ROME, Lundi 13 juillet 2009 (ZENIT.org) – La nouvelle encyclique n’est une victoire ni pour la « gauche » ni pour la « droite », mais plutôt un appel aux hommes et aux femmes de bonne volonté à « explorer activement de nouvelles voies pour promouvoir un développement durable ». C’est ce qu’a déclaré un professeur de doctrine sociale à l’Université pontificale Regina Apostolorum, à Rome.
Le père Thomas D. Williams, Légionnaire du Christ américain, a répondu aux questions de ZENIT sur « L’amour dans la vérité » (Caritas in veritate), la troisième encyclique, tant attendue, de Benoît XVI, sur le développement humain intégral, clé pour comprendre l’enseignement social catholique, publiée le 7 juillet dernier.
Le père Williams replace « Caritas in Veritate » dans le courant de la tradition de l’Eglise et examine ce que l’encyclique y apporte de nouveau.
ZENIT : Qu’a voulu faire Benoît XVI avec cette encyclique ?
P. Williams : Plusieurs choses. La parution de cette encyclique était prévue initialement il y a deux ans, pour célébrer le 40e anniversaire de l’encyclique sociale « Populorum Progressio » (Le développement des peuples) de Paul VI, publiée en 1967. Un certain nombre de difficultés rencontrées en chemin, notamment des lacunes dans les premières ébauches du document et la crise économique mondiale, se sont conjuguées pour retarder de façon significative la sortie du texte. Malgré tout, Benoît XVI réussit à éclairer certaines contributions importantes de l’encyclique de Paul VI, notoirement difficile à lire et à comprendre.
Benoît XVI souligne, par exemple, l’insistance de Paul VI à réaffirmer le rôle déterminant de l’Evangile pour l’édification d’une société de liberté et de justice. Il note également l’importance que Paul VI accorde à la dimension mondiale de la justice sociale, et à l’ « idéal chrétien d’une unique famille de peuples ».
ZENIT : Est-ce pour cela que le pape a affirmé que « Populorum Progressio » mérite d’être considérée comme l’encyclique « Rerum Novarum » de l’époque contemporaine ?
P. Williams : En partie, oui. Plus fondamentalement, peut-être, Benoît XVI est conscient que la grande « encyclique léonine » traitait spécifiquement du problème économique de la révolution post-industrielle et de la proposition socialiste pour y remédier. Léon XIII y répondit en affirmant le droit naturel à la propriété privée, les erreurs radicales de la solution socialiste, et la nécessité de susciter des associations de travailleurs pour contrecarrer le despotisme capitaliste.
Par ailleurs, « Populorum Progressio » a mis plutôt l’accent sur le caractère central du développement humain intégral, un concept plus large que celui spécifiquement économique mis en relief dans « Rerum Novarum », et celui auquel Benoît XVI adhère pleinement dans « Caritas in Veritate ».
Benoît XVI observe que seule une plus juste compréhension du bien de la personne humaine et de la société peut fournir les bases nécessaires pour parvenir à une société véritablement juste. Et c’est la totalité de la personne qui est concernée, dans chacune de ses dimensions, pas seulement la dimension économique, mais aussi culturelle, émotionnelle, intellectuelle, spirituelle et religieuse.
Le Saint-Père affirme avec force que toute l’Eglise, dans tout son être et tout son agir tend à promouvoir le développement intégral de l’homme. Cette affirmation ne prend, bien entendu, tout son sens que si nous comprenons le développement humain dans la perspective de la vocation temporelle et éternelle de la personne humaine.
ZENIT : Cette encyclique sera-t-elle considérée comme une victoire pour la « gauche » ou la « droite » ?
P. Williams : Le magistère papal évite à juste titre les catégories politiques droite/gauche, ou conservateur/libéral. Honnêtement, il y a beaucoup dans cette encyclique qui, pris isolément, pourrait être utilisé pour soutenir les positions les plus diverses, y compris des positions opposées.
A ce propos, il est particulièrement important d’être attentif à l’invitation de Benoît XVI lui-même à lire l’encyclique dans le contexte de la tradition continue de l’Eglise, plutôt qu’en dehors de cette tradition. Il est également important, comme les papes l’ont toujours dit et répété, de discerner les parties de l’encyclique qui relèvent des principes fondamentaux proclamés en permanence par l’Eglise pour une juste organisation de la société, et celles qui représentent les suggestions contingentes pour atteindre ces objectifs.
Benoît XVI affirme clairement que l’objectif de renouveau social est la réalisation du développement humain intégral prenant en considération le bien commun. Tout ce qui contribue avec efficacité à la réalisation de cet objectif sera adopté et tout ce qui lui fait obstacle sera écarté.
En outre, tout en préconisant une intervention des autorités publiques sur les marchés économiques nationaux et mondiaux, le Saint-Père constate également que des solutions purement techniques et institutionnelles ne peuvent jamais suffire, et condamne le gaspillage des bureaucraties. Ses paroles doivent être une stimulation pour les hommes et les femmes de bonne volonté à explorer activement de nouvelles voies pour promouvoir le développement durable dont le monde en voie de développement a si désespérément besoin.
ZENIT : Benoît XVI identifie-t-il de nouveaux problèmes sociaux du moment présent ?
P. Williams : Il en signale quelques-uns. Benoît XVI relève ainsi la forte déclaration du pape Jean-Paul II, en 1995, à propos des questions de respect de la vie, en particulier l’avortement, qui avaient remplacé le problème des travailleurs pour devenir la question de justice sociale fondamentale de l’époque contemporaine. Benoît XVI fait référence à plusieurs reprises aux liens forts qui existent entre éthique de la vie et éthique sociale, et épingle la contradiction criante quand, tout en affirmant d’un côté l’importance des valeurs comme la justice et la paix, d’un autre côté on tolère et même on encourage les atteintes aux droits les plus fondamentaux à la vie.
Benoît XVI établit aussi un lien entre droit à la liberté religieuse, et progrès et développement humain. Il dénonce le fondamentalisme religieux – spécialement sous forme de violence et de terrorisme pour des motifs religieux- qui freine le développement. Il fait remarquer, dans le même temps, que « la promotion programmée de l’indifférence religieuse ou de l’athéisme pratique » bloque également un véritable progrès humain en promouvant une caricature matérialiste d’épanouissement de l’homme dépourvu de transcendance.
ZENIT : Si Benoît XVI insiste sur une compréhension du développement plus large que celle purement économique et théologique, il n’en consacre pas moins de nombreuses pages à ces aspects du développement. Y a-t-il là une contradiction ?
P. Williams : Non. Benoît XVI commence par réaffirmer un principe cher à la tradition de l’Eglise : le progrès matériel ne peut jamais être la seule mesure d’un développement humain authentique. Cela dit, la prospérité matérielle constitue un élément essentiel d’un authentique progrès, et doit être prise également en considération. L’Eglise n’a jamais estimé que la pauvreté économique est un bien à rechercher, mais qu’elle est plutôt un mal à vaincre. Benoît XVI développe ce point et explore un certain nombre de mesures possibles pour y parvenir.
Comment précisément y parvenir, c’est naturellement une question très débattue, et Benoît XVI fait remarquer aussitôt que l’Eglise « n’a pas de solutions techniques à offrir »
. Il insiste, toutefois, sur la nécessité d’un changement fondamental des comportements. L’égoïsme sera toujours l’ennemi du développement, on le retrouve au coeur de nombre des problèmes économiques et sociaux auxquels est confronté le monde moderne.
Globalement, l’encyclique peut se lire comme un « cri du coeur » du pape pour une plus grande humanisation des marchés économiques, des régimes politiques, des associations et institutions, cette humanisation exigeant sur le plan personnel l’abandon d’une approche globale pragmatique en faveur d’une conscience morale bien formée. Ce que le Saint-Père dit explicitement à propos de la protection de l’environnement peut s’appliquer à toutes les autres questions abordées dans la lettre : « le point déterminant est la tenue morale de la société dans son ensemble ».
Propos recueillis par Kathleen Naab
Traduit de l’anglais par E. de Lavigne