ROME, Dimanche 4 septembre 2005 (ZENIT.org) – « C’est un souvenir que l’on porte encore dans son cœur, surtout pour ceux qui ont connu cette grande transformation de l’Europe. Et précisément à l’origine de cette transformation et de la transformation qui s’opère actuellement en Europe, se trouve la révolution de Solidarnosc », a affirmé le journaliste Gianfranco Svidercoschi.
Dans cet entretien accordé à Zenit, Gianfranco Svidercoschi, auteur d’un récent ouvrage intitulé « Storia di Karol » (Histoire de Karol), dont le nom pour la série télévisée est « Karol, un uomo diventato Papa » (Karol, un homme devenu Pape), retrace le caractère unique de ce mouvement ouvrier, fondé en Pologne en septembre 1980, qui contribua à l’effondrement du communisme.
Zenit : Pourquoi l’appelez-vous révolution ?
G. Svidercoschi : Parce que cela a été la révolution de tout un peuple. Parce que pendant tant d’années en Pologne il y avait eu ce que le cardinal Wyszynski appelait « les petites révolutions » : en 1956, les ouvriers, en 1968, les étudiants et les intellectuels. En 1970, à nouveau les ouvriers sur la Baltique… jusqu’à ce qu’en 1976 ait lieu une protestation ouvrière qui marqua l’union de toute la société.
Les ouvriers protestèrent et en payèrent les conséquences par la prison, mais pour la première fois, les étudiants et d’autres groupes sociaux se trouvèrent d’une certaine manière unis. Il s’était alors créé ce que nous appelons la subjectivité de la nation polonaise. De là naquit Solidarnosc. En 1980, le 1er juillet, une grève fut organisée. Le régime communiste chercha à calmer l’agitation en distribuant des augmentations, mais les grèves s’enchaînèrent. Un vrai effet domino dans tout le pays.
Le 15 août les chantiers de la Baltique commencèrent aussi à se mettre en grève. Là, ce fut la vraie protestation, la plus forte de toute la Pologne. Le régime communiste polonais – Brejnev de Moscou continuait d’insister pour que l’on signe, de peur que « la peste polonaise » ne s’étende partout – décida le 30/31 août de signer les accords de Gdansk.
Zenit : Pourquoi sont-ils passés à l’histoire ?
G. Svidercoschi : Parce qu’ils n’ont pas seulement représenté une plate-forme sociale mais également une plate-forme éthique… on demandait entre autres des émissions pour l’Eglise. Un aspect éthique et religieux déjà présent dans les protestations : des images de la Vierge noire et de Jean-Paul II étaient accrochées sur les grilles des chantiers de Gdansk.
Zenit : De quelle manière la présence de l’Eglise en Pologne a-t-elle encourager les ouvriers ?
G. Svidercoschi : Même ceux qui étaient de gauche, ou communistes dissidents, trouvaient dans l’Eglise un appui, un soutien. Pendant trop longtemps on a pensé que l’Eglise en Pologne était une Eglise conservatrice. Elle s’était au contraire renouvelée après le Concile et ne défendait pas sa propre liberté, mais elle défendait la liberté de l’homme indépendamment de la carte (du parti) ou de la croyance que l’on avait.
Qui plus est, au-delà même de l’engagement de l’Eglise polonaise – Staline répétait toujours : si au moins nous avions le cardinal Wyszynski avec nous – l’élection du pape polonais avait eu lieu deux ans auparavant. C’était comme une sorte de parapluie de protection pour cette révolution qui naissait en Pologne mais aurait eu la force de s’étendre à toute l’Europe de l’Est.
Zenit : Pourquoi « le pape polonais » était-il important ?
G. Svidercoschi : Il était important non parce que – comme lui-même le disait dans son dernier livre « Mémoire et identité » – il a été l’auteur de la chute du Mur… mais pour le fait même qu’il y avait un pape polonais à Rome, un pape de cette Nation où dans la grande majorité catholique de la population s’était créé ce mouvement populaire qui amena justement à la naissance de Solidarnosc et aussi aux transformations de la Pologne.
Zenit : Quel était le regard de l’Occident face à ces transformations qui survenaient en Pologne ?
G. Svidercoschi : Je crois que l’Occident a commis une grande erreur pendant cette période, avant tout parce qu’il n’avait pas compris ce qui se passait en Pologne. Je me suis rendu en Pologne en janvier 1977 pour mener une enquête, après la signature de l’accord entre ouvriers, intellectuels, étudiants et autres dissidents… Eh bien, pas un seul journaliste occidental n’était allé voir ce qui était en train de se passer. Quand on assista aux protestations en chaîne, comme je le disais plus haut, pas même un entrefilet ne fut publié à ce sujet pendant un mois dans les journaux occidentaux. On pensait désormais que le monde communiste était un monde fermé, un monde clos et que la séparation du reste de l’Europe était définitive.
Mais à Rome il y avait une personne, peut-être la seule personne au monde qui croyait au contraire en la possibilité que le monde puisse encore changer ; que la Pologne puisse encore respirer avec deux poumons : le poumon occidental et le poumon oriental. C’était Jean-Paul II. Voilà, en cela je crois que la présence d’un pape polonais et non occidental, a été fondamentale.
Zenit : Que reste-t-il aujourd’hui de Solidarnosc ?
G. Svidercoschi : Les choses ont changé, disons que le pape avait raison quand il se rendit en Pologne et fit sa prédication sur le credo : il comprenait que, une fois que les portes de la Pologne et des autres pays de l’Est se seraient ouvertes, après la chute du Mur de Berlin, un autre grave danger menacerait : le consumérisme. Cette forme de société déchristianisée, laïcisée qui a ensuite entraîné la Pologne et les autres pays.
Solidarnosc représente en tout cas le levier qui a conduit à la chute du Mur, du communisme… par des voies secrètes, mystérieuses… tout ce qui est né entre le 30 et le 31 août 1980 sur la Baltique a conduit ensuite à la transformation de l’Europe. Tous ne seront peut-être pas satisfaits de l’Europe actuelle mais il existe une grande chose en Europe, la liberté – comme disait le pape en arrivant à Prague, consacrant d’une certaine manière la fin du communisme. Auparavant, ces peuples n’avaient pas de liberté, aujourd’hui ils l’ont.. Peut-être tous n’ont-ils pas fait un bon usage de la liberté reconquise, à commencer peut-être par les Polonais, mais au moins l’homme de l’Est de l’Europe vit aujourd’hui libre de manière égale à l’européen de l’autre côté de l’Europe.