Thaïlande : Une Eglise née d’une graine de moutarde

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Interview d’un évêque rédemptoriste sur la charité et la mission dans ce pays

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ROME, Lundi 24 janvier 2011 (ZENIT.org) – Les chrétiens représentent moins de 1% des 67 millions d’habitants de Thaïlande. Et pourtant, l’Eglise contribue largement à l’éducation du pays – même le roi et la reine ont fréquenté les écoles catholiques – et à l’assistance aux Thaïlandais malades et à ceux qui souffrent : enfants atteints du sida, victimes du trafic d’êtres humains, pauvres.

Mgr George Yod Phimphisan est rédemptoriste et évêque émérite de Udon Thani.

Dans cette interview accordée à l’émission de télévision « Là où Dieu pleure », le prélat, âgé de 77 ans, parle du travail accompli par l’Eglise en Thaïlande – et de son espérance que les asiatiques deviennent les missionnaires du troisième millénaire chrétien.

Q : En Thaïlande, on dit qu’un vrai Thaïlandais est bouddhiste. Qu’en est-il pour vous ? Vous êtes né en Thaïlande, comment se fait-il que vous soyez à la fois chrétien et thaïlandais ?

Mgr Phimphisan : Mes origines sont diverses – écossaise, allemande, portugaise, japonaise et thaïlandaise. Je suis né dans une famille catholique. Mon père était d’origine portugaise et thaïlandaise et le père de ma mère, mon grand-père maternel, était écossais. Mes parents se sont connus en Thaïlande, et c’est ainsi que je suis né catholique.

Vous-même êtes missionnaire. L’êtes-vous parce que vous avez été conquis par le travail missionnaire ?

Je suis rédemptoriste et les rédemptoristes sont arrivés en Thaïlande il y a 60 ans. Il y avait à l’époque un prêtre missionnaire français de la Société des missions étrangères qui nous enseignait le catéchisme, et je lui ai dit un jour que je voulais être prêtre plus tard. Il m’a répondu que j’étais le genre de personne qui aime la compagnie des autres, et que je devrais donc entrer dans un ordre religieux pour pouvoir vivre en communauté.

Il m’a suggéré l’ordre salésien ; pendant un certain temps, ils avaient été en Thaïlande. J’ai répondu que cet ordre ne me plaisait pas parce que je ne voulais pas enseigner. Il m’a alors conseillé un autre ordre religieux qui venait juste d’arriver depuis deux à trois ans : les rédemptoristes. Il m’a emmené chez eux, et j’ai été conquis, surtout lorsqu’ils m’ont parlé de l’esprit de leur fondateur, saint Alphonse. J’ai été envoyé aux Philippines pendant deux ans au petit séminaire et un an au noviciat. Après mes vœux, on m’a envoyé en Amérique du Nord, parce que les premiers rédemptoristes venaient des Etats-Unis. Vous aurez sûrement remarqué mon accent américain. J’ai été ordonné prêtre aux Etats-Unis pour le dixième anniversaire de l’arrivée des rédemptoristes en Thaïlande. Je suis donc missionnaire par choix.

Vous vous sentez missionnaire dans votre propre pays ?

Oui, et le Saint-Siège a confié le diocèse de Udon Thani aux rédemptoristes. Mon prédécesseur, Mgr Duhart, a été le premier évêque du diocèse.

Durant la guerre du Vietnam, le président des Etats-Unis Eisenhower a mis en garde contre la « théorie du domino » que les communistes avaient mise en place dans les pays du Mékong. La Thaïlande devait être la prochaine cible, mais cela n’est jamais arrivé. C’est alors que tous les évêques de l’époque, dont la majorité était des étrangers, durent présenter leur démission et laisser place à des prêtres locaux – des prêtres thaïlandais.

La raison pour laquelle, selon moi, le communisme n’a jamais pris racine en Thaïlande relevait d’une tactique très efficace du gouvernement. Ils étiquetèrent les communistes comme « colonisateurs » et rallièrent le peuple thaïlandais en leur déclarant que la Thaïlande n’avait jamais été colonisée par personne et que les communistes voulaient la coloniser. C’était tout ce que le gouvernement avait à dire, le peuple prit les armes et combattit les communistes, catalogués comme des « colonisateurs ». Je pense que nous sommes le seul pays du sud-est asiatique à n’avoir jamais été colonisé.

Ensuite, le fossé entre riches et pauvres en Thaïlande est en train d’être « comblé » par sa Majesté le roi et la famille royale. Ils sont toujours du côté des pauvres. Donc, l’influence communiste est négligeable et lointaine, même si nous avons eu des infiltrations. Mais nous n’avons jamais connu de prise de pouvoir et nous rendons grâce à Dieu pour cela. La partie thaïlandaise du Mékong se trouve donc là où le communisme s’est arrêté, et il n’a jamais pris pied en Thaïlande.

Les rédemptoristes ont également un net amour préférentiel pour les pauvres. Que faîtes-vous pour les pauvres dans votre diocèse ?

Une des choses que nous essayons de faire est de contribuer aux programmes de développement. Nous avons plusieurs projets sociaux pour les pauvres, et avant de les aider, nous explorons des pistes pour qu’ils s’aident mutuellement. Dans le passé, les gens des villages, par exemple – la culture du riz est très répandue en Thaïlande et les gens cultivent leur propre riz – se réunissaient durant la récolte de riz pour s’entraider, et le producteur de riz qui avait besoin d’aide offrait le repas. C’est une pratique très courante dans les villages. Il n’y avait pas besoin d’embaucher des travailleurs temporaires. Il existait un bel esprit d’entraide. Nous faisons en sorte qu’il se maintienne.

Un autre projet concerne notre travail auprès des enfants handicapés ; dans le passé, les familles qui comptaient un handicapé enchaînaient cet enfant à l’intérieur de la maison pendant qu’ils travaillaient aux champs, parce qu’ils ne voulaient pas qu’on découvre qu’ils avaient un enfant handicapé. Si vous avez un enfant handicapé, on pense que vous avez vécu ou fait quelque chose de mal dans votre vie antérieure et, selon leur croyance, que c’est une forme de châtiment. Nous avons constitué un groupe de soutien pour ces familles ayant des enfants handicapés et nous les encourageons à se réunir et s’entraider au moment de la récolte.

Actuellement, nous avons mis en place un programme très important pour les enfants dont les parents ont le sida. Nous disposons de deux centres, dont l’un compte environ 160 enfants.

Pourquoi le sida est-il si répandu en Thaïlande ?

Il se propage vraiment beaucoup. Les gens ont recours aux services des prostituées dans les bars et ne savent pas trop comment le sida se contracte et se transmet.

S’agit-il d’un problème de la société thaïlandaise en général ou a-t-il à voir avec les touristes ?

Les deux, mais le problème vient des Thaïlandais ; ils ne prennent pas au sérieux la menace du sida. A une époque, le taux de sida était très élevé, mais il recule à présent parce qu’ils ont vu les résultats. Les gens ont maintenant tellement peur du sida que lorsqu’un enfant nait de parents atteints du sida, cela devient une disgrâce sociale. Dans mon diocèse, la plupart des gens viennent des villages et disposent de beaucoup de temps libre en raison de l’emploi saisonnier dans les fermes, ou tout simplement parce qu’ils n’ont pas assez de travail. Ils vont dans les grandes villes pour travailler. Les hommes, surtout après le travail, utilisent les services des prostituées et contractent le sida. Ces mêmes hommes reviennent ensuite chez eux et ont des relations sexuelles avec leurs femmes ; un enfant naît avec le sida.

Quand ils découvrent que leur enfant a le sida, ils craignent que cet enfant en contamine d’autres. Ils rejettent ces enfants et nous les envoient.

Etes-vous les seuls à les accueillir ? Les bouddhistes n’en font-ils pas autant ?

Il y a un grand monastère et un moine en Thaïlande qui accueillent les personnes atteintes du sida. Mais ils ne sont pas dans notre région. Nous sommes dans le nord-est de la Thaïlande et nous avons un seul prêtre rédemptoriste américain, père Mic
hael Shea, qui prend en charge 160 enfants atteints du sida. Il a construit trois maisons séparées pour les garçons adultes, les filles et les plus jeunes. Il fait cela depuis plus de 15 ans. Certains de ces enfants ont survécu. Ils ne sont pas morts. Avec les survivants, au bout de la troisième année on peut savoir s’ils ont le sida ou non. Le père rédemptoriste Michael Shea dirige la Maison Sarnelli pour enfants atteints du sida. [La Maison Sarnelli, un hospice et orphelinat situé dans le village de Donwai, près de la ville de Nong Khai, fournit un environnement sûr, sain et aimant pour les enfants de 8 mois à 15 ans tout au long de leur vie.]

Il existe un autre problème lié au sida : le trafic de femmes et d’enfants. Le pape lui-même a évoqué ce problème.

Le trafic n’est pas seulement intérieur, mais est également le fait de gens venant de l’extérieur, par exemple du Laos, du Cambodge et du Myanmar. Ils viennent et se lancent dans la prostitution. C’est notre plus gros problème.

En tant qu’Eglise catholique en Thaïlande, avez-vous un projet particulier pour cela ?

Oui, nous en avons. Nous essayons de leur donner un traitement et une assistance, car beaucoup d’entre eux sont des réfugiés et, le plus souvent, en situation d’illégalité. Beaucoup de ces personnes sont des victimes et on profite d’eux, et beaucoup des trafiquants sont des Thaïlandais. Récemment, on en a arrêté un grand nombre, aussi on enregistre un recul. Il reste maintenant à obtenir des autorités qu’ils s’assurent que cela ne continuera pas. Nous les encourageons et faisons ce que nous pouvons, mais les autorités doivent s’impliquer.

L’Eglise catholique est une minorité et, pourtant, elle semble mener à bien des projets comme l’éducation, l’aide aux femmes et aux enfants ainsi que l’assistance aux malades du sida, et cela au nom de la société thaïlandaise ?

Effectivement. Quand les communistes ont pris possession du Laos, de nombreux Laotiens ont traversé le Mékong pour gagner la Thaïlande comme réfugiés. Ils sont arrivés par milliers et dizaines de milliers. Un grand nombre de nos religieuses ont proposé de les aider. Les religieuses préparaient sans interruption un repas par jour pour ces réfugiés. Au bout d’un certain temps, ces réfugiés ont demandé aux religieuses : « Pourquoi faites-vous ceci ? Vous voulez que nous devenions catholiques comme vous ? » Les religieuses ont répondu : « Non ce n’est pas pour cette raison que nous le faisons. Si nous vous aidons, c’est parce que notre religion nous enseigne à aimer notre prochain, vous êtes notre prochain et donc nous vous aidons. »

Finalement, certains de ces réfugiés ont été accueillis dans d’autres pays, d’autres se sont établis en Thaïlande. C’est là un bon exemple de l’aide que fournissent les catholiques.[…]

Que peut apporter l’Eglise catholique thaïlandaise à l’Eglise universelle ?

Nous avons encore de bonnes vocations en Thaïlande. Pour vous donner une idée ; sur 65 millions d’habitants, il y a 350 000 catholiques, soit moins de 1%. Nous possédons 150 séminaristes dans notre grand séminaire national pour prêtres diocésains. Nous avons aussi des ordres religieux masculins et féminins dans tout le pays. Quand je suis devenu évêque il y a 34 ans, vu le nombre de vocations, j’ai proposé la création d’une société de missions en Thaïlande. Trois ou quatre ans après, l’idée a fait son chemin, et nous avons maintenant notre propre société de missions.

Vous pouvez donc nous envoyer des prêtres ?

Oui, le cas échéant, mais pour le moment, nous les envoyons dans nos pays voisins, Laos, Cambodge etc., qui ont plus ou moins la même culture. Nous commençons par là. Quand, au début, j’ai fait cette proposition, mon idée était celle-ci : lorsque les missionnaires sont venus d’Europe pour propager la foi, ils ne sont pas venus parce qu’ils avaient trop de missionnaires, non, ils avaient besoin de ces prêtres, mais ils se sont sacrifiés pour nous apporter la foi. Aussi nous devrions à notre tour faire ce sacrifice. Récemment, nous avons célébré les 350 ans de la Société des missions étrangères de Thaïlande, le premier pays d’Asie, je crois, où sont arrivés ces missionnaires, aussi notre foi en Thaïlande date de 350 ans environ. Ils ont été les premiers à le faire.

Si vous pouviez l’exprimer en une phrase, quelle serait votre espérance ?

Au train où vont les choses à présent, j’espère en tant que missionnaire, grâce notamment à notre société des missions, que nous pourrons contribuer à envoyer des missionnaires dans d’autres pays. J’ai assisté au synode des évêques pour l’Asie, et j’ai contribué à la traduction en thaïlandais du document « Ecclesia in Asia ». Je suis membre également du conseil post-synodal pour l’Asie et je viens à Rome tous les ans pour cela.

Je me souviens d’une phrase de ce document : au cours du premier millénaire, l’Eglise s’est répandue en Europe. Au cours du second, en Europe, en Amérique et dans une partie de l’Afrique. Au cours du troisième millénaire, ce sera en Asie. L’Asie est l’avenir.

Il s’agit plus ou moins d’un défi pour nous et, en même temps, d’une prophétie, que, peut-être maintenant en Asie, nous sommes en mesure d’envoyer des missionnaires en Europe, en Amérique et en Afrique. C’est notre espérance et nous rendons grâce à Dieu pour cela.

Propos recueillis par Marie Pauline Meyer, pour l’émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l’association Aide à l’Eglise en Détresse (AED).

Sur le Net :

– Aide à l’Eglise en détresse France

www.aed-france.org

– Aide à l’Eglise en détresse Belgique

www.kerkinnood.be

– Aide à l’Eglise en détresse Canada

www.acn-aed-ca.org

– Aide à l’Eglise en détresse Suisse

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ZENIT Staff

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