ROME, Mardi 1er mars 2011 (ZENIT.org) – Méditer sur le paradis pendant le carême ? C’est ce que semble suggérer cette conférence de Fabrice Hadjadj, donnée à Bruxelles, à l’Institut Sophia, le 21 février dernier. « Une conférence remarquable », commente l’agence catholique belge « cathoBel » dans ce compte-rendu du 23 février.
Fabrice Hadjadj, juif qui a embrassé la foi chrétienne par son baptême dans l’Eglise catholique en 1988, publie en effet dans quelques jours aux éditions du Seuil un nouveau livre intitulé : « Le paradis à la porte ». « Il y souligne la nécessité de retrouver la valeur d’une espérance radicale en la vie éternelle, sous peine de vivre dans la frénésie des divertissements », explique la même source.
Nous reprenons ci-dessous la dépêche de CathoBel.
« Le paradis à la porte », par Fabrice Hadjadj
Durant près de deux heures et devant un auditoire archicomble, l’écrivain français a donc essayé de tordre le cou aux préjugés qui circulent aujourd’hui concernant la vie éternelle. Car si nous nous sentons mal à l’aise avec cette idée, c’est sans doute en grande partie à cause de l’influence qu’ont exercé sur la pensée occidentale des philosophes tels que Nietzche et Marx. Ainsi, nos contemporains se posent des tas de questions concernant le paradis: « Croire au ciel, n’est-ce pas déserter l’ici-bas? »; « Si nous avons été créés pour la joie, pourquoi tant de souffrances? »; « Comment peut-on raisonnablement aspirer à une vie sans fin? »; « La résurrection des corps, c’est bien, mais où allons-nous tous les mettre? »; « Une fois que le but sera atteint, nous n’aurons plus rien à inventer. Tout sera dit. Cela veut-il dire que nous serons moins libres au Ciel qu’ici-bas? »
Pourtant, malgré toutes ces objections, nous continuons de nous fabriquer des ersatz de paradis, preuve que cette aspiration au bonheur est indéracinable du coeur humain. « Chassez le paradis, il revient au galop », a d’ailleurs plaisanté Fabrice Hadjadj. Mais pourquoi cette pullulation de paradis de contrebande et de contrefaçon? Est-ce parce que nous avons peur de la mort? Peut-être, à moins que ce ne soit plutôt le paradis qui nous fasse peur, a-t-il suggéré. « La Béatitude suppose une béance, l’ouverture complète à l’inattendu, à l’Autre qui nous dépasse sans cesse », a-t-il expliqué. « Or, ce que nous voulons, c’est un paradis pour nous-mêmes, à notre étroite mesure; c’est être le premier en son monde, avoir l’initiative et le dernier mot en toutes choses, ne rencontrer personne. » Et c’est là que nous nous trompons, car cette description du paradis est plutôt celle de l’enfer. Or, a-t-il précisé, « il faut penser la vie éternelle comme une vie de rencontres ».
L’au-delà est un au-dedans
Le problème, c’est que nous avons tendance à envisager la relation à Dieu en terme concurrentiel, comme si celui-ci était une super créature, au-dessus des autres. « Mais tout comme la lumière n’est pas en concurrence avec les couleurs, Dieu n’est pas en concurrence avec les créatures », a poursuivi Fabrice Hadjadj. « Au contraire, plus il y a de lumière, plus il y a de couleurs. Ce qui veut dire que plus je me tourne vers le Créateur, plus je suis moi-même et plus je peux aller vers les autres pour eux-mêmes. Il n’y a donc pas d’aliénation. Enfin, plus je me tourne vers Lui, plus je suis créatif, Dieu ne voulant que notre fécondité. »
Ces mises au point étant effectuées, l’écrivain a alors répondu aux différentes objections formulées ci-dessus. Tout d’abord, a-t-il commencé, nous ne pouvons plus opposer le ciel et la terre comme un ici et un ailleurs. « Le Royaume de Dieu n’est pas un autre monde, il est au milieu de nous. L’au-delà est un au-dedans », a-t-il expliqué. À celles et ceux qui craignent de s’ennuyer au paradis, Fabrice Hadjadj répond que « l’Éternité n’est pas du temps ». « Nous verrons Dieu face à face, mais celui-ci nous restera toujours incompréhensible. Nous ne finirons donc jamais de nous étonner devant son mystère. » Et puis, c’est à la joie que nous sommes invités, mais « une joie reçue et offerte comme une blessure ».
Enfin, le philosophe a terminé son exposé en évoquant la délicate question du mal. « Pourquoi le paradis n’est-il pas plus manifeste? Pourquoi Dieu ne fait-il pas plus de marketing? », s’est-il demandé. « Parce que nous rentrerions alors dans une relation de servitude », a-t-il expliqué. Or, ce que Dieu veut, ce sont des hommes et des femmes libres et debout. « En fait », a-t-il conclu, « si la nuit est si douloureuse, c’est parce que nous croyons à la lumière… »
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