Agnès Desmazières © AD

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«Le dialogue pour surmonter la crise : le pari réformateur du pape François», par A. Desmazières

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Et la nouvelle instruction sur la paroisse

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Agnès Desmazières enseigne la théologie au Centre Sèvres (Paris, France) et propose de faire entrer dans la pensée du dialogue du pape François dans son livre « Le dialogue pour surmonter la crise : le pari réformateur du pape François » (Salvator 2019), avec une préface du p. Alain Thomasset, s.j. et une postface du p. François-Marie Léthel, ocd.

Le dialogue, A. Desmazières @ Salvator

Le dialogue, A. Desmazières @ Salvator

Le p. Thomasset souligne qu’Agnès Desmazières réussit à rejoindre un large public « grâce à une écriture à la fois simple et nuancée », et le p. Léthel fait observer que la théologienne « fait entrer dans l’âme du pape François ».

La théologienne française en dit plus aux lecteurs de Zenit sur ce « dialogue », théologal, et elle revient sur la nouvelle Instruction de la Congrégation pour le clergé, publiée le 20 juillet 2020, pour promouvoir l’évangélisation en paroisse, en favorisant la coresponsabilité des baptisés.

Des propos qui sont autant de pierres d’attente pour la réflexion du prochain synode des évêques, en octobre 2022, sur la « synodalité ».

 

Zenit – Quand le pape François parle de promouvoir le dialogue, entre qui et qui, et comment ?

Agnès Desmazières – Le pape François parle très souvent du dialogue dans ses interventions. C’est un axe majeur de son pontificat. Il insiste en particulier sur l’importance de déployer une « culture du dialogue » ou encore « culture de la rencontre ». Il s’agit d’une intuition ancienne chez lui, mûrie en particulier dans le contexte argentin. Face aux divisions de la société argentine, dans un contexte de sortie de la dictature, il plaidait pour l’urgence du dialogue social. Il rappelle également aujourd’hui l’importance d’un dialogue en Eglise. C’est cela la synodalité. Le document d’Abu Dhabi sur la fraternité humaine est encore à comprendre dans cette perspective : le dialogue entre les religions est nécessaire à la construction d’un monde juste et fraternel.

Ce qui me frappe, c’est que cette centralité du dialogue se comprend à partir d’une conception de la personne humaine comme être de dialogue, que l’on trouve déjà, d’une certaine manière, dans Gaudium et spes. La personne se construit dans la relation, elle y trouve joie et dignité. Plus, le futur pape François, dans un texte ancien[1], souligne que la personne expérimente d’abord le dialogue en elle-même, dans un dialogue intérieur : nous expérimentons, en particulier à l’heure des choix, que nous sommes toujours en tension – le pape François parle même de « conflit ». Il y a un choix à faire entre plusieurs possibilités. Nous expérimentons aussi en nous-même que nous avons de la diversité, nous changeons d’avis, nous désirons parfois des choses apparemment contradictoires… Et, cela est bon : cela nous permet d’avancer à condition de ne pas nous laisser enfermer dans le conflit et de viser à l’unité. Dans ce même texte, le futur pape François évoque une « espérance amoureuse » qui nous fait avancer. Il faut avoir expérimenté cette diversité en soi pour pouvoir dialoguer avec l’autre qui est différent de moi et que je suis appelé à respecter dans sa diversité.

Comment avancer sur ce chemin du dialogue ? Le pape François évoque fréquemment ce qu’il appelle les « quatre principes » (« le temps est supérieur à l’espace », « l’unité est supérieure au conflit », « la réalité est supérieure à l’idée », « le tout est supérieur à la partie »). Ils sont au cœur de la réflexion du pape sur « La dimension sociale de l’évangélisation » dans Evangelii gaudium (n. 222-237). Ces principes ont toutefois une origine plus ancienne : on trouve déjà trois d’entre eux mentionnés dans un texte de 1974 ! Ils habitent sa pensée du dialogue. On le voit dans ce qui a été dit de l’importance du dialogue intérieur : y transparaît en filigrane le principe de la supériorité de l’unité sur le conflit.

Les autres principes mettent en lumière l’importance de donner du temps au temps : l’on ne construit sur le long terme qu’en creusant des fondations profondes. De même, une construction solide suppose une attention à la réalité concrète. Jésus le signale bien dans ses paraboles : la graine ne peut croître sur le chemin pierreux, la maison être construite sur le sable, la tour sans argent. Enfin, nos petits intérêts personnels, sectoriels, ne peuvent prévaloir sur le bien commun (qui est lui-même au service du bien de chacun).

Le « dialogue » comme méthode pour une réforme : la réforme, avant de toucher les structures, doit toucher aussi les relations entre baptisés ?

A mon sens, l’un et l’autre sont indissociables. De manière frappante, Gaudium et spes rappelle que l’Eglise est une « réalité sociale de l’histoire » (n. 44). Il y a là une logique d’incarnation. A trop la négliger, l’on tombe dans le gnosticisme dénoncé par le pape François dans Gaudete et exsultate, sa belle exhortation apostolique sur la sainteté. En même temps, il est nécessaire de croire que l’Esprit est à l’œuvre dans l’Eglise. C’est un vrai enjeu de foi aujourd’hui, alors que nous sommes submergés par tous les scandales. Significativement, dans son livre toujours actuel Vraie et fausse réforme dans l’Eglise (1950), Yves Congar associait conversion personnelle et communautaire, et réforme structurelle.

Conversion personnelle et communautaire à une « culture du dialogue » et réforme des structures de l’Eglise dans une perspective synodale sont appelées à opérer de concert. Au point de départ, il est important de considérer que le dialogue est au cœur de notre foi chrétienne : nous confessons un Dieu qui est dialogue, qui veut dialoguer avec chaque homme et chaque femme et les faire entrer dans son dialogue trinitaire. Dieu se révèle dans un dialogue et appelle une réponse de notre part. Jésus lui-même annonce la Bonne nouvelle du Royaume dans un dialogue avec des hommes et des femmes de son temps et de sa culture. L’exemple de son dialogue avec le jeune homme dit « riche » est significatif : ce dialogue s’exerce dans la liberté, Jésus ne s’impose pas.

L’on comprend mieux ainsi comment le dialogue est chemin de sainteté. Nous sommes toujours en chemin. Nous avons en effet nos propres limites, nos propres fermetures, appelées à être converties. Plus, ce que le pape François appelle la « culture de l’abus et de la dissimulation » – qui est à la racine des abus sexuels, de pouvoir et de conscience, régulièrement dévoilés – peut être considérée comme se situant aux antipodes de la « culture du dialogue ». Il ne s’agit plus là seulement de fautes personnelles, mais l’on peut parler ici de « structure de péché ». Le cléricalisme est une « structure de péché ». Il favorise un affaiblissement de la conscience morale, qui fait ne plus voir l’abus, légitime la dissimulation. Par peur du « scandale », l’on préfère ne pas affronter les problèmes. Par souci de préserver l’ « honneur » de la prêtrise, l’on néglige le bien d’enfants innocents.

La Congrégation pour le clergé vient de publier, le 20 juillet 2020, une « Instruction » pour promouvoir l’évangélisation en paroisse : cela ne signifie-t-il pas d’abord promouvoir la confiance entre le clergé et le peuple de Dieu, ébranlée par le cléricalisme (n’est-ce pas le contraire du « service » ?), les abus (pas seulement sexuels, mais de pouvoir ou les abus « sociaux ») et récemment aussi un sentiment d’abandon pendant le confinement ?

Dans la ligne du dernier Synode sur les jeunes, l’Instruction souligne l’importance de la « coresponsabilité » dans l’Eglise synodale. Un authentique dialogue requiert un certain « plan de parité », disait jadis l’auditrice au Concile, Rosemary Goldie[2]. Tous les baptisés sont coresponsables de leur Eglise.

De fait, certains ont pu souffrir, pendant le confinement, d’un sentiment d’abandon et d’un déficit de coresponsabilité : Comment comprendre qu’aucun prêtre de ma paroisse n’ait pris l’initiative de prendre de mes nouvelles ? Comment réagir aux multiples conseils prodigués sur comment vivre l’absence de communion par des prêtres qui n’en font pas l’expérience ?  Comment accueillir les décisions d’un curé, prises unilatéralement, sans consulter son conseil pastoral ?

J’ai été marquée en particulier par cette phrase de l’Instruction : « La conversion des structures que la paroisse doit envisager requiert “en amont” un changement de mentalité et un renouvellement intérieur, surtout chez ceux qui sont appelés à être responsables de la conduite pastorale » (n. 35). Il y a là, il me paraît, un élément fondateur pour bâtir la « culture du dialogue » dans l’Eglise. Peut-être serait-il important d’y prêter plus attention dans le discernement des vocations et dans la formation. Comment former davantage à la coresponsabilité ? Cela implique un amour du peuple, une proximité et une grande humilité.

Ce changement de mentalité est également de la responsabilité de l’ensemble des fidèles. La culture cléricale se construit dans une interaction entre clercs et fidèles[3]. Porter au pinacle tel ou tel clerc est source de cléricalisme. On n’aide pas ainsi un clerc à croître dans son chemin de sainteté.

Dans cette perspective, il y aurait lieu de penser plus avant la subsidiarité. En quelles circonstances la présence du prêtre est-elle nécessaire ? En quelles circonstances serait-il bon que la communauté se prenne davantage en charge ? Le manque de prêtres conduit parfois paradoxalement à un repli clérical et à un manque de confiance à l’égard des laïcs et aussi des laïcs en leurs propres capacités.

De manière significative, l’Instruction évoque aussi la contribution des consacrés à la conversion pastorale : « La contribution que les consacrés peuvent apporter à la mission évangélisatrice de la communauté paroissiale dérive d’abord de leur “être”, c’est-à-dire du témoignage d’une suite radicale du Christ par le moyen de la profession des conseils évangéliques » (n. 84). Ce rappel est crucial pour penser la vie consacrée, à distance de tout cléricalisme.

Enfin, l’Instruction évoque les « Organismes de coresponsabilité ecclésiale ». La coresponsabilité est appelée à s’exercer d’abord au niveau paroissial, notamment au sein du conseil pour les affaires économiques et du conseil pastoral. La réforme des structures est donc bien importante et il y a déjà des structures de coresponsabilité existantes, qu’il s’agit de raviver, auquel il faut donner un nouveau souffle. En particulier, il est souhaitable de réfléchir à la représentativité de ces instances. En effet, celles-ci peuvent être parfois des coquilles vides, ferment de cléricalisme. Les structures peuvent être perverties, manipulées, en particulier par défaut de représentativité : l’on privilégié une présence cléricale, jugée plus malléable ; l’on choisit des membres de son petit cercle ou de l’ « élite » de sa paroisse. Il est à noter par exemple que la pratique de l’élection des membres par la communauté paroissiale est beaucoup plus répandue aux Etats-Unis qu’en France…

De manière plus générale, dans la perspective d’une Eglise coresponsable, chacun a une mission d’interpellation face aux abus qu’il ou elle constate. Fort justement, vous soulignez qu’il ne s’agit pas seulement d’abus sexuels, mais aussi d’abus de pouvoir et d’abus sociaux (défaut de justice sociale).  Ceux-ci ont une commune racine : la « culture de l’abus et de la dissimulation ». Il faut du courage et c’est aussi là un chemin de sainteté personnelle et de conversion ecclésiale de mettre au jour ces abus dans la charité et la vérité. Notre Eglise n’en sera que plus belle !

NOTES

[1] Cf. Jorge Mario Bergoglio, « ‘Et conformément à cette espérance… » Const. 812: Quelques réflexions sur l’union  des esprits et des coeurs », Centrum Ignatianum Spiritualis 20, n° 1-2 (63-64) (1990), p. 121-142.

[2] Rosemary Goldie, Da una finestra romana: Il mondo, la Chiesa e il laicato cattolico (Rome: AVE, 2000), 202.

[3] Cf. George B. Wilson, Clericalism: The Death of Priesthood, Collegeville, Liturgical Press, 2008.

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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