il se passe des choses dans le scoutisme qui sont intéressantes. Il se passe des choses dans l’enseignement catholique. Je suis issu de l’enseignement public : l’enseignement public ne peut plus passer à côté de la dimension religieuse d’un certain nombre de nos concitoyens. Il y a quelquefois un autisme de nos hommes et de nos femmes politiques par rapport à la dimension religieuse : chacun a le droit d’être croyant ou incroyant, mais quand on est élu, responsable, on ne peut pas ne pas considérer que c’est une dimension importante pour un certain nombre de nos concitoyens. »