Université et leaders religieux, Bangkok, Thaïlande © Vatican Media

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Thaïlande : abolir tous les esclavages, dans le sillage du roi Rama V (texte complet)

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« La logique de la rencontre et du dialogue mutuel comme chemin »

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Le roi Chulalongkorn (Rama V) de Thaïlande a été le premier souverain non-chrétien a être reçu au Vatican: c’était en 1897, il a rencontré le pape Léon XIII. Le pape François a évoqué cette circonstance extraordinaire lors de sa rencontre à l’Université qui porte le nom de ce roi, à Bangkok (Thaïlande), ce vendredi 22 novembre 2019, en présence de 1 500 personnes et de différents responsables religieux de Thaïlande.
Pour le pape François, « le souvenir de cette importante rencontre, comme celui de son Règne caractérisé, entre autres, par l’abolition de l’esclavage, nous interpelle et nous incite à devenir des protagonistes persévérants sur le chemin du dialogue et de l’entente mutuelle ».
Il a insisté sur la nécessité d’entrer dans une nouvelle « logique »: « Il est temps aujourd’hui d’oser imaginer la logique de la rencontre et du dialogue mutuel comme chemin, de la collaboration mutuelle comme conduite et la connaissance réciproque comme méthode et critère ».
Le pape a plaidé pour l’abolition de tous les esclavages modernes: « Et cela, il faudrait le faire dans un esprit d’engagement fraternel qui aide à mettre fin à de nombreux esclavages qui persistent de nos jours, je pense en particulier au fléau du trafic et de la traite des personnes ».
Le roi Rama V, né le 20 septembre 1853 à Bangkok et mort le 23 octobre 1910, a été « roi de Siam » de 1868 à 1910: il était le cinquième roi de la dynastie Chakri, fondée en 1782 et qui règne toujours sur le royaume de Siam devenu Thaïlande. Il est connu comme le « modernisateur » de Siam. Il a été le premier roi thaïlandais à voyager à l’étranger: Singapour, Inde, Europe, dont la Belgique et en France entre 1897 et 1907, et le Vatican.
Durant son règne de 42 ans, il a fondé le musée national de Bangkok, les services postaux, les chemins de fer afin de relier Bangkok à Ayutthaya et cette université où le pape s’est rendu: la première du pays.
Son règne aussi été marqué par de nombreuses mesures sociales, et d’un essor économique spectaculaire. En 1905, après 30 ans d’efforts, l’esclavage est aboli en Thaïlande.
Son portrait orne encore de nombreuses maisons, signe d’un souvenir vivant.
Le pape a salué la place des personnes âgées dans la société Thaïlandaise et le respect dont elles sont entourées: elles transmettent aux jeunes leurs « racines ». Le pape a aussi plaidé pour « l’avenir des jeunes ».
Il a encouragé dans ce sens les efforts de l’université en disant: « La recherche, la connaissance, aident à ouvrir de nouveaux chemins afin de réduire les inégalités entre les personnes, renforcer la justice sociale, défendre la dignité humaine, chercher les manières de résoudre pacifiquement les conflits et de préserver les ressources qui donnent vie à notre terre ».
Il a encouragé à promouvoir la « fraternité humaine »: « Chers frères, nous sommes tous membres de la famille humaine et chacun, à sa place, est invité à être un acteur et un responsable direct de la construction d’une culture basée sur des valeurs partagées qui conduisent à l’unité, au respect mutuel et à la cohabitation harmonieuse ».
Voici le discours du pape François, dans la traduction officielle du Vatican.
AB

Rencontre à l'université de Bangkok, Thaïlande, capture @ Vatican Media

Rencontre à l’université de Bangkok, Thaïlande, capture @ Vatican Media

Discours du pape François
Monsieur le Cardinal,
Frères dans l’épiscopat,
Distingués représentants des différentes confessions religieuses,
Représentants de la Communauté universitaire Chers amis,
Je vous remercie pour votre accueil cordial. Je remercie Monseigneur Sirisut et le Dr Bundit Eua-arporn pour leurs aimables paroles. Je remercie aussi pour l’invitation à rendre visite à cette célèbre Université, à vous, étudiants, professeurs et personnel, qui donnez vie à cette institution éducative, ainsi que pour l’occasion qui m’est offerte de rencontrer les représentants des différentes communautés chrétiennes et les leaders d’autres religions qui m’honorent de leur présence. Je vous exprime ma gratitude pour votre présence ici, ainsi que ma particulière estime et ma reconnaissance pour le précieux patrimoine culturel et les traditions spirituelles dont vous êtes les héritiers et les témoins.
Université et leaders religieux, Bangkok, Thaïlande © Vatican Media

Université et leaders religieux, Bangkok, Thaïlande © Vatican Media

Cela fait 122 ans, en 1897, que le roi Chulalongkorn, dont cette première Université tire son nom, a visité Rome et a eu une audience avec le Pape Léon XIII : c’était la première fois qu’un chef d’Etat non chrétien était reçu au Vatican. Le souvenir de cette importante rencontre, comme celui de son Règne caractérisé, entre autres, par l’abolition de l’esclavage, nous interpelle et nous incite à devenir des protagonistes persévérants sur le chemin du dialogue et de l’entente mutuelle. Et cela, il faudrait le faire dans un esprit d’engagement fraternel qui aide à mettre fin à de nombreux esclavages qui persistent de nos jours, je pense en particulier au fléau du trafic et de la traite des personnes.
Le besoin de reconnaissance et de valorisation mutuelles, de même que de coopération entre les religions, est encore plus pressant pour l’humanité actuelle ; le monde d’aujourd’hui est confronté à des problématiques complexes comme la mondialisation économique et financière et ses graves conséquences sur le développement des sociétés locales. Les rapides progrès – apparemment prometteurs pour un monde meilleur – coexistent avec la persistance tragique de conflits civils : migrations, expatriations, famines et guerres, sans compter la dégradation et la destruction de notre maison commune. Toutes ces situations nous mettent en alerte et nous rappellent qu’aucune région ni aucune partie de notre famille humaine ne peut se considérer ni se construire comme une entité étrangère ou immunisée par rapport aux autres. Ce sont toutes des situations qui demandent par ailleurs que nous cherchions à trouver de nouvelles manières de bâtir l’histoire présente, sans avoir besoin de dénigrer ou de décrier qui que ce soit. Les époques, où la logique du repli sur soi pouvait prévaloir dans la conception du temps et de l’espace et s’imposer comme mécanisme valable pour résoudre les conflits, sont révolues. Il est temps aujourd’hui d’oser imaginer la logique de la rencontre et du dialogue mutuel comme chemin, de la collaboration mutuelle comme conduite et la connaissance réciproque comme méthode et critère. Et, de cette manière, offrir un nouveau paradigme pour la résolution des conflits et contribuer à la compréhension entre les personnes ainsi que pour sauvegarder la création. Je crois que, dans ce domaine, les religions, de même que les universités, sans pour autant renoncer à leurs notes essentielles et à leurs spécialités propres, ont beaucoup à apporter et à offrir ; tout ce que nous faisons dans ce sens est un pas significatif pour garantir aux plus jeunes générations leur droit à l’avenir, et sera aussi un service rendu à la justice et à la paix. C’est seulement ainsi que nous leur fournirons les instruments nécessaires pour que ce soient elles les principaux protagonistes dans la manière de créer des styles de vie durables et inclusifs.
Université et leaders religieux, Bangkok, Thaïlande © Vatican Media

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Cette époque demande, de notre part, de construire des fondations solides, ancrées dans le respect et la reconnaissance de la dignité des personnes, dans la promotion d’un humanisme intégral capable de reconnaître et de réclamer la défense de notre maison commune, dans une gestion responsable qui sauvegarde la beauté et l’exubérance de la nature comme un droit fondamental pour l’existence. Les grandes traditions religieuses de notre monde donnent le témoignage d’un patrimoine spirituel, transcendant et largement partagé, qui peut offrir de solides apports dans ce sens si nous sommes capables d’oser ne pas avoir peur de nous rencontrer.
Nous sommes tous appelés, non seulement à prêter attention à la voix des pauvres qui nous entourent, c’est-à-dire des marginaux, des opprimés, des peuples indigènes et des minorités religieuses, mais aussi à ne pas avoir peur de créer des instances, comme déjà, timidement il y en a qui se développent, où nous pouvons nous réunir et travailler en commun. Par ailleurs, il nous faut accepter l’exigence de défendre la dignité humaine et respecter le droit à la liberté de conscience ainsi que le droit à la liberté religieuse, et créer des lieux où offrir un peu d’air frais avec la certitude que « tout n’est pas perdu, parce que les êtres humains, capables de se dégrader à l’extrême, peuvent aussi se surmonter, opter de nouveau pour le bien et se régénérer, au-delà de tous les conditionnements mentaux et sociaux qu’on leur impose » (Lett. enc. Laudato si’, n. 205).
Ici, en Thaïlande, pays de grande beauté naturelle, je voudrais rappeler une note distinctive que je considère cruciale et qui fait partie, dans une certaine mesure, des richesses à “exporter” et à partager avec les autres régions de notre famille humaine. Vous valorisez et protégez vos personnes âgées – c’est une grande richesse! – , vous les respectez et leur manifestez une considération qui vous permet de préserver les racines nécessaires pour que votre peuple ne s’étiole pas derrière certains slogans qui finissent par vider et hypothéquer l’âme des nouvelles générations. Avec la tendance grandissante à discréditer les valeurs et les cultures locales par l’imposition d’un modèle unique, « nous voyons aujourd’hui une tendance à homogénéiser les jeunes, à dissoudre les différences propres à leur lieu d’origine, à les transformer en êtres manipulables, fabriqués en série. Il se produit ainsi une destruction culturelle qui est aussi grave que la disparition des espèces » (Exhort. ap. post-syn. Christus vivit, n. 186). Continuez à faire découvrir aux plus jeunes le bagage culturel de la société dans laquelle ils vivent. Aider les jeunes à découvrir la richesse vivante du passé et à aller à la recherche de leurs racines en en faisant mémoire est un acte d’amour véritable à leur égard, en vue de leur croissance et des choix qu’ils sont appelés à faire (cf. Ibid., n. 187).
Université et leaders religieux, Bangkok, Thaïlande © Vatican Media

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Toute cette approche implique nécessairement la contribution d’institutions éducatives comme cette Université. La recherche, la connaissance, aident à ouvrir de nouveaux chemins afin de réduire les inégalités entre les personnes, renforcer la justice sociale, défendre la dignité humaine, chercher les manières de résoudre pacifiquement les conflits et de préserver les ressources qui donnent vie à notre terre. Ma reconnaissance s’adresse, en particulier, aux éducateurs et aux professeurs de ce pays qui travaillent pour assurer aux générations présentes et à venir les compétences et surtout la sagesse des racines ancestrales qui leur permettront de participer à la promotion du bien commun de la société.
Chers frères, nous sommes tous membres de la famille humaine et chacun, à sa place, est invité à être un acteur et un responsable direct de la construction d’une culture basée sur des valeurs partagées qui conduisent à l’unité, au respect mutuel et à la cohabitation harmonieuse.
Université et leaders religieux, Bangkok, Thaïlande © Vatican Media

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Une fois de plus, je vous remercie de votre invitation et de votre attention. J’offre ma prière et mes vœux les meilleurs pour vos efforts visant à servir le développement de la Thaïlande, dans la prospérité et la paix. Sur vous tous ici présents, sur vos familles et sur ceux que vous servez, j’invoque la bénédiction divine. Et je vous demande aussi de le faire pour moi.
Merci beaucoup !
© Librairie éditrice du Vatican
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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