Allocution de Mgr Vingt-Trois au Mémorial de la Shoah (Paris)

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Développer les « bonnes relations » avec la Communauté juive

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ROME, Lundi 2 mai 2005 (ZENIT.org) – Mgr Vingt-Trois veut développer les « bonnes relations » de l’Eglise de Paris avec la Communauté juive. « Ce mur nous invite au silence, à la mémoire et à la responsabilité », déclare-t-il au Mémorial de la Shoah, en présence du cardinal Jean-Marie Lustiger, dont il souligne la contribution, ainsi que celle du pape Jean-Paul II.

Voici le texte intégral de l’allocution de l’archevêque de Paris, Mgr André Vingt-Trois lors de sa visite au Mémorial de la Shoah de Paris, hier, lundi 2 mai.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Nouvel archevêque de Paris, je souhaitais vivement rencontrer des membres de la communauté juive et leur exprimer mon souhait de poursuivre et de développer avec eux les bonnes relations qui se sont établies avec le cardinal Lustiger que je remercie de m’accompagner aujourd’hui.

Permettez-moi tout d’abord de vous dire mon émotion de vivre cette première rencontre publique avec les membres de la communauté juive dans ce mémorial de la Shoah qui est si évocateur du passé encore récent de votre communauté et de notre pays. Le mur qui porte tous les noms de celles et de ceux qui furent envoyés vers les camps de la mort à partir de la France –noms retrouvés grâce au précieux travail de Maître Klarsfeld-. Ce mur nous invite au silence, à la mémoire et à la responsabilité.

Au silence, car seul le silence convient pour demeurer dans le respect envers celles et ceux, enfants, jeunes parents, personnes âgées, qui ont été parqués, transportés dans des wagons à bestiaux et exterminés dans les chambres à gaz, seulement parce qu’ils étaient nés juifs. Leurs noms gravés dans la pierre, ici à Paris, constituent un mémorial contre l’oubli et la banalisation.
A la mémoire, car nous ne pouvons pas oublier, nous ne devons pas oublier, toutes celles et tous ceux qui, au risque de leur vie, ont caché un enfant, une famille, parfois toute une communauté. Nous ne devons pas non plus oublier, le mépris antisémite qui a sévi dans notre pays avant la guerre ni les actes de délation ni les coopérations qui ont marqué les rafles de ces années terribles.

Notre Église catholique a voulu reconnaître sa part de responsabilité dans cette histoire tragique. Sans nous complaire dans une attitude de repentance, nous ne devons pas oublier nos fautes si nous voulons que notre conscience soit éclairée par notre mémoire. Le Pape Jean-Paul II nous a invités à ce long travail de conversion et de purification de la mémoire. Il nous en a donné l’exemple. Le petit papier qu’il a glissé en mars 2000, dans les fentes du Mur du Kotel à Jérusalem reste très profondément gravé dans la mémoire catholique et, plus largement, dans la mémoire humaine.

Je tiens à remercier celles et ceux, nombreux, de toutes organisations qui, lors du décès de Jean-Paul II, ont adressé à l’Église catholique, non seulement des condoléances de courtoisie, mais des messages de profonde sympathie. Lors des obsèques du Pape, sur le parvis de la Basilique saint Pierre, j’ai pu saluer ceux qui sont venus spécialement de Paris pour participer aux funérailles et notamment parmi eux, M. Roger CUCKIERMAN. La présence de cette délégation était tout un message en elle-même.

Ces gestes et ces déplacements ont ouvert des pages d’une histoire nouvelle entre nos communautés, une histoire de la paix. Nous devons pas laisser l’habitude affadir cette qualité de nos relations. Nous devons garder une mémoire vive de ces gestes longtemps inimaginables, posés tout autant par des membres du peuple juif que par des membres de l’Église catholique, depuis soixante ans.

Nous n’oublions pas les démarches du Grand Rabbin de France, Jacob Kaplan ni celles de Jules Isaac qui avait perdu sa femme et sa fille à Auschwitz. Après la guerre, il s’est rendu plusieurs fois auprès du Pape pour ouvrir les chemins de nouvelles relations entre nous. Comment oublier cette dernière rencontre entre Jean XXIII et Jules Isaac ? Celui-ci, après avoir remis un ouvrage au Pape lui demande : « M’est-il permis d’espérer ? ». Jean XXIII lui répondit : « Plus que d’espérer. »

Nous savons que le Concile Vatican II a donné corps à cette espérance, en particulier sous l’impulsion du cardinal BEA. Mais cette espérance a pris une forme nouvelle et plus intense lorsque Jean-Paul II, répondant à l’invitation du Grand Rabbin de Rome, est entré, pour la première fois dans l’histoire de la papauté, dans la synagogue de Rome. C’est là que, pour la première fois, Jean Paul II vous nomma « frères aînés ». Cette expression fut reprise à travers le monde, notamment par le Pape lui-même qui visita de nombreuses communautés juives, notamment à Miami, à Buenos Aires, à Strasbourg et à Lyon.

Cette reconnaissance et ce respect des juifs ne signifient pas pour nous la simple expression d’une tolérance entre religions différentes, mais une véritable reconnaissance religieuse de la mission du peuple juif. C’est ce que Jean-Paul II a exprimé très clairement lors de sa prière sur l’emplacement du ghetto de Varsovie, à la Umschlagplatz, le 11 mai 1999 (vous étiez présent à cet événement docteur Prasquier).

Dieu d’Abraham, Dieu des prophètes, Dieu de Jésus-Christ, en Toi tout est contenu ; vers Toi tout se dirige ; Tu es le terme de tout. Exauce notre prière à l’intention du peuple juif, qu’en raison de ses pères, Tu continues de chérir. Suscite en lui le désir toujours plus vif de pénétrer profondément Ta vérité et Ton amour.

Assiste le pour que, dans ses efforts pour la paix et la justice il soit soutenu dans sa grande mission de révélation au monde de Ta bénédiction.

Qu’il rencontre respect et amour chez ceux qui ne comprennent pas encore ses souffrances comme chez ceux qui compatissent aux blessures profondes qui lui ont été infligées, avec le sentiment du respect mutuel des uns envers les autres.

Souviens toi des générations nouvelles, des jeunes et des enfants : qu’ils persistent dans la fidélité envers Toi, dans ce qui constitue l’exceptionnel mystère de leur vocation.

Inspire les pour que l’humanité comprenne par leurs témoignages que tous les peuples ont une seule origine et une seule fin.

Dieu dont le dessein de salut s’étend à tous les hommes. AMEN

Le Pape priait aux intentions des juifs et non pas pour les juifs afin de ne pas se substituer à eux, même dans la prière. Dans sa terre natale de Pologne, en un lieu de mémoire de la barbarie la plus tragique, celle du ghetto de Varsovie, il exprimait sa reconnaissance intime et priante de la responsabilité que Dieu confie aux juifs pour aujourd’hui.

Si nous sommes engagés ensemble pour une fraternité religieuse et séculière, dans le respect mutuel de nos traditions respectives, cette fraternité n’exclut personne. Elle constitue, au contraire, une pierre de soutènement pour une fraternité plus large et une paix respectueuse entre les religions.

Dans ce cadre dramatique, nous sommes invités à la responsabilité. Comme Jean-Paul II l’avait énoncé à Mayence, le 17 novembre 1980, pour nous, catholiques, cette responsabilité envers les juifs comporte au moins trois dimensions :
Tout d’abord enseigner aux catholiques les traditions juives afin qu’ils découvrent avec plus de richesse le mystère de leur propre foi.
Ensuite étudier et connaître l’histoire de l’antisémitisme, y compris l’histoire des actes imputables aux chrétiens au cours des siècles, afin que notre conscience en soit éclairée.
Enfin mieux engager les catholiques dans une connaissance, un respect et une compréhension spirituelle et religieuse des juifs vivant aujourd’hui en diaspora comme en Israël.

Comme vous le savez, dans le diocèse de Paris, de nomb
reuses initiatives one été déployées dans ces trois directions. Je voudrais insister particulièrement ce soir sur la vigilance nécessaire dans notre société à l’égard de discours ou d’actes antisémites. Tous les actes de violence sociale ne peuvent pas être dénommés « antisémites » sans autre examen, au risque de provoquer des réactions de rejet. Mais nous sommes tous très conscients, -et plus encore en ce lieu-, que l’antisémitisme rampant et discret peut devenir l’un des éléments favorables au déclenchement de la persécution. Et nous devons tenir l’antisémitisme pour un péché contre Dieu et contre les hommes.

Dans l’ordre de ces relations entre nos communautés, je ne saurais oublier les rencontres entre juifs et catholiques initiées par le cardinal Lustiger et le Congrès juif européen. Elles ont réunis à Paris évêques et cardinaux de toute l’Europe avec des Rabbins et des présidents de communautés venant tout autant d’Espagne que d’Ukraine ou de Russie. D’autre part, le cardinal Lustiger et Mgr Jean-Pierre Ricard, président de la conférence des évêques de France, et en partenariat avec M. Israël Singer du Congrès juif mondial, ont suscité deux colloques entre cardinaux, archevêques et rabbins de Yeshivots orthodoxes à Brooklyn.

Ces initiatives permettent de chercher une expression commune sur des sujets importants pour l’avenir des hommes et, donc, aux yeux de Dieu. Je suis résolu à m’y associer et à travailler à les déployer largement dans le futur.

De plus, avec les rabbins orthodoxes comme avec les responsables des organisations juives, nous sommes entrés dans une alliance séculière envers les autres au nom d’une éthique commune reçue au Mont Sinaï !

Que ce soit à Buenos Aires où le Joint et la Caritas ont uni leurs efforts pour ouvrir des centres alimentaires dirigés par des prêtres et des rabbins lors du crash économique du pays, que ce soit à Sao Paulo où des initiatives de même niveau sont actuellement mises en place, que ce soit en Ukraine, où catholiques et juifs s’unissent pour retrouver les lieux et les témoins des exécutions des juifs par les Einsatzgruppen et rendre une dignité aux Juifs qui ont été jetés dans les fosse communes.

Juifs et catholiques doivent assumer leur responsabilité envers les autres au nom même du Créateur de tout homme.

Pour l’enseignement des traditions juives auprès des chrétiens, pour le respect des juifs vivant aujourd’hui, pour la recherche d’une expression interreligieuse commune face aux défis du monde contemporain et pour notre coopération envers les besoins des sociétés, j’engage ma responsabilité avec toute la force de ma conviction et de ma foi au Tout-Puissant.

L’élection du Pape Benoît XVI annonce la poursuite des bonnes relations de l’Église catholique avec les Juifs. Ses premières prises de parole en témoignent. Et je sais que ici, comme en Israël, vous en avez été convaincus dès l’abord. Je tiens à vous remercier particulièrement pour votre intervention publique après les ignominies dont il a été accablé par certains médias. Vous savez, mieux que quiconque, combien la dérision peut être un chemin vers l’intolérance et l’exclusion culturelle et sociale. Le mépris de l’autre et son abaissement par le ridicule ou l’injure sont des atteintes la dignité humaine.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je vous renouvelle ma gratitude pour l’accueil que vous me réservez en ce haut lieu qui, mieux qu’aucun autre, est capable de nous faire mesurer les enjeux de la mémoire, du respect mutuel et de la collaboration entre nos deux communautés.

Que le Tout-Puissant bénisse notre rencontre !

Merci.

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ZENIT Staff

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