Le Préposé général de la Compagnie de Jésus, le P. Adolfo Nicolas SJ, adresse cette lettre à tous les jésuites du monde, à l’occasion de la Commémoration du deuxième centenaire
du rétablissement de la Compagnie de Jésus (3 janvier-27 septembre 2014).
Il invite à la « mémoire » : « Celui qui oublie son passé ne sait pas qui il est. Mieux nous connaîtrons notre histoire et la comprendrons en profondeur, mieux nous comprendrons notre identité, individuelle et collective, comme corps apostolique dans l’Eglise. »
Il appelle à la créativité et à la générosité: « Puissions-nous avoir encore le privilège et la joie de servir l’Eglise et le monde, en particulier ceux qui sont dans le besoin, grâce à nos ministères! »
Lettre du Général des Jésuites
Chers Frères et Amis dans le Seigneur,
Voilà près de deux ans, le 1er janvier 2012, j’ai écrit à tous les Supérieurs Majeurs pour les inciter à engager les préparatifs de la commémoration, en 2014, du deuxième centenaire du rétablissement de la Compagnie de Jésus. Par ce courrier, je souhaite aujourd’hui inviter tous les jésuites et tous nos collaborateurs, mais aussi chaque communauté, œuvre apostolique, Région et Province de la Compagnie, à commémorer le 200ème anniversaire du rétablissement de la Compagnie en 2014 en se laissant habiter de sentiments d’humble et sincère gratitude envers le Seigneur, en désirant tirer un enseignement de notre histoire et en vivant cette occasion comme un temps de renouveau apostolique et spirituel.
2014 sera une année importante pour l’étude de notre histoire en tant que Compagnie. Dans de nombreuses régions du monde, des recherches approfondies, des publications, des réunions et des conférences universitaires ont été programmées. Elles ouvriront à une connaissance et à une compréhension plus approfondies des réalités complexes de la suppression et du rétablissement de la Compagnie : les faits, les causes, les acteurs principaux et les conséquences. Je suis reconnaissant pour tout le travail qui a été accompli et j’espère que ce grand travail de recherche historique et d’étude se poursuivra même au-delà de l’année 2014. Comme nous le savons, mémoire et identité sont profondément liées: celui qui oublie son passé ne sait pas qui il est. Mieux nous connaîtrons notre histoire et la comprendrons en profondeur, mieux nous comprendrons notre identité, individuelle et collective, comme corps apostolique dans l’Eglise.
En même temps, je souhaite que, au cours de l’année 2014, ces études historiques soient approfondies par la prière personnelle et communautaire, la réflexion et le discernement. Je crois que la meilleure façon d’entrer spirituellement dans cette année singulière – le 200ème anniversaire de la bulle pontificale Sollicitudo omnium ecclesiarum publiée le 7 août 1814 par le Pape Pie VII – est de rechercher la grâce suggérée par saint Ignace dans la Contemplatio ad amorem: demander au Seigneur « une connaissance intérieure de tout le bien reçu, afin que, par une pleine reconnaissance, je puisse en tout aimer et servir sa Divine Majesté » (Ex. Sp. 233). En d’autres termes, nous ne souhaitons pas focaliser notre attention exclusivement sur le passé. Nous souhaitons mieux comprendre et évaluer notre passé afin de pouvoir aller de l’avant vers l’avenir « avec une ferveur et un élan renouvelés » (35ème Congrégation Générale, décret 1) pour notre vie et notre mission dès aujourd’hui.
Permettez-moi de proposer quelques thèmes qui pourront être retenus pour vos prière, réflexion et discernement de l’année à venir.
Fidélité créatrice: Que signifie pour nous aujourd’hui le fait que la Compagnie, qui, en dehors de l’Empire russe, avait tout perdu au moment de la suppression, ait été en mesure de se rétablir alors qu’elle n’avait aucune ressource? Par ailleurs, que peuvent nous apprendre les efforts faits par la Compagnie rétablie pour être fidèle à l’héritage ignatien dans un univers complètement transformé?
2. Amour de notre Institut: Dans une lettre importante, intitulée L’amour de la
Compagnie et de notre Institut (1830) et écrite par l’une des personnalités les plus importantes de la Compagnie rétablie, le Père Général Jan Roothaan, il apparaît que certains membres de la Compagnie nouvellement rétablie ont eu la tentation de l’aimer, pour ainsi dire, d’une manière extérieure ou superficielle: en attachant une grande valeur au nombre de ses institutions, en recherchant l’honneur que donne l’appréciation d’autrui, en tirant fierté d’être à nouveau puissants et influents. Le Père Roothaan a cherché au contraire à promouvoir un amour pour la réalité intérieure de la Compagnie: son Institut, son esprit et ses valeurs, sa manière de procéder enracinée dans les Exercices Spirituels. Que signifie pour nous aujourd’hui cet appel à nous concentrer avant tout sur la connaissance et l’amour de notre Institut?
3. Compagnonnage fraternel: Saint Joseph Pignatelli a été une autre personnalité importante de cette période. Lors des moments difficiles de l’expulsion et de l’errance, il a su réunir, renforcer et encourager ses frères. Même pendant la suppression, il a maintenu la communication, l’amitié et l’espoir parmi ses anciens compagnons. Que nous enseigne, à nous aujourd’hui qui sommes appelés par la 35ème Congrégation Générale à vivre la « communauté comme mission », le témoignage de ceux qui ont pris soin de leurs frères en temps de crise?
4. Mission universelle: Parmi les caractéristiques de la Compagnie rétablie on peut noter un remarquable esprit missionnaire, avec des initiatives très concrètes. Sous le généralat du Père Roothaan, 19 % des 5.209 membres de la Compagnie travaillaient en dehors de leur Province d’origine. Les racines de nombreuses Provinces d’Asie, d’Afrique, d’Amérique et d’Australie remontent aux années du rétablissement de la Compagnie. Que peut signifier pour nous aujourd’hui ce vif sens de la mission universelle au sein de la Compagnie nouvellement rétablie?
5. Foi en la Providence: Dans la Compagnie, nos prédécesseurs ont vécu des temps difficiles: la suppression, l’existence précaire de la Compagnie dans l’Empire russe, la fragmentation de la Compagnie au niveau local jusqu’à son rétablissement universel en 1814, les débuts fragiles et difficiles de la Compagnie rétablie. Que nous enseignent la patiente endurance, le courage, la foi et la confiance en la Providence divine et en la présence de l’Esprit dans l’Eglise qui ont habité nos frères au cours de cette période tumultueuse?
Je désire souligner à nouveau ce que j’ai demandé dans ma lettre précédente au sujet de l’année 2014: notre commémoration du Rétablissement – qui commence officiellement le 3 janvier, en la solennité du Très Saint Nom de Jésus, et se termine le 27 septembre, jour de l’anniversaire de la confirmation de la Compagnie en 1540 – doit éviter tout triomphalisme ou orgueil. Cependant, même en utilisant des moyens simples et modestes, j’espère que toutes les communautés, Régions et Provinces de la Compagnie s’efforceront de commémorer cet anniversaire d’une manière marquante et significative aux niveaux tant personnel que communautaire.
En considérant cette étape importante de notre histoire comme Compagnie, nous pouvons humblement remercier Dieu que notre « très petite Compagnie » continue à exister aujourd’hui. Puissions-nous, dans la Compagnie, continuer à trouver un chemin vers Dieu dans la spiritualité de Saint Ignace ! Puissions-nous continuer à grandir grâce au soutien et aux interpellations de nos frères en communauté ! Puissions-nous avoir encore le privilège et la joie de servir l’Eglise et le monde, en particulier ceux qui sont dans le besoin, grâce à nos ministèr
es ! Je demande au Seigneur que, par notre commémoration – habitée de reconnaissance – de ce 200ème anniversaire du rétablissement de la Compagnie, il nous conduise à une appropriation plus profonde de notre mode de vie et à un engagement plus créatif, généreux et joyeux dans l’offrande de nos existences au service de sa plus grande gloire.
Fraternellement vôtre dans le Christ,
Adolfo Nicolás, S.I.
Supérieur Général
Rome, le 14 novembre 2013
Fête de Saint Joseph Pignatelli
(Original : anglais)