CITE DU VATICAN, Mardi 19 juin 2001 (ZENIT.org) – « Correctement orienté, le tourisme devient une occasion de dialogue entre les civilisations et les cultures, et, en définitive, un service précieux rendu à la paix », écrit Jean-Paul II dans son message pour la XXIIe Journée mondiale du Tourisme, publié aujourd´hui, et dont voici le texte intégral
Message de Jean-Paul II
1. À l’occasion de la XXIIe Journée mondiale du Tourisme, dont le thème est “Le tourisme, instrument au service de la paix et du dialogue entre les civilisations”, j’adresse volontiers mes salutations à tous ceux qui, de diverses manières, œuvrent dans cet important secteur social. En effet, le tourisme concerne toujours plus la vie des personnes et des nations. Les moyens modernes de communication facilitent la mobilité de millions de voyageurs en quête de repos ou d’un contact avec la nature, ou encore désireux de connaître d’une manière plus approfondie la culture d’autres peuples. L’industrie touristique, qui répond à ces aspirations, multiplie les offres de voyages qui ouvrent la possibilité de nouvelles expériences. On peut dire que sont pratiquement tombées les barrières qui isolaient les peuples et qui les rendaient étrangers les uns aux autres.
Conformément à la décision des Nations unies de proclamer l’an 2001 “Année internationale du dialogue entre les civilisations”, le thème choisi par l’Organisation mondiale du Tourisme pour la Journée de cette année constitue une invitation à réfléchir sur la contribution que le tourisme peut apporter au dialogue entre les civilisations. J’ai moi-même consacré à ce thème plusieurs passages du Message pour la Journée mondiale de la Paix de cette année. Il s’agit en effet d’un sujet qui mérite une grande attention, car c’est dans le dialogue entre les cultures que se trouve “la voie nécessaire à l’édification d’un monde réconcilié, capable de regarder avec sérénité son propre avenir” (Message pour la Journée mondiale de la paix 2001, n. 3).
2. L’industrie touristique révèle comment est le monde: toujours plus mondialisé et toujours plus interdépendant. Le développement du tourisme, particulièrement du tourisme culturel, est sans aucun doute un bienfait pour ceux qui le pratiquent et pour la communauté qui accueille les visiteurs et les touristes. Il existe une large conscience de l’importance des grandes œuvres d’art comme signes de l’identité des civilisations, et l’on ressent toujours davantage l’exigence de leur protection, notamment de la part de la communauté internationale. Mais en certains lieux, le tourisme de masse a engendré une forme de sous-culture qui avilit à la fois le touriste et la communauté qui l’accueille: on tend à exploiter à des fins commerciales les vestiges de “civilisations primitives” et les “rites d’initiation encore vivants” dans certaines sociétés traditionnelles.
Pour les communautés d’accueil, très souvent le tourisme devient une occasion de vendre des produits dits “exotiques”. Surgissent ainsi des centres de vacances sophistiqués, éloignés de tout contact réel avec la culture du pays d’accueil ou caractérisés par un “exotisme superficiel” à l’usage des curieux, avides de nouvelles sensations. Hélas, ce désir effréné va parfois jusqu’à des aberrations humiliantes, comme l’exploitation de femmes et d’enfants pour un commerce sexuel sans scrupule, qui constitue un scandale intolérable. Il faut faire tout ce qui est possible pour que le tourisme ne devienne en aucun cas une forme moderne d’exploitation, mais qu’il soit une occasion d’échange utile d’expériences et de dialogue bénéfique entre civilisations différentes.
Dans une humanité mondialisée, le tourisme est parfois un facteur important de mondialisation, susceptible de provoquer des mutations radicales et irréversibles dans les cultures des communautés d’accueil. Sous la pression de la société de consommation, il peut transformer la culture, les cérémonies religieuses et les fêtes ethniques en biens de consommation, les appauvrissant toujours davantage pour répondre aux désirs d’un plus grand nombre de touristes. Pour satisfaire ces exigences, on a recours à une “ethnicité reconstituée”, qui est le contraire de ce que devrait être un vrai dialogue entre les civilisations, respectueux de l’authenticité et des réalités de chacun.
3. Il ne fait aucun doute que, correctement orienté, le tourisme devient une occasion de dialogue entre les civilisations et les cultures, et, en définitive, un service précieux rendu à la paix. La nature même du tourisme comporte certains éléments qui prédisposent à ce dialogue. En fait, la pratique du tourisme permet un détachement par rapport à la vie quotidienne, au travail et aux obligations auxquelles nous sommes nécessairement tenus. Dans ce cas, l’homme parvient à “considérer d’un autre œil son existence et celle des autres : libéré des occupations quotidiennes pressantes, il a la possibilité de redécouvrir sa dimension contemplative, en reconnaissant l’empreinte de Dieu sur la nature et surtout sur les autres êtres humains” (Angelus du 21 juillet 1996).
Le tourisme met en contact avec d’autres modes de vie, d’autres religions, d’autres façons de voir le monde et son histoire. Cela conduit l’homme à se découvrir lui-même et à découvrir les autres comme individus et comme collectivité, immergés dans la vaste histoire de l’humanité, héritiers et solidaires d’un univers à la fois familier et étranger. Il en découle une nouvelle vision des autres, qui libère du risque de demeurer replié sur soi.
En voyageant, le touriste découvre d’autres lieux, d’autres paysages, de nouvelles couleurs, des formes différentes, des façons diverses de percevoir la nature et d’y vivre. Habitué à sa maison, à sa ville, aux paysages de toujours et aux voix familières, le touriste adapte son regard à d’autres images, apprend de nouveaux mots, admire la diversité d’un monde que personne ne peut jamais saisir complètement. Dans cet effort, il appréciera toujours plus ce qui l’entoure, prenant davantage conscience qu’il est nécessaire de le protéger.
Au contact des merveilles de la création, le voyageur perçoit dans son cœur la présence du Créateur et il est conduit à s’exclamer, avec des sentiments de profonde gratitude : “Comme toutes ses œuvres sont attirantes, jusqu’à la plus petite étincelle qu’on peut apercevoir !” (Si 42, 22).
Au lieu de s’enfermer dans leur propre culture, aujourd’hui plus que jamais les peuples sont invités à s’ouvrir à d’autres peuples, en se confrontant à des modes de pensée et de vie différents. Le tourisme constitue une occasion favorable pour ce dialogue entre les civilisations, car il encourage l’inventaire des richesses spécifiques qui distinguent une civilisation d’une autre; il favorise le renvoi à une mémoire vivante de l’histoire et de ses traditions sociales, religieuses et spirituelles, ainsi qu’un approfondissement réciproque des richesses en humanité.
4. C’est pourquoi, à l’occasion de la Journée mondiale du Tourisme, j’invite tous les croyants à réfléchir sur les aspects positifs et négatifs du tourisme, afin de témoigner de manière efficace de leur foi, dans ce domaine si important de la réalité humaine.
Que personne ne cède à la tentation de faire du temps libre un temps de “repos des valeurs” (Angelus du 4 juillet 1993). Il est au contraire nécessaire de promouvoir une éthique du tourisme. Dans ce contexte, le Code éthique mondial pour le tourisme mérite une grande attention. Il est le résultat de la convergence d’une vaste réflexion réalisée par les nations, par diverses associations du tourisme et par l’Organisation mondiale du Touris
me (OMT). Ce document constitue un important pas en avant pour considérer le tourisme non seulement comme une des nombreuses activités économiques, mais comme un instrument privilégié en vue du développement individuel et collectif. Grâce à lui, en effet, le patrimoine culturel de l’humanité peut être mieux utilisé, notamment au bénéfice du dialogue entre les civilisations et de la promotion d’une paix stable.
Il convient de souligner que ce Code éthique mondial prend en considération les différents motifs qui incitent les hommes à parcourir la planète en long et en large, avec une référence spéciale aux voyages pour motifs religieux, tels les pèlerinages et les visites de sanctuaires.
5. La connaissance réciproque entre personnes et entre peuples, grâce à des rencontres et à des échanges culturels, contribue sûrement à l’édification d’une société plus solidaire et plus fraternelle. Le tourisme implique de vivre de façon temporaire avec d’autres personnes, de rassembler des informations sur leurs conditions de vie, sur leurs problèmes et leur religion; il suppose le partage des aspirations légitimes d’autres peuples; il favorise les conditions pour les reconnaître de manière pacifique.
Une juste éthique du tourisme influe sur le comportement du touriste; elle en fait un collaborateur solidaire, exigeant avec lui-même et avec tous ceux qui organisent son voyage; elle en fait un agent de dialogue entre les civilisations et les cultures, pour bâtir une civilisation de l’amour et de la paix. De tels contacts permettent de tisser plus aisément les relations de paix entre les peuples qui ne peuvent naître que d’un “tourisme solidaire”, fondé sur la participation de tous. Seule une participation d’“égal à égal” peut faire en sorte que les contacts interculturels soient une chance pour la compréhension, pour la connaissance réciproque et pour des relations détendues entre les hommes. Voilà pourquoi il faut encourager toutes les formes de participation efficaces entre les cultures. Il est nécessaire d’impliquer les habitants des localités touristiques dans la planification de l’activité touristique, en en précisant bien les limites économiques, écologiques ou culturelles.
Il sera également utile que toutes les structures du pays d’accueil tendent à réaliser une activité touristique qui soit toujours au service des personnes et de la communauté.
Le tourisme se place de la sorte au service de la solidarité entre tous les hommes, de la rencontre entre les civilisations; il facilite la compréhension entre personnes et entre nations, et il constitue une occasion pour réaliser un avenir de paix.
Les chrétiens, agents du tourisme ou simples touristes, doivent toujours imprimer à l’activité touristique un esprit évangélique, se souvenant de l’exhortation du Seigneur : “Dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : ‘Paix à cette maison!’. S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui, sinon; elle reviendra sur vous” (Lc 10, 5-6). Ils doivent être des témoins de la paix et apporter la sérénité à ceux qu’ils rencontrent.
Je prie le Seigneur pour que ce domaine fondamental de l’activité humaine soit toujours imprégné de valeurs chrétiennes et devienne un moyen d’évangélisation. À cette fin, j’invoque la protection maternelle de Marie, Mère de l’humanité entière, et de tout cœur j’envoie à tous ceux qui travaillent dans le secteur touristique une particulière Bénédiction apostolique.
Du Vatican, le 9 juin 2001.
Ioannes Paulus II