Synode des évêques, veillée avec les jeunes © Vatican Media

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« Préparer le prochain synode : écouter le Peuple en le consultant », par Agnès Desmazières

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« Vivre davantage la synodalité dans les paroisses, les diocèses »

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Préparer le prochain synode :

écouter le Peuple en le consultant

Il y a un peu plus d’un an, le 7 mars 2020, était annoncé le thème du prochain Synode des évêques, dont l’assemblée générale se tiendra en octobre 2022 : « Pour une Église synodale : communion, participation et mission ». Ce thème avait été proposé par les évêques participants au précédent Synode sur l’Amazonie. Il était déjà au cœur de la réflexion du Synode sur les jeunes : son document final consacrait un chapitre à « La synodalité missionnaire de l’Eglise » (troisième partie, chapitre un).

Par l’annonce du choix de ce thème, l’assemblée du Synode était ainsi entrée dans sa phase préparatoire. Cette phase préparatoire « a pour objectif », comme l’indique la constitution apostolique Episcopalis communio (qui réglemente l’organisation du Synode des évêques), « la consultation du Peuple de Dieu sur le thème de l’Assemblée du Synode » (art. 5). Si le Synode est voué à « devenir toujours plus un instrument privilégié d’écoute du Peuple de Dieu » (Ibid., n. 6), la consultation du Peuple est appelée à se réaliser de manière effective.

La réalité dramatique de la pandémie, l’urgence d’avancer dans la réparation des abus sexuels ne doivent pas faire occulter le caractère crucial, pour la vie et la mission de l’Eglise (et donc pour sa réponse à la crise sociale et sa réparation des abus), de cette phase préparatoire et de la nécessaire consultation du Peuple de Dieu. Comme l’a rappelé le pape François lors de son discours du 17 octobre 2015 pour le 50ème anniversaire de l’institution du Synode des évêques, la synodalité représente une « dimension constitutive de l’Eglise ». L’Eglise ne peut ainsi poursuivre sa route, partageant les vicissitudes de ce monde, dans une écoute fidèle de l’Esprit – à l’œuvre en elle, dans chacun de ses membres et dans le monde – que par la voie de la synodalité.

Un kairos de la synodalité

Il y a sans doute un kairos – une occasion favorable, de l’ordre des « signes des temps », signe de la présence de l’Esprit à l’œuvre dans son Peuple – de la synodalité aujourd’hui. Comme le dit le pape François dans ce même discours, « le chemin de la synodalité est justement celui que Dieu attend de l’Eglise du troisième millénaire ». Ce chemin a certes été préparé et se situe dans le sillage de Vatican II : le pape Paul VI avait institué le Synode des évêques au début de la dernière session du Concile.

Synodalité et réforme de l’Eglise sont à comprendre en relation. Dario Vitali l’exprime bien : « Pour que la dimension synodale de l’Eglise soit traduite en expérience vécue et en praxis partagée, l’on a besoin d’une vraie et propre conversion ecclésiale[1] ». L’on pourrait aussi dire, réciproquement, que, pour une authentique conversion ecclésiale, l’on a besoin de vivre toujours davantage de la synodalité dans l’Eglise. Si le pape François en indiquait bien l’importance au chapitre un d’Evangelii gaudium, la crise des abus sexuels en signale encore plus l’urgence. Dans sa lettre au Peuple de Dieu du 20 août 2018, le pape François rappelait que : « Il est impossible d’imaginer une conversion de l’agir ecclésial sans la participation active de toutes les composantes du peuple de Dieu ».

La conversion ecclésiale est une conversion missionnaire. Il s’agit que l’Eglise soit toujours plus « en sortie », dans la fidélité à sa vocation, à sa mission. L’approfondissement de la synodalité coïncide aussi avec une conscience renouvelée que c’est tout le Peuple qui évangélise, tout baptisé est appelé à être disciple-missionnaire, là où il est, avec ce qu’il est. Si chacun est appelé à participer à la mission d’évangélisation de l’Eglise, chacun est aussi appelé à être acteur du processus synodal de l’Eglise, dans lequel celle-ci approfondit sa mission à la lumière de l’Evangile et dans l’écoute de l’Esprit.

Une écoute authentique se réalise dans la proximité

Parler de « synodalité » de l’Eglise invite à ne pas limiter l’écoute du Peuple au seul Synode des évêques et, plus encore, à la seule assemblée générale. Comme l’exprime bien le pape François, « le Synode des évêques est seulement la manifestation la plus évidente d’un dynamisme de communion qui inspire toutes les décisions ecclésiales » (discours du 17 octobre 2015). La préparation du prochain Synode incite ainsi à penser la synodalité de l’Eglise à ses différents niveaux.

De manière significative, dans son discours du 17 octobre 2015, le pape François débutait par le niveau des « Eglises particulières » (diocèses). Il justifiait cette option par le fait que : « Une Église synodale peut commencer à prendre forme seulement dans la mesure où ces organismes restent reliés avec “la base” et partent des gens, des problèmes de chaque jour ». La synodalité se réalise dans la proximité avec le peuple, avec ce qu’il vit. Une revitalisation des instances de coresponsabilité – conseils pastoraux, conseils pour les affaires économiques – apparaît à cet égard spécialement cruciale[2]. Le pape François reconnaissait d’ailleurs, dans ce même discours, que ces instruments « parfois, font preuve de lassitude ». La récente Instruction sur la conversion pastorale des paroisses donne des indications en vue d’une telle revitalisation au niveau paroissial.

Ces structures de coresponsabilité sont en effet justement appelées à jouer un rôle décisif dans la préparation du Synode des évêques en diocèse. La constitution Episcopalis communio indique que : « Dans chaque Eglise particulière, les Evêques organisent la consultation du Peuple de Dieu en s’appuyant sur les organismes de participation prévus par le droit » (art. 6). Le canoniste Alphonse Borras précise : « Les Eglises particulières sont les premières concernées[3] » par cette consultation. Les diocèses sont appelés à impulser un processus de consultation, auquel l’ensemble des baptisés sera invités à participer.

Dans le respect de la vocation des laïcs

La synodalité se réalise dans la proximité avec le peuple, et donc avec ce qu’il vit. Ce « Marcher ensemble » concerne « Laïcs, Pasteurs, Evêque de Rome ». L’ordre est significatif : l’écoute du Peuple implique une écoute de tous, à commencer par les laïcs[4]. Cette écoute des laïcs s’exerce dans le respect de leur vocation, de ce qu’ils sont, de ce qu’ils vivent. Il y a là un impératif pour éviter de tomber dans un cléricalisme qui dessert la synodalité.

De manière suggestive, Severino Dianich incite à s’appuyer sur les « compétences » propres des laïcs[5]. La « compétence » est en effet une marque de la vocation des laïcs – aux côtés de la liberté – selon les enseignements de Vatican II. Il s’agit ainsi de partir « de leurs conditions propres de vie, de leur position sociale, du lieu de leur habitation, de leur métier ou de la profession qu’ils exercent ». C’est dans cette pâte humaine, dans ce tissu relationnel, que s’insèrent les charismes[6]. Dianich en conclut que « le premier lieu dans lequel individuer l’œuvre des charismes est donc le travail de l’homme ».

Ces compétences, cette vie vécue à l’écoute de l’Esprit, en exerçant les charismes reçus, ne peuvent dès lors demeurer étrangères à la dynamique synodale de l’Eglise. Roberto Repole souligne la nécessité d’assumer cette réalité en contexte ecclésial : ces compétences, ces manières de vivre chrétiennement au travail, dans la société, sont appelées à être assumées en Eglise. Ainsi, « le chrétien ne peut pas ne pas penser que la confrontation, l’écoute de la position d’autrui, l’échange franc des convictions, le vivre-ensemble de personnes réellement diverses… sont des valeurs à rechercher avec ténacité dans le domaine civil, mais qu’elles cessent de l’être dans la vie normale de sa communauté chrétienne ou de son Eglise locale[7] ».

Aux avant-postes du dialogue de l’Eglise avec le monde, dialogue ad extra, les laïcs sont ainsi voués à participer à son dialogue ad intra, dialogue de la synodalité. La vie des laïcs ne peut rester extérieure aux préoccupations de l’Eglise. La participation des laïcs représente justement une garantie que le monde, tel qu’il est, soit bien présent au dialogue de l’Eglise. Comme le dit bien Dianich, « sans une réelle pratique synodale, qui implique dans les décisions de l’Eglise avant tout les laïcs, l’Eglise reste touchée par une sorte de schizophrénie, par laquelle sa vie interne peut s’ordonner et de développer comme si le monde extérieur n’existait pas[8] ». L’implication des laïcs au processus est le gage de cette réciprocité, interpénétration du dialogue de l’Eglise en elle-même et avec le monde, interpénétration de la vie de l’Eglise et de sa mission.

Se mettre en marche

Le prochain Synode a certes à se préparer dans la prière. Sa préparation réclame encore des mises en œuvre concrètes, qui, à un an et demi de la tenue de l’assemblée générale, sont appelées à se préciser. L’initiative en revient d’abord aux Conférences des évêques et aux évêques eux-mêmes dans leur diocèse. Les Associations de fidèles sont également invitées à consulter leurs membres (Episcopalis communio art. 6 §3). Enfin, les fidèles peuvent « individuellement ou collectivement », adresser leur « contribution » au Secrétariat général du Synode (Ibid., art. 7 §2). La mention de ce « droit » encourage à l’initiative : chacun peut participer au processus synodal et peut avoir force de proposition tant dans l’organisation d’initiatives favorisant cette consultation, que dans la rédaction même, dans ce prolongement, d’une « contribution » individuelle ou collective.

La consultation réalisée en vue du Synode sur les évêques ne sera véritablement féconde que si elle ne se limite pas à remonter à Rome des questions, propositions, problèmes etc., mais engage bien plutôt ses participants à penser comment vivre davantage la synodalité dans leurs paroisses, dans leurs diocèses. La préparation du prochain Synode peut être ainsi l’occasion de réfléchir à comment faire pour que les structures – paroissiales et diocésaines – de coresponsabilité, animées par « une vie nouvelle et un authentique esprit », évangélique favorisent « un dynamisme évangélisateur » (Evangelii gaudium n. 26) . En effet, pour permettre une consultation effective du Peuple de Dieu, il apparaît nécessaire que, dans ces organismes de communion, s’exerce concrètement la coresponsabilité de tous les baptisés[9]. Comment faire pour que, si « quelques-uns » sont appelés à être membres de ces structures de coresponsabilité, « tous » se sentent impliqués dans un processus synodal vécu en paroisse, en diocèse ?

Enfin, il serait heureux, comme le prévoit la constitution Episcopalis communio, que des laïcs soient impliqués dans la participation plus prochaine de l’assemblée générale du Synode des évêques. La constitution envisage la possibilité d’une réunion pré-synodale, qui peut également se tenir au niveau régional (Episcopalis communio art. 8). La nomination de laïcs « experts » au sein d’une Commission préparatoire – en charge d’ « approfondir le thème » du synode, à savoir la synodalité, et de « la rédaction de Documents éventuels préalables » – manifesterait la mise en œuvre concrète de la synodalité dans la préparation du Synode (Ibid., art. 10). L’enjeu est en effet de taille : Comment témoigner de la synodalité de l’Eglise dans le processus de ce Synode ? Comment mettre en œuvre une coresponsabilité inspiratrice de synodalité ? Nous sommes ainsi invités à une écoute humble du Peuple, qui est écoute de l’Esprit à l’œuvre en lui.

 

Agnès Desmazières

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Agnès Desmazières enseigne la théologie au Centre Sèvres (Paris, France) et elle a réfléchi notamment à la pensée du dialogue du pape François dans son livre « Le dialogue pour surmonter la crise : le pari réformateur du pape François » (Salvator 2019), avec une préface du p. Alain Thomasset, s.j. et une postface du p. François-Marie Léthel, ocd.

La théologienne française a aussi réfléchi, entre autres, à l’apostolat des laïcs et à la co-responsabilité des baptisés, et donc des femmes dans l’Eglise: des propos qui sont autant de pierres d’attente pour la réflexion du prochain synode des évêques, en octobre 2022, sur la « synodalité ».

 

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NOTES

[1] Dario Vitali, « Un popolo in cammino verso Dio”: La sinodalità in Evangelii gaudium, Cinisello Basalmo, San Paolo, 2018.

[2] Cf. Joseph Komonchak, « Theological Perspectives on the Exercice of Synodality”, in Lorenzo Baldisseri dir., A cinquant’anni dall’Apostolica Sollicitudo: Il Sinodo dei Vescovi al servizio di una Chiesa sinodale, Vatican, Libreria editrice vaticana, 2016.

[3] Alphonse Borras, Communion ecclésiale et synodalité, Paris, CLD, 2018.

[4] Cf. Dario Vitali, « Un popolo in cammino”.

[5] Severino Dianich, Riforma della chiesa e ordinamento canonico, Bologne, EDB, 2018.

[6] Cf. Thomas F. O’Meara, Theology of Ministry, New York – Mahwah, Paulist Press, 1999.

[7] Roberto Repole, Eglise synodale et démocratie : Quelles institutions ecclésiales pour aujourd’hui ?, Namur, Lessius, 2016.

[8] Dianich, Riforma della chiesa. Cf Repole,  Eglise synodale et démocratie ; Komonchak,

[9] Cf. «Le dialogue pour surmonter la crise : le pari réformateur du pape François», par A. Desmazières. Et la nouvelle instruction sur la paroisse (in Zenit du 24 juillet 2020).

 

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