CITE DU VATICAN, Mercredi 6 juin 2001 (ZENIT.org) - Voici le texte intégral du message adressé "au peuple de Bukavu" par le cardinal Frédéric Etsou, archevêque de Kinshasa et président de la conférence des évêques de la République démocratique du Congo, lors de l´intronisation de Mgr Charles Mbogha, archevêque de Bukavu, dimanche dernier, 3 juin.

- Message au peuple de Bukavu -

Chers frères et sœurs,

1. Depuis la première guerre dite de libération, l´épiscopat congolais a
fait des messages d´encouragement au peuple congolais, lequel, depuis lors, endure la souffrance, croupit dans la misère et espère de voir se lever sur lui le soleil de paix et de justice. Ces messages sont contenus dans les textes ci-après:

+ Non à la guerre, oui à la justice et la paix (du 1er novembre 1996, deux jours après l´assassinat de S.E. Mgr Christophe MUNZIMRWA);

+ ´Bienheureux les artisans de paix´ (Mt 5,9). Les événements actuels et l´avenir du Zaïre (du 31 janvier 1997);

+ ´Lève-toi et marche´ (Ac 3,6) suivi du Mémorandum au Président de la République (du 30 juin 1997);

+ Conduis nos pas, Seigneur, sur les chemins de la paix (cf. Lc 1, 79) (du 08 novembre 1998); ´Sois sans crainte ... ´ (Lc 12,32). La situation dramatique actuelle et l´avenir de la République Démocratique du Congo (Message fait à Nairobi, le 19 novembre 1999);

+ ´Courage, le Seigneur ton Dieu est au milieu de toi´ (So 3,1 7) (du 13 juillet 2000);

+ Tous, pour les intérêts supérieurs de la Nation (du 2 mars 2001).

Nous y ajoutons les deux autres messages suivants:

+ Remets ton épée au fourreau (Jn 18,11). Message des évêques catholiques du Kivu publié le 1er octobre 1998;

+ ´Vous êtes tous des frères´ (Mt 23,8). Arrêtons les guerres! Message publié à Nairobi le 15 novembre 1999 par les Evêques de la République du Burundi, de la République Démocratique du Congo et de la République du Rwanda.


2. Nous, les Evêques de la République Démocratique du Congo, avons toujours rédigé ces messages dans l´unité d´esprit et de cœur. Nous avons toujours bravé les difficultés, traversé les frontières de plusieurs autres pays, afin de nous réunir. Nous avons ainsi toujours voulu être pour tous un signe clair et sans équivoque de 1´unanimité de notre conviction sur la volonté d´unité du pays dans son intégrité territoriale. Même la présente rencontre, à l´occasion de l´intronisation du nouvel Archevêque de Bukavu, est une expression de la même conviction.

3. Dans ces messages, nous, les Evêques, nous nous sommes toujours sentis solidaires des soucis et des peines de l´ensemble du peuple congolais; nous nous sommes fait les porte-parole des aspirations du peuple confié à notre charge pastorale et qui souffre atrocement; nous avons toujours assumé le rôle prophétique de l´Eglise en exhortant à l´amour de Dieu et du prochain et en dénonçant tout ce qui avilit les enfants de Dieu.

4. Pour rappel, l´essentiel de ces messages peut être résumé en des points que voici:
*Non à la guerre, parce qu´elle n´a que des conséquences désastreuses pour le peuple.
* Non à la conquête du pouvoir par les armes, parce qu´un pouvoir conquis par les armes finit par devenir oppressif, sinon oppressif,
* Non à tout plan ou toute tentative de balkanisation du territoire congolais, parce que nous ne formons plus désormais qu´un seul peuple.
* Non au bradage des richesses de notre sol et sous-sol, et des ressources de notre flore et notre faune.
* Non à ´l´ethnicisation´ des conflits, à l´exploitation des différences qui existent entre nos cultures et à la manipulation de l´idéologie ethnocentrique, parce qu´une telle manipulation justifie la division au sein de la population et exprime la tendance à la domination des uns sur les autres.
* Non à la corruption parce qu´elle engendre et soutient l´injustice et les inégalités sociales au sein de la communauté.
* Non à tout discours qui, par le mensonge, nous tient en otage, nous plonge dans le règne des ténèbres, de la haine, de la violence et de la mort.
* Non à des dirigeants que l´on impose au peuple, parce qu´ils défendent seulement des intérêts étrangers et se mettent au service de l´exploitation des congolais par procuration.
* Non à la dictature dune personne ou d´un groupe de gens, parce qu´elle conduit à l´exclusion des uns et des autres du partage équitable des richesses du pays entre tous les fils et filles de ce pays.
* Non à la violation des droits humains, parce qu´elle défigure le visage des personnes créées à l´image et à la ressemblance de Dieu.

Dans ces messages, nous disons OUI à tout ce qui suit et le soutenons résolument:
· Nous disons OUI à l´intégrité du territoire national et à l´unité du pays,
· Nous disons OUI à l´intégration de toutes les ethnies et tribus qui composent le grand Congo.
· Nous disons OUI à un nouvel ordre institutionnel, avec la séparation des trois pouvoirs traditionnels.
· Nous disons OUI à la démocratie et à l´avènement d´un Etat de droit, où la Loi constitutionnelle est au-dessus de tous.
· Nous disons OUI à la justice et à la paix
· Nous disons OUI au respect des droits humains.
· Nous disons OUI à la répartition et au partage équitables des richesses du pays entre les fils de ce pays.
· Nous disons OUI à la sauvegarde du patrimoine économique et à son utilisation dans l´intérêt du peuple et de la nation.
· Nous disons OUI à la promotion intégrale de tout homme habitant ce pays.
· Nous disons OUI à la coopération bilatérale et ´multisectorielle´ dans le respect de la souveraineté internationale de chaque pays et le respect de chaque peuple à son autodétermination.
· Nous disons OUI à la paix et aux relations de bon voisinage avec tous les pays qui nous entourent dans le respect strict de la souveraineté nationale.

Chers frères et sœurs,

5. Toutes ces exigences restent d´actualité jusqu´à ce jour et nous sommes convaincus que les voies vers une paix durable dans notre pays ainsi que dans toute la région des Grands Lacs sont indiquées dans ces points. Nous sommes tous frères. Arrêtons la guerre, mettons fin à des querelles et des disputes inutiles entre nous. Nous appartenons à la même Patrie. Pensons aux générations futures et construisons un pays resplendissant pour elles. Pour cela, il faut le dialogue entre nous Congolais et la reconnaissance par tous de la souveraineté du peuple sur tout ce qui regarde la destinée de notre pays.

6. Que les politiciens fassent un examen de conscience et que chacun, en toute sincérité, demande pardon au peuple. Qu´ils respectent les aspirations du peuple, afin que s´instaure chez nous un Etat de droit. Qu´ils se rappellent qu´ils devront un jour rendre compte de leurs actes devant l´histoire et devant Dieu. Oui, Dieu qui nous a ainsi tout donné, posera des questions suivantes à chaque congolais: qu´as-tu fait de ton frère et de ta sœur que j´avais mis à côté de toi? Qu´as-tu fait du Congo dans lequel je t´avais placé pour y vivre? Cessons tous de recourir à l´argument des premiers parents, qui au lieu de reconnaître chacun ses torts, s´accusait l´un l´autre afin de se disculper. Nous voulons une classe de dirigeants nouveaux qui mettent les intérêts supérieurs de la Nation avant toute autre chose et qui doivent répondre de leurs actes devant le peuple congolais.

7. Nous, les évêques, sommes heureux de constater que le peuple, malgré les conditions de vie déplorables dans lesquelles il se trouve, maintient vive son espérance. Nous félicitons toutes les personnes, congolaises et étrangères, qui entendent le cri du peuple et qui font ce qu´elles peuvent pour que la paix, la prospérité et le développem ent intégral soient effectifs dans notre pays. Nous nous souvenons avec beaucoup de révérence de toutes les personnes qui ont sacrifié leurs vies pour la défense des droits inaliénables des nos concitoyens.

8. Dans les limites de sa mission, l´Eglise n´oublie pas les pauvres, les exclus, les négligés, les orphelins, les malades, les opprimés, tous les nécessiteux. Elle restera engagée dans la promotion intégrale de l´homme et de tout homme. Elle est disposée à donner sa contribution dans l´effort de réconciliation des uns et des autres, dans la résolution des conflits et dans la construction citoyenne de la paix. Nous continuons de prier pour l´avènement de la prospérité dans notre pays et nous nous confions à Marie, la Mère de Notre Seigneur Jésus Christ et la Reine de la paix. Que l´Esprit Saint dont nous célébrons la fête aujourd´hui pénètre nos coeurs et nous ouvre à l´amour de Dieu et du prochain. AMEN.

Fait à Bukavu, le 03 juin 01

Frédéric Cardinal ETSOU
Archevêque de Kinshasa
Président de la CENC