Agnès Desmazières © AD

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Dix principes pour une synodalité authentique, par A. Desmazières

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Fondatrice d’une dynamique de conversion

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Dix principes pour une synodalité authentique

 La synodalité n’est pas appelée à rester un concept abstrait, vide, voué seulement à de beaux jeux intellectuels. Elle ne vise pas non plus à la culture d’un entre-soi confortable. Comment la penser dans le concret, comme fondatrice d’une dynamique de conversion de l’Eglise dans une perspective missionnaire ? Dix principes – non exhaustifs – peuvent aider à un discernement en vue d’une synodalité authentique, fondée sur le Christ.

  1. La synodalité est en vue de la mission

Elle est en vue de la mission. Si l’on se réfère à l’étymologie du terme, la synodalité est un chemin fait ensemble : elle implique un mouvement. Ce mouvement est le mouvement de l’Eglise « en sortie ». Elle implique que chacun et chacune, que l’Eglise tout entière sorte de soi. La synodalité, c’est témoigner aux yeux du monde du fait d’être disciples du Christ : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples » (Jn 13, 35). L’amour est missionnaire, il attire. Notre expérience de l’amour nous fait voir tant sa beauté, que ses exigences et ses difficultés. Il est chemin. La synodalité est elle aussi, dès lors, à considérer avec réalisme : dans sa beauté – en ce qu’elle reflète la communion trinitaire -, mais aussi en ses aspérités liées à nos propres limites et notre péché.

  1. La mission est de communiquer le message évangélique

Il ne s’agit donc de ne pas se tromper et de ne pas faire prévaloir une logique de marketing, où la synodalité serait un simple effet de trompe-l’œil, visant à faire oublier la profonde crise des abus, que traverse l’Eglise. Au contraire, la synodalité est vouée à assumer la réalité des profonds manquements de l’Eglise, les responsabilités personnelles de certains de ses responsables, ainsi que le désarroi du peuple chrétien. Le prochain Synode n’est pas un simple « événement » destiné à attirer les médias pour restaurer « l’image » de l’Eglise. La synodalité ne se préoccupe pas de « l’image » de l’Eglise, mais de ce qu’elle est réellement – y compris dans son obscurité, spécialement mise au jour par les scandales qui la secouent aujourd’hui.

La communication est au cœur de la dynamique synodale en tant que celle-ci est communication du message évangélique. Le théologien canadien Bernard Lonergan a bien montré comment cette communication est le fruit d’un long chemin de réflexion allant de l’écoute de la réalité à son interprétation, non sans un discernement, fondé sur la conversion, et une articulation des vérités mises en lumière. La synodalité impose un retour au cœur du message évangélique.

  1. La dynamique synodale est une dynamique de conversion

La dynamique synodale est fondamentalement une dynamique de conversion[1]. L’Eglise ne sera authentiquement synodale que si son chemin synodal s’accompagne d’une conversion personnelle et communautaire – l’une et l’autre étant solidaires. Il s’agit d’abord d’une conversion à la grâce, conversion à ce que Dieu peut toutes choses. Confortés par cette espérance que Dieu peut tout, nous sommes invités à revisiter notre rapport au « pouvoir », à nous interroger sur la manière nous vivons notre vocation ecclésiale comme « serviteurs inutiles ». Cela ne va pas sans une conversion de notre intelligence, pour mettre au jour les mécanismes pervers d’une « culture cléricale », qui est aussi « culture de l’abus », et pour s’en libérer. Cette conversion est appelée à se réaliser dans le concret. Elle suppose donc des changements qui se manifestent dans l’agir.

  1. Communiquer authentiquement, c’est viser à la cohérence entre la parole et l’agir

C’est ainsi que la conversion est une conversion à une plus grande cohérence entre la parole et l’agir. Jésus a communiqué le message évangélique par ses « paroles » et par ses « œuvres », comme le rappelle Dei Verbum (n. 4). A sa suite, nous sommes invités à annoncer l’Evangile par nos paroles et par nos œuvres. Ainsi, la synodalité – par laquelle l’Eglise témoigne de la Bonne Nouvelle – devrait se manifester dans un agir proprement synodal, qui trouve sa source dans l’Evangile. La synodalité est d’abord chemin à la suite du Christ. Comment conformer mon agir à celui du Christ ? La synodalité est chemin de prière, où je me mets à l’école du Christ, dans un dialogue amoureux. Elle est chemin d’écoute de la Parole de Dieu : je scrute les Ecritures pour discerner ma vocation et celle de l’Eglise dans le monde actuel. La synodalité est confrontation à la radicalité du message évangélique, acceptation d’être parfois « signe de contradiction ». Un « Evangile » vécu de manière édulcorée pour satisfaire les logiques du monde n’attire pas ; plus, il fait figure de repoussoir et de contre-témoignage.

  1. Le chemin de la synodalité est chemin vers le Royaume

Il est crucial de ne pas perdre de vue que la synodalité est chemin vers le Royaume, possédé en arrhes, mais pleinement achevé seulement dans la gloire[2]. La synodalité n’est pas de la politique – fût-elle ecclésiale. Toute politique butte ici sur le primat du Royaume et la logique de la grâce qui peut tout. L’Esprit-Saint est à l’œuvre en chacun de nous ; il l’est dans l’Eglise tout entière, de manière indéfectible. C’est dans cette lumière qu’il convient de regarder avec lucidité les logiques de pouvoir et de manipulation à l’œuvre dans l’Eglise, parfois habilement « packagées » sous l’intitulé « synodalité ». Il y aurait lieu d’approfondir comment la synodalité vise au « bien commun » de l’Eglise (Code de droit canonique, can. 223 §1), en vue d’une compréhension plus ajustée de l’exercice de l’autorité, qui est service du peuple en chemin vers le Royaume.

  1. La charité se réalise dans la justice

De cette manière, la charité dont l’Eglise est appelée à témoigner ne peut se comprendre sans justice. L’invocation de la « pastoralité » ne saurait fournir de prétexte à la négation de la justice. La crise des violences sexuelles a bien montré l’impasse d’une « pastoralité » sans droit. Une telle « pastoralité » ne représente que le triomphe d’une logique de l’ « arbitraire » et du « bon vouloir du prince ». La « pastoralité » authentique implique la justice. Dans cette perspective, il apparaît spécialement urgent d’agir, de manière déterminée, contre les « abus de pouvoir », qui, comme cela a été bien mis en évidence, sont à la racine des violences sexuelles[3]. Sans cela, le processus de conversion de l’Eglise risque de s’enliser et la synodalité rester un vain mot. Il n’y pas de synodalité ni de communion possible dans un contexte d’abus de pouvoir, de manipulation, de mensonge et de politique du fait accompli. Est ainsi éclairée la relation entre justice et vérité : la justice se réalise dans un agir vrai, cohérent, respectueux de chacun et chacune. Le dialogue synodal est ainsi un dialogue régulé de façon à ce que tous et toutes puissent y contribuer, dans le respect de leur dignité – ses règles, ses procédures  – qui apparaissent nécessaires selon une logique d’incarnation – sont appelées à être au service de cette écoute mutuelle.

  1. Le processus synodal est appelé à témoigner de l’égale dignité de tous

En effet, dans le processus synodal, l’égale dignité de tous les baptisés – soulignée avec force à Vatican II – est appelée à se refléter. La synodalité est le chemin de tout le peuple dont chaque membre a sa dignité et est appelé à la mission, selon sa vocation. Si le prochain Synode est un synode des évêques, son thème invite à une réalisation concrète de la synodalité, non seulement dans la collégialité qui unit les évêques entre eux, mais qui s’étend à l’ensemble des fidèles. Celle-ci ne saurait se limiter aux phases diocésaines d’écoute du Peuple et de réception. Dans la perspective de l’égale dignité des baptisés, l’octroi du droit de vote pour le prochain Synode à une religieuse appelle à la concession du même droit à des laïcs[4]. De même, il serait souhaitable que la consultation des Associations de fidèles reconnues par le Saint-Siège, reconnue par la constitution Apostolis communio (art. 6 §3), puisse être organisée selon des principes analogues à ceux qui régissent la consultation des religieux (lettre du cardinal Grech du 17 janvier 2022).

  1. La synodalité est l’écoute de tous sans exception

La synodalité ne se réalise que dans l’écoute de tous – sans exception. Les logiques politiques, les stratégies de lobbying – parfois justifiées par un souci d’ « image » – ne sauraient prévaloir sur cette écoute de tous et toutes, dans le respect de leur égale dignité. La parole de tel ou tel groupe ne saurait l’emporter sur tels autres, car l’égale dignité trouve sa source dans le baptême[5]. C’est le Christ qui nous la confère. Dans cette perspective, il est important, dans cette phase de consultation pour le prochain Synode, d’écouter le silence de ceux qui doutent ou sont critiques à l’égard de la synodalité. Cette consultation ne saurait être un exercice d’autocongratulation : l’Eglise ne peut se convertir dans une écoute de tous et toutes, sans préjugés et sans manipulation.

Les plus pauvres, ceux qui sont « à la périphérie », font partie de ce « tous ». Gare à une logique de surplomb, qui, sous-prétexte, de leur accorder une place particulière, les maintient en fait « à la périphérie » et leur dénie leur dignité[6]. Gare aussi à une logique qui jugerait pour quantité négligeable le point de vue du « paroissien de base », pas assez à la « périphérie ». Tous et toutes sont appelés à être au centre de l’Eglise. La parole de chacun et chacune est appelée à être écoutée et interprétée selon ce principe de l’égale dignité, loin de toute instrumentalisation. L’image de Dieu présente en chacun et chacune d’entre nous mérite d’être respectée. Le chemin de la synodalité est un chemin de respect.

  1. La synodalité part du peuple

Dans ce prolongement, la synodalité est appelée à partir du peuple. Le pape François l’a bien signalé en pensant l’Eglise synodale comme une « pyramide renversée » (Discours du 17 octobre 2015), la base – le peuple – se trouvant au sommet. La phase diocésaine d’écoute du peuple manifeste bien cette dynamique. Il est significatif que, dans certaines paroisses, ce soient des fidèles laïcs qui aient eux-mêmes demandé et organisé la consultation. Il y a encore lieu de valoriser davantage cet esprit d’ « initiative » qui part du peuple et est œuvre de l’Esprit. La théologie de l’ « appel », qui suscite souvent une certaine passivité et fournit parfois des excuses à l’incompétence, mérite ainsi d’être revisitée dans la perspective d’un discernement ecclésial des vocations suscitées par l’Esprit en chaque baptisé. L’Eglise synodale est donc une Eglise du discernement, auquel tous et toutes sont invités à participer selon leur vocation propre. Ce discernement est voué sous le signe de la coresponsabilité, qui est coresponsabilité dans le salut et où la responsabilité de chacun et chacune est clairement assumée (et non diluée dans un collectif déresponsabilisant).

  1. Le prochain Synode initie un processus

Pour conclure, la synodalité ne serait se réduire à un « temps fort » vécu pendant les années de préparation, de célébration et de réception du prochain Synode sur la synodalité. Elle est une dynamique qui conduit l’Eglise à prendre davantage conscience d’elle-même, dans un processus de conversion continuelle, auquel chaque baptisé est invité à participer. Elle représente également un approfondissement de l’égale dignité de tous et toutes, qui réclame une réalisation concrète, dans le respect de la diversité des vocations – toutes au service à la communication du message évangélique.

Agnès Desmazières

 

[1] « L’Eglise synodale en chemin de conversion », Zenit, 10 mai 2021.

[2] « Aux sources du renouveau de l’Eglise », Zenit, 3-5 mai 2022.

[3] « Les abus de pouvoir au regard de l’Evangile », Zenit, 16 nov. 2020.

[4] « Vivre la synodalité dans le concret au Synode de 2022 », Zenit, 24 fév. 2021 ; « Pour l’avenir de l’Église, la participation des laïcs au prochain Synode », La Croix 18 février 2021 (https://www.la-croix.com/Debats/lavenir-lEglise-participation-laics-prochain-Synode-2021-02-18-1201141424).

[5] « Après la Ciase, l’enjeu du Synode : ‘laisser la parole à tous’ », La Croix 17 nov. 2021 (https://www.la-croix.com/Debats/Ciase-lenjeu-Synode-laisser-parole-tous-2021-11-17-1201185581).

[6] « Le chemin de la synodalité : Expérimenter notre unité dans la diversité », Zenit, 24 jan. 2022.

 

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