ROME, Lundi 22 juin 2009 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de l’homélie que le pape Benoît XVI a prononcée au cours de la messe qu’il a présidée à San Giovanni Rotondo, en Italie, sur le parvis de l’église San Pio di Pietrelcina.
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Chers frères et sœurs,
Au cœur de mon pèlerinage en ce lieu, où tout parle de la vie et de la sainteté de Padre Pio da Pietrelcina, j’ai la joie de célébrer pour vous et avec vous l’Eucharistie, mystère qui a constitué le centre de toute son existence : l’origine de sa vocation, la force de son témoignage, la consécration de son sacrifice. Je salue avec une grande affection vous tous qui êtes venus nombreux ici, et ceux qui sont en liaison avec nous à travers la radio et la télévision. Je salue tout d’abord S.Exc. Mgr Domenico Umberto D’Ambrosio, qui, après tant d’années de fidèle service à cette communauté diocésaine, s’apprête à assumer la charge pastorale de l’archidiocèse de Lecce. Je le remercie cordialement également parce qu’il s’est fait l’interprète de vos sentiments. Je salue les autres évêques concélébrants. J’adresse un salut spécial aux frères capucins, avec le Ministre général, frère Mauro Jöhri, le définiteur général, le ministre provincial, le père gardien du couvent, le recteur du sanctuaire et la fraternité capucine de San Giovanni Rotondo. Je salue en outre avec reconnaissance ceux qui offrent leur contribution au service du sanctuaire et des œuvres annexes ; je salue les autorités civiles et militaires ; je salue les prêtres, les diacres, les autres religieux et religieuses et tous les fidèles. J’adresse une pensée affectueuse à ceux qui se trouvent dans la Maison du soulagement de la souffrance, aux personnes seules et à tous les habitants de votre ville.
Nous venons d’écouter l’Evangile de la tempête apaisée, que l’on a rapproché d’un texte bref mais incisif du Livre de Job, où Dieu se révèle comme le Seigneur de la mer. Jésus menace le vent et ordonne à la mer de se calmer, il l’interpelle comme si celle-ci s’identifiait au pouvoir diabolique. En effet, selon ce que nous disent la première Lecture et le Psaume 106/107, dans la Bible la mer est considérée comme un élément menaçant, chaotique, potentiellement destructeur, que seul Dieu, le Créateur, peut dominer, gouverner et apaiser.
Il existe cependant une autre force – une force positive – qui anime le monde, capable de transformer et de renouveler les créatures : la force de l’«amour du Christ» (2 Co 5, 14), comme l’appelle saint Paul dans la Deuxième Lettre aux Corinthiens : ce n’est donc pas essentiellement une force cosmique, mais divine, transcendante. Il agit également sur le cosmos mais, en lui-même, l’amour du Christ est un pouvoir «autre», et le Seigneur a manifesté cette altérité transcendante dans sa Pâque, dans la «sainteté» du «chemin» qu’Il a choisi pour nous libérer de la domination du mal, comme cela s’était produit pour l’exode d’Egypte, lorsqu’il avait fait sortir les juifs à travers les eaux de la Mer Rouge. «O Dieu – s’exclame le psalmiste – la sainteté est ton chemin… Par la mer passait ton chemin / tes sentiers, par les eaux profondes» (Ps 77/76, 14.20). Dans le mystère pascal, Jésus est passé à travers l’abîme de la mort, car Dieu a ainsi voulu renouveler l’univers : à travers la mort et la résurrection de son Fils «mort pour tous», pour que tous puissent vivre «pour celui qui est mort et ressuscité pour eux» (2 Co 5, 16).
Le geste solennel de calmer la mer en tempête est clairement le signe de la domination du Christ sur les puissances négatives et incite à penser à sa divinité : «Qui est-il donc – se demandent émerveillés et craintifs les disciples -, pour que même le vent et la mer lui obéissent» (Mc 4, 41). Leur foi n’est pas encore solide, elle est en train de se former ; c’est un mélange de peur et de confiance ; l’abandon confiant de Jésus au Père est en revanche total et pur. C’est pourquoi Il dort pendant la tempête, absolument en sécurité entre les bras de Dieu. Mais le moment viendra où Jésus éprouvera la peur et l’angoisse : lorsque son heure viendra, il sentira sur lui le poids des péchés de l’humanité, comme une marée montante qui va s’abattre sur Lui. Il s’agira alors d’une tempête terrible, non pas d’une tempête cosmique, mais spirituelle. Ce sera le dernier assaut extrême du mal contre le Fils de Dieu.
Mais en cette heure, Jésus ne douta pas du pouvoir de Dieu le Père et de sa proximité, même s’il dut faire pleinement l’expérience de la distance de la haine à l’amour, du mensonge à la vérité, du péché à la grâce. Il fit l’expérience de ce drame en lui-même de manière déchirante, en particulier au Gethsémani, avant son arrestation, et ensuite durant toute sa passion, jusqu’à sa mort en croix. En cette heure, Jésus fut, d’une part, entièrement un avec le Père, pleinement abandonné à Lui ; mais, de l’autre, en tant que solidaire avec les pécheurs, il fut comme séparé et se sentit comme abandonné par Lui.
Certains saints ont vécu intensément et personnellement cette expérience de Jésus. Padre Pio da Pietrelcina est l’un d’eux. Un homme simple, d’origine humble, «saisi par le Christ» (Ph 3, 12) – comme l’apôtre Paul l’écrit de lui-même – pour en faire un instrument élu du pouvoir éternel de sa Croix : pouvoir d’amour pour les âmes, de pardon et de réconciliation, de paternité spirituelle, de solidarité effective avec ceux qui souffrent. Les stigmates, qui marquèrent son corps, l’unirent intimement au Crucifié-Ressuscité. Authentique disciple de saint François d’Assise, il fit sienne, comme le Poverello d’Assise, l’expérience de l’apôtre Paul, telle qu’il la décrit dans ses Lettres : «Avec le Christ, je suis fixé à la croix ; je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi» (Ga 2, 20) ; ou bien : «Ainsi la mort fait son œuvre en nous, et la vie en vous» (2 Co 4, 12). Cela ne signifie pas aliénation, perte de personnalité : Dieu n’annule jamais l’être humain, mais le transforme avec son Esprit et l’oriente au service de son dessein de salut. Padre Pio conserva ses dons naturels, et aussi son tempérament, mais il offrit chaque chose à Dieu, qui a pu s’en servir librement pour prolonger l’œuvre du Christ : annoncer l’Evangile, remettre les péchés et guérir les malades dans le corps et l’esprit.
Comme ce fut le cas pour Jésus, Padre Pio a dû soutenir la vraie lutte, le combat radical non contre des ennemis terrestres, mais contre l’esprit du mal (cf. Ep 6, 12). Les plus grandes «tempêtes» qui le menaçaient étaient les assauts du diable, dont il se défendait avec l’«armure de Dieu», avec «le bouclier de la foi» et «l’épée de l’Esprit, c’est-à-dire la parole de Dieu» (Ep 6, 11.16.17). Restant uni à Jésus, il n’a jamais perdu de vue la profondeur du drame humain, et c’est pour cela qu’il s’est offert et a offert ses nombreuses souffrances, et il a su se prodiguer pour le soin et le soulagement des malades, signe privilégié de la miséricorde de Dieu, de son Royaume qui vient, qui est même déjà dans le monde, de la victoire de l’amour et de la vie sur le péché et sur la mort. Guider les âmes et soulager les souffrances : ainsi peut-on résumer la mission de saint Pio da Pietrelcina, comme l’a dit également à son propos le serviteur de Dieu, le Pape Paul VI : «C’était un homme de prière et de souffrance» (Aux pères capitulaires capucins, 20 février 1971).
Chers amis, frères mineurs capucins, membres des groupes de prière et tous les fidèles de San Giovanni Rotondo, vous êtes les héritiers de Padre Pio et l’héritage qu’il vous a laissé est la sainteté. Dans une de ses lettres, il écrit : «Il semble que Jésus n’ait pas d’autre souci à l’esprit que celui de sanctifier votre âme» (Epist. II, p.
155). Telle était toujours sa première préoccupation, son inquiétude sacerdotale et paternelle : que les personnes reviennent à Dieu, qu’elles puissent faire l’expérience de sa miséricorde et, intérieurement renouvelées, puissent redécouvrir la beauté et la joie d’être chrétiens, de vivre en communion avec Jésus, d’appartenir à son Eglise et de pratiquer l’Evangile. Padre Pio attirait sur la voie de la sainteté grâce à son propre témoignage, en indiquant par l’exemple le «chemin» qui conduit à celle-ci : la prière et la charité.
Avant tout la prière. Comme tous les grands hommes de Dieu, Padre Pio était lui-même devenu prière, corps et âme. Ses journées étaient un rosaire vécu, une méditation et une assimilation continues des mystères du Christ en union spirituelle avec la Vierge Marie. C’est ainsi que s’explique la comprésence singulière en lui de dons surnaturels et de qualités humaines. Et tout atteignait son sommet dans la célébration de la Messe : là il s’unissait pleinement au Seigneur mort et ressuscité. De la prière, comme d’une source toujours vive, jaillissait la charité. L’amour qu’il portait dans son cœur et qu’il transmettait aux autres était plein de tendresse, toujours attentif aux situations réelles des personnes et des familles. En particulier à l’égard des malades et des personnes qui souffrent il nourrissait la prédilection du Cœur du Christ, et c’est précisément de celle-ci qu’a pris origine et forme le projet d’une grande œuvre consacrée au «soulagement de la souffrance». On ne peut pas comprendre ni interpréter comme il se doit cette institution si on la sépare de sa source d’inspiration, qui est la charité évangélique, animée à son tour par la prière.
Très chers amis, Padre Pio repropose tout cela aujourd’hui à notre attention. Les risques de l’activisme et de la sécularisation sont toujours présents ; c’est pourquoi ma visite a également pour de vous confirmer dans la fidélité à la mission héritée de votre bien-aimé père. Beaucoup d’entre vous, religieux, religieuses et laïcs, êtes tellement pris par les mille occupations requises par le service aux pèlerins, ou aux malades de l’hôpital, que vous courez le risque de négliger la chose vraiment nécessaire : écouter le Christ pour accomplir la volonté de Dieu. Lorsque vous vous apercevez que vous êtes proches de courir ce risque, regardez Padre Pio : son exemple, ses souffrances ; et invoquez son intercession, pour qu’il obtienne du Seigneur la lumière et la force dont vous avez besoin pour poursuivre sa mission imprégnée d’amour pour Dieu et de charité fraternelle. Et du ciel, qu’il continue à exercer cette paternité totalement spirituelle qui l’a distingué au cours de son existence terrestre ; qu’il continue à accompagner ses confrères, ses fils spirituels et toute l’œuvre qu’il a commencée. Avec saint François, et la Vierge, qu’il a tant aimée et faite aimer dans ce monde, qu’il veille sur vous tous et vous protège toujours. Et alors, même dans les tempêtes qui peuvent se lever à l’improviste, vous pourrez faire l’expérience du souffle de l’Esprit Saint, qui est plus fort que tout vent contraire et qui pousse la barque de l’Eglise et chacun de nous. Voilà pourquoi nous devons toujours vivre dans la sérénité et cultiver la joie dans notre cœur, en rendant grâce au Seigneur. « Son amour est pour toujours » (Psaume responsorial). Amen !
© Copyright du texte original en italien : Librairie Editrice du Vatican
Traduction : Zenit