La réalité résiste à l'idéologie : analyse de Mgr de Kérimel

Groupe de réflexion des évêques français sur l’avortement

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Comme dans le cas de la réflexion sur la préparation au mariage qui a démarré en mars 2011 – bien avant les mouvements d’automne 2012 et 2013 -, il semble que la réflexion des évêques de France sur l’avortement comme « phénomène social » et ses conséquences sur « l’éducation des jeunes » ait anticipé sur les événements, et notamment sur le rapport qui vient d’être publié en France, le 7 novembre, suscitant de vives réactions des associations engagées pour la défense de l’enfant à naître et le soutien aux mères en difficulté.

Mais les évêques de France n’entreront pas dans la polémique, choisissant, selon la longue tradition de l’Eglise, une dynamique d’accompagnement des personnes en souffrance, déclare en substance Mgr Guy de Kérimel, évêque de Grenoble, qui a coordonné ce groupe de travail de cinq évêques de France, mis en place il y a un an, lors de leur assemblée d’automne 2012.

Le groupe a d’abord écouté les expériences des associations, notamment « Agapa », écouté des témoignages, de façon à recueillir des données objectives qui permettent aux évêques de poser un regard sur la situation, non pas seulement du point de vue des statistiques du « nombre d’avortements chaque année en France » mais de « l’évolution des mentalités ». Avec ce constat de l’augmentation du nombre d’avortement chez des adolescentes.

Le mystère de la peur de la vie

Mgr de Kérimel a fait observer, que « dans la culture actuelle, une grossesse imprévue, non programmée, est perçue comme une agression » : « tout ce qui n’est pas maîtrisé, programmé », y compris pour une femme, « se découvrir enceinte sans l’avoir désiré, prévu, est ressenti comme une agression ».

Surtout, le groupe de travail a constaté, « dans le contexte de l’éclatement de la société, de la famille, une grande détresse humaine » et la grande solitude des femmes qui doivent porter beaucoup de choses ».

Il est donc, « important pour les évêques de bien comprendre le contexte », de comprendre que l’avortement se situe dans une culture marquée par le « mystère » de la « peur de la vie » et une « société en désespérance ».

L’évêque insiste : « Je suis frappé par le fond de désespérance dans la société actuelle ». Premier point donc, obtenir un « bon aperçu global de la situation ».

L’accueil des femmes en détresse

La deuxième étape consisterait à « faire le point sur ce que fait l’Eglise aujourd’hui dans cette situation ». Si, au plan de la parole l’Eglise est restée « assez discrète », c’est, fait remarquer l’évêque, « parce que nous ne savions pas comment parler ». Toute « prise de parole dans une homélie » était « mal reçue » : « nous sentions bien la grande difficulté à parler de façon ajustée sur ce sujet ». Il ajoute cette autre constatation que « dans la société elle-même », le sujet est « tabou ».

Pourtant, voilà qu’on en reparle aujourd’hui « pour différentes raisons », et il devient « plus facile pour les évêques de prendre parole, pas seulement pour condamner l’avortement mais pour manifester leur « souci des personnes en  détresse ».

Il faut « nous occuper des personnes touchées par ce drame », pour pouvoir, explique-t-il, « reprendre la parole ». La « détresse et l’angoisse terrible de la femme jusqu’à sa décision », la « grande souffrance et la détresse aussi après l’avortement » : un certain nombre « commencent à l’exprimer » y compris des gens favorable à l’avortement. Il y a une plus grande « reconnaissance de la souffrance » vécue après un avortement.

Mgr de Kérimel pose alors la question de « l’accompagnement » à proposer : comment former les prêtres, comment les communautés chrétiennes peuvent-elles accompagner ? Il faut, dit-il « beaucoup de compétence », pour un « accompagnement ajusté », une grande « connaissance humaine », faute de quoi on peut « peut faire de grosses bêtises et bloquer les gens ».

Certes, il s’agit aussi d’aider les femmes « à voir clair sur leur responsabilité », mais « sans faire porter plus de culpabilité que la réalité », « sans en rajouter », car elles « ne sont pas seules responsables : il y a toujours un homme ».  Il constate : « les hommes sont les grands absents. »

La seconde étape de la réflexion sera donc de « réfléchir à ces questions-là », et de voir dans quels diocèses il existe déjà des « lieux d’accueil pour les femmes en détresse », des femmes qui ont vécu un avortement.

L’éducation des jeunes

La troisième étape concerne l’éducation des jeunes. L’enseignement catholique est un « lieu majeur » ainsi que les aumôneries, souligne l’évêque : « J’insiste pour que l’on parle de l’amour humain aux adolescents, mais les initiatives sont encore très timides, or les jeunes baignent dans une culture où l’avortement est normal ».

Il cite une visite dans un lycée, où les jeunes ont posé à l’évêque leurs questions et où sa parole a été « très bien reçue » … jusqu’à la question de l’avortement.

Il insiste sur le trésor de l’Eglise : sa théologie du corps. La société est marquée par « l’éclatement entre la personne et son corps, entre vocation relationnelle et individualisme et solitude », d’où une difficulté à « établir de vraies relations ». Tandis que l’Eglise apporte la « bonne nouvelle d’une vision unifiée de la personne ».

Car la position de l’Eglise, la théologie chrétienne « rejoint profondément l’expérience humaine » : « Dans nos paroles, il nous faut trouver les mots qui permettent de retrouver l’expérience humaine ». Voilà le chemin de la réflexion des évêques.

La réalité résiste à l’idéologie

Lors de l’échange avec la presse, Mgr de Kérimel a souligné que malgré la « banalisation » de l’avortement, et l’idéologie, qui voudrait « faire changer la réalité », la réalité « résiste » : la réalité de la souffrance et de l’angoisse, souvent vécue dans une grande solitude, de la part des femmes, mais aussi des médecins qui pratiquent l’avortement : « ils vivent des choses très dures, certains osent l’écrire, des situations extrêmement violentes ».

Pourtant, face aux idéologies dominantes, Mgr de Kérimel fait observer : « il ne faudrait pas nous laisser enfermer dans cette polémique, ne pas se poser « contre », mais être « pour » : « pour » le bien des hommes et des femmes impliqués dans ces situations, en particulier les femmes, « pour » la société pour redonner le goût de la vie aux Français. Le but n’est pas d’être « contre » une idéologie.

Il évoque le rapport français envisageant d’annuler notamment le délai de réflexion de 7 jours et la clause de conscience : « Je ne pense pas qu’il est utile pour nous et bon que l’on considère que le groupe des évêques a été mis en place pour contrer le texte : il a plus de largeur. » La présidence évaluera la possibilité d’une prise de parole.

L’évêque de Grenoble souligne aussi le paradoxe français : la France a un fort taux d’avortement et de pratique contraceptive, et pourtant, elle continue d’avoir un taux de natalité supérieur à la plupart des pays occidentaux : « la France aime les enfants ».

Il diagnostique en amont une « association entre matérialisme et mentalité malthusienne » : « aujourd’hui, on a peur de mettre enfants au monde, peur qu’ils souffrent, en partie du fait de la perte du sens de la transcendance, de la foi en une vie au-delà de la mort, qui enferme un peu plus dans la d
ésespérance, et touche aussi les milieux chrétiens ».

C’est une « culture de l’immédiat », à la fois l’intérieur et l’extérieur de l’Eglise. Il encourage dans ce sens à « retravailler la question de l’eschatologie, de la vie future ».

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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