ROME, Jeudi 23 septembre 2010 (ZENIT.org) – L’Eglise catholique appelle le président de la République d’Indonésie à se montrer résolu dans la lutte contre la corruption.
Tandis que trois des principaux postes au sommet de l’Etat en lien avec la lutte contre la corruption et le respect des droits de l’homme doivent prochainement être pourvus, l’Eglise catholique appelle le président de la République à se montrer résolu dans ses choix, indique, ce 23 septembre, « Eglises d’Asie » (EDA), l’agence des Missions étrangères de Paris qui publie aussi cette lettre des évêques au président.
Lettre des évêques catholiques au président de la République
16 août 2010, Djakarta
Au président de la République d’Indonésie
Dr. H. Susilo Bambang Yudhoyono
Monsieur le Président,
A l’approche du 65ème anniversaire de la Proclamation de l’indépendance de la nation indonésienne, permettez-nous, Conférence des évêques catholiques d’Indonésie, de vous écrire cette lettre.
En tout premier lieu, nous souhaitons, Monsieur le Président, vous dire merci. Sous votre présidence, notre pays parvient à surmonter les secousses liées aux profondes transformations survenues il y a douze ans (1). La vie de la nation devient plus stable, les conflits et la violence s’apaisent, l’économie commence à s’améliorer, tandis qu’au plan international l’Indonésie tient une place respectable. Et nous éprouvons de la gratitude pour le fait que, sous votre présidence, le Pancasila (2), la Constitution de 1945 et la philosophie de l’Etat unitaire de la République d’Indonésie – « L’unité dans la diversité » (Bhinneka Tunggal Ika) – demeurent le fondement de la gouvernance de l’Etat.
Cependant, Monsieur le Président, tous ces résultats que nous reconnaissons et pour lesquels nous éprouvons de la gratitude ne peuvent dissimuler la réalité qui est que, dans la population, on constate beaucoup d’inquiétudes, qui, si on ne les prend pas sérieusement en considération, peuvent menacer l’avenir de notre nation.
D’un côté, une assez grande partie du peuple indonésien fait encore face à de sérieuses difficultés dans la vie quotidienne : elles concernent l’emploi, le coût encore élevé de l’éducation et de la santé, la criminalité et la délinquance qui font régner un sentiment d’insécurité, tandis que la qualité de vie du petit peuple ne cesse de s’amoindrir. Après 65 ans de liberté, plus de 100 millions de citoyens ne peuvent encore jouir d’un niveau de vie normal.
Au même moment, le peuple constate que l’élite politique ne se préoccupe que d’elle-même. Les événements de ces dix derniers mois ont rendu la population de plus en plus cynique. Chaque jour, les médias nous présentent les mêmes informations : les représentants du peuple semblent ne chercher que de nouvelles astuces pour se remplir les poches ; la police donne l’impression de vouloir saboter de toutes les façons possibles chaque effort fait pour supprimer la corruption en son sein ; le ministère public est soupçonné d’avoir volontairement ralenti les enquêtes pour fraude ; le peuple a toutes les difficultés pour obtenir justice à cause d’une mafia judiciaire. Pendant ce temps, le gouvernement semble permettre que soient rongées les compétences et le pouvoir des institutions mandatées pour éradiquer la corruption, comme la KPK (3).
Monsieur le Président, le peuple a de plus en plus l’impression que l’élite politique ne sert qu’elle-même. Cela risque d’être fatal car le peuple va finir par perdre confiance en notre système politique, lequel tient en grande estime le Pancasila, et que nous nous sommes efforcés de construire au travers des difficultés au long de ces dernières douze années.
Nous constatons deux développements inquiétants. D’un côté, de plus en plus de personnes ne veulent plus entendre parler de politique, du sort de la nation et des aspirations communes. Ils ne recherchent que la sécurité et leur propre réussite. Ils aspirent à se hisser sur l’échelle sociale afin d’atteindre un niveau leur permettant de jouir de la consommation telle qu’elle est mise en avant par la publicité, les campagnes de promotion et les centres commerciaux. Ils cèdent à l’opportunisme et constatent que cette valeur prédomine au sein des élites politiques. Le sentiment national et le sens de la solidarité s’évaporent. L’exemple donné par les élites persuade le peuple que ce ne sont pas l’honnêteté, le travail dur et de qualité qui conduisent au succès, mais au contraire l’habileté dans l’usage des opportunités, des relations et de l’escroquerie. La généralisation sans gêne de telles attitudes mine la substance morale de notre nation et met en péril l’avenir.
D’un autre côté, nous constatons l’augmentation de l’intolérance, des attitudes de fermeture, violentes et fanatiques. La capacité d’accueillir des frères et des sœurs de culture et de religion différentes s’amoindrit. A lui seul, le potentiel conflictuel dans la population s’accroît.
De manière toute particulière, nous souhaiterions pointer trois inquiétudes.
La première concerne la réalité qu’environ 40 % de notre nation ne connaît pas la prospérité. Après soixante-cinq ans de liberté, cette réalité devrait nous interpeller. Le peuple est en attente d’une sagesse politique et économique qui, de façon très concrète, se range du côté des petits. Ce que voit actuellement le peuple, ce ne sont que de grands projets dont ils sont exclus, lorsqu’ils ne sont pas victimes d’expropriation. Ce qu’attendent les petits, ce n’est pas d’être écartés ni expropriés, mais au contraire d’être considérés comme une ressource, de sorte qu’ils reprennent force et redeviennent acteurs de leur destinée.
Deuxièmement, nous ne pouvons pas cacher notre inquiétude quant à l’augmentation de l’intolérance dans la population. Ce que nous déplorons le plus est que le pays semble ne pas être en mesure de protéger ceux dont la croyance est différente de celle de la majorité. Nous sommes très affligés de constater que des personnes en sont réduit à prier dans une atmosphère de crainte, que des personnes doivent s’enfuir de leur maison car elles sont menacées, que des personnes soient contraintes de renoncer à ce qu’elles croient. Les hésitations de la part de ceux qui sont responsables de la sécurité et de l’ordre public, et qui devraient protéger les personnes menacées, ne font qu’accroître le zèle de ceux qui veulent imposer leurs règles. Cela fait longtemps que nous attendons une prise de parole de votre part à l’adresse de tout le peuple indonésien pour rappeler que nous formons une seule nation, que tous les citoyens, quelle que soit leur communauté d’appartenance, grande ou petite, tous sont protégés et à tous est garanti le droit de suivre leur propre croyance. Nous attendons que vous garantissiez clairement et publiquement que notre pays ne permettra jamais que des groupes minoritaires soient menacés.
Troisièmement, le plus grave concerne la corruption qui imprègne toute la vie de la nation. Nous nous réjouissons du fait que, sous votre présidence, l’éradication de la corruption soit une priorité sans cesse réaffirmée. Cependant, la corruption prend toujours pour modèle ce qui est pourri au sommet. Nous pensons que l’heure n’est plus aux hésitations et que la corruption doit être sanctionnée sans exception aucune. Vous pouvez croire, Monsieur le Président, que la très grande majorité du peuple indonésien soutiendra totalement l’effort d’éradication de la corruption que vous vous pourrez mettre en œuvre, et il ne doit pas y avoir de droits acquis qui pourraient résister à cette offensive anticorruption. Nous pensons que la corruption est un véritable cancer dans le corps de la nation indonésienne, un cancer capable de la détruire. Une nation
qui ne sait plus ce qu’est l’intégrité ne peut pas perdurer.
Cher Monsieur le Président, voilà ce qu’il y a dans notre cœur et que nous voulions vous dire. Nous avons une très vive conscience que surmonter tous ces problèmes n’est pas une tâche facile. Nous reconnaissons les avancées déjà faites. Mais maintenant le peuple indonésien a besoin d’une perspective d’avenir convaincante. Nous soutiendrons chacune de vos décisions qui accélèreront la lutte pour une Indonésie prospère, juste et moderne, où la dignité de tous ses citoyens sera protégée sur la base du Pancasila.
Soyez assurés de nos sincères prières pour votre tâche à la présidence.
Présidium de la Conférence des évêques d’Indonésie
Mgr. Martinus D. Situmorang, OFMCap
président
Mgr. Johannes Pujasumarta
secrétaire général
(1) NdT : En mai 1998, après trente-deux ans au pouvoir, le président Suharto démissionne, ouvrant la voie à une démocratisation du régime politique.
(2) Le pancasila est l’idéologie nationale en cinq principes qui est à la base de la République unitaire d’Indonésie : croyance en Dieu (monothéisme), démocratie, justice sociale, gouvernement par consensus et unité du pays.
(3) Agence gouvernementale, la KPK (Komisi Pemberantasan Korupsi, Commission pour l’éradication de la corruption) a été formée au titre d’une loi votée en 2002. Mise en place fin 2003, elle dispose d’un pouvoir d’enquête et de justice. Si son travail a pu aboutir à des condamnations dans 86 dossiers, elle doit faire face à un montant considérable d’affaires qui lui ont été signalées mais qu’elle ne peut instruire faute de moyens humains et matériels. En outre, les méthodes qu’elle a utilisées (écoutes et enregistrements) et le profil des personnes mises en cause par ses services (des personnalités haut placées) lui valent de voir ses pouvoirs régulièrement remis en cause au Parlement.