La transmission de la foi est aussi une transmission de l'espérance

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Allocution devant la Commission pour l’Amérique latine

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La transmission de la foi est aussi une transmission de l’espérance, déclare le pape François à l’adresse de la Commission pontificale pour l’Amérique latine. Pour transmettre la foi, fait aussi observer le pape, « il faut créer des habitudes de conduite ».

« Si nous voulons transmettre la foi uniquement avec son contenu, alors ce sera seulement quelque chose de superficiel ou d’idéologique, sans point d’ancrage », explique le pape.

Le pape revient aussi sur son commentaire de la fête de la Présentation de Jésus au Temple, et il souligne l’importance du rapport des jeunes à leurs grands-parents : « Ce phénomène du contact des enfants et des jeunes avec leurs grands-parents a permis de maintenir la foi dans les Pays de l’Est pendant toute l’ère communiste parce que les parents ne pouvaient pas fréquenter l’église. »

Il ajoute une analyse très réaliste de ce qu’il appelle la culture du « rebut », du « déchet », témoignant de ce qu’il a vu et observé..

Le pape a aussi adressé un message, publié vendredi 28 février, à l’occasion de l’audience accordée aux membres de la Commission pontificale pour l’Amérique latine et les Caraïbes, présidée par le cardinal canadien Marc Ouellet, préfet de la Congrégation pour les évêques.

Dans ce message, le pape commente l’Evangile du jeune homme riche, manifestant les trois attitudes de Jésus à imiter dans les relations avec les jeunes : accueil sans condition, dialogue franc, et appel à le suivre. Il invite non seulement à « ouvrir les portes » aux jeunes, mais à « aller les chercher ».

Le pape a aussi prononcé ce discours, d’abondance du coeur, devant la Commission. Voici notre traduction intégrale de cette allocution.

A.B.

Allocution du pape François

Bonjour ! Je remercie le Cardinal Ouellet pour ses paroles et vous tous pour le travail que vous avez fait ces derniers jours.

Transmission de la foi et urgence éducative.  La transmission de la foi, cette expression, nous l’entendons souvent, elle ne nous surprend pas beaucoup. Nous savons que c’est aujourd’hui notre devoir de nous interroger sur la transmission de la foi, dont le sujet a été déjà proposé lors du dernier synode qui a pris fin avec l’évangélisation. L’urgence éducative est une expression que vous avez récemment adoptée avec ceux qui ont préparé ce travail. Et je l’aime bien, parce qu’elle crée un espace anthropologique, une vision anthropologique de l’évangélisation, une base anthropologique. S’il y a une urgence éducative pour la transmission de la foi, c’est bien la façon de traiter la catéchèse des jeunes du point de vue, disons, de la théologie fondamentale. En d’autres termes, quels sont les présupposés anthropologiques qui existent aujourd’hui dans la transmission de la foi, qui font qu’il y ait là pour les jeunes d’Amérique latine l’urgence d’une éducation. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire de toujours insister et d’en revenir aux grands principes de l’éducation.

Et le premier principe de l’éducation, c’est qu’éduquer – nous l’avons dit devant cette même Commission, nous l’avons dit autrefois – ne consiste pas seulement à transmettre des connaissances, un contenu, mais cela implique d’autres dimensions : transmettre un contenu, des habitudes et le sens des valeurs, ces trois choses ensemble.

Pour transmettre la foi, il faut créer des habitudes de conduite ; il faut créer les conditions permettant d’accueillirles valeurs capables de la préparer et de la faire grandir ; et il faut aussi donner un contenu de base. Si nous voulons transmettre la foi uniquement avec son contenu, alors ce sera seulement quelque chose de superficiel ou d’idéologique, sans point d’ancrage. La transmission doit s’appuyer sur le contenu avec les valeurs, le sens des valeurs et les habitudes, des habitudes de conduite. Les conseils que nous donnaient autrefois nos confesseurs quand nous étions enfants – « cette semaine faites ceci, ceci et cela… » – nous suggéraient une habitude de conduite et pas seulement un contenu, mais des valeurs. C’est dans ce cadre que doit se passer la transmission de la foi. Avec ces trois piliers.

Une autre chose qui est très importante pour les jeunes, une chose à leur transmettre à eux, aux enfants aussi, mais surtout aux jeunes, c’est une bonne gestion de l’utopie. En Amérique latine, nous avons fait l’expérience d’une très mauvaise gestion de l’utopie et qui, quelque part, dans certains endroits, pas partout, et pendant un certain temps nous a traumatisés. Au moins dans le cas de l’Argentine,  nous pouvons compter les jeunes de l’Action Catholique qui ont fini dans la guérilla des années soixante-dix, à  cause  d’une mauvaise gestion de l’utopie … Savoir gérer l’utopie, ou plutôt savoir guider –« gérer » n’est pas  un bon mot – savoir guider et aider à faire grandir l’utopie qui habite un jeune, constitue une richesse. Un jeune sans utopie est un vieux précoce, un vieux avant son temps. Comment puis-je faire en sorte que le désir de ce jeune, cette utopie, le porte à la rencontre de Jésus Christ ? C’est tout un chemin qui doit être fait.

Je voudrais suggérer ceci. L’utopie, chez un jeune, s’épanouit si elle s’accompagne de la mémoire et du discernement. L’utopie regarde vers l’avenir, la mémoire regarde vers le passé, et le présent on le discerne. Un jeune doit recevoir la mémoire et planter et ancrer son utopie dans cette mémoire, discerner dans le présent son utopie – les signes des temps – c’est alors que l’utopie progresse, mais très enracinée dans la mémoire et dans l’histoire qu’il a reçue – les directeurs de conscience discernaient le présent  car  il le fallait pour les jeunes –  et déjà projetée vers l’avenir.

L’urgence éducative trouve là déjà comme dans le lit d’une rivière où se couler à partir de ce qui fait le propre des jeunes, c’est-à-dire l’utopie.

D’où mon insistance, répétée un peu partout, sur le contact des personnes âgées et des jeunes : l’icône de la présentation de Jésus au Temple. Le contact des jeunes et des grands-parents est déterminant. Des évêques de ces pays en crise où sévit un chômage important chez les jeunes me disaient que la solution se trouvait partiellement résolue par le fait que ce sont les grands-parents qui les élèvent. Ils reprennent contact avec leurs grands-parents, ceux-ci touchent leur retraite, alors ils sortent de la maison de retraite, ils reviennent dans leur famille et en plus ils y apportent leur mémoire.

Je me rappelle avoir vu un film, il y a près de vingt-cinq ans, de Kurosawa, ce fameux metteur en scène japonais. Très simple : une famille, deux enfants, le père et la mère. Et les parents vont en voyage aux Etats-Unis en laissant les enfants à la grand-mère. Des enfants japonais : Coca Cola, hot dogs…. ce genre de culture. Et le film raconte tout du long comment ces enfants commencent peu à peu à écouter ce que leur raconte leur grand-mère sur l’histoire de son peuple. Quand les parents reviennent, ce sont eux qui ne comprennent plus : ils sont hors de la mémoire que leurs enfants ont reçue de la grand-mère.

Ce phénomène du contact des enfants et des jeunes avec leurs grands-parents a permis de maintenir la foi dans les Pays de l’Est pendant toute l’ère communiste parce que les parents ne pouvaient pas fréquenter l’église. On me disait, à présent je ne sais plus si c’était des évêques bulgares ou albanais – peut-être que je confonds – que chez eux les églises sont pleines de personnes âgées e
t de jeunes : les parents n’y vont pas parce qu’ils n’ont jamais rencontré Jésus. Ceci entre parenthèses… Le contact des adolescents et des jeunes avec les grands-parents est déterminant pour recevoir la mémoire d’un peuple et le discernement sur le présent : être des maîtres du discernement, des conseillers spirituels. C’est là que prend toute sa place, pour ce qui est de la transmission de la foi aux jeunes, l’apostolat « corps à corps ». Le discernement sur le présent ne peut se faire qu’avec un bon confesseur, un bon directeur spirituel qui ait la patience de passer des heures et des heures à écouter les jeunes. Mémoire du passé, discernement sur le présent, utopie de l’avenir : c’est dans ce cadre que grandit la foi d’un jeune.

Troisièmement. Je dirai comme urgence éducative dans la transmission de la foi et même de la culture, figure le problème de la culture des déchets. De nos jours, selon l’économie qui s’est établie dans un monde où trône le dieu argent et non pas la personne humaine et autour duquel tout le reste s’organise, ce qui n’entre pas dans ce schéma est éliminé. On élimine les enfants qui sont de trop, qui dérangent ou qui arrivent à un moment inopportun… Les évêques espagnols me parlaient récemment de la quantité des avortements, de leur nombre, je suis resté sans parole. Là-bas, ils en tiennent le compte… On élimine les personnes âgées, on a tendance à les éliminer, et dans certains pays d’Amérique latine on pratique l’euthanasie en cachette, l’euthanasie en cachette ! Parce que les services sociaux paient jusqu’à une certaine limite, pas au-delà, et les pauvres vieux, qu’ils se débrouillent. Je me souviens d’avoir visité une maison de retraite du service public destinée aux personnes âgées à Buenos Aires : les lits étaient tous occupés, et comme on en manquait, on mettait des lits par terre et c’est là que dormaient les vieillards. Un Pays ne peut pas acheter un lit ? Ceci montre autre chose, non ? Ils sont du matériau à jeter. Des draps sales, toutes sortes de saleté ; pas de serviettes de table et ces pauvres malheureux mangeaient là, ils s’essuyaient la bouche avec leurs draps… Cela je l’ai vu de mes propres yeux, personne ne me l’a raconté. Ce sont des déchets ; mais nous l’avons sur le cœur… et ici, je reviens à la question des jeunes.

Aujourd’hui, comme ce système mondial se trouve perturbé par le nombre de jeunes qui cherchent du travail, par le pourcentage si élevé du chômage des jeunes, nous sommes devant une génération de jeunes qui n’ont aucune expérience de la dignité. Non qu’ils n’aient pas à manger, parce que leurs grands-parents leur donnent de quoi manger, ou la paroisse, ou les services sociaux de l’Etat, ou l’Armée du Salut, ou l’association du quartier… Le pain, ils le mangent, mais sans connaître la dignité de le gagner eux-mêmes et de le rapporter à la maison ! Aujourd’hui les jeunes entrent dans cette catégorie du matériau à jeter.

Et donc, à l’intérieur de cette culture des déchets nous voyons des jeunes qui ont plus que jamais besoin de nous ; pas seulement pour l’utopie qui les habite – parce que chez un jeune chômeur l’utopie est anesthésiée, sinon quasiment perdue -, pas seulement pour cette raison, mais aussi à cause de l’urgence à transmettre la foi à une jeunesse qui aujourd’hui est elle aussi assimilée à un déchet. Et sous cette conception des déchets, s’inscrit l’avancée de la drogue chez ces jeunes. Il ne s’agit pas d’un mal unique, les dépendances sont de tous ordres. Comme à tous les changements d’époque, il se produit des phénomènes étranges au nombre desquels la prolifération des dépendances : le jeu compulsif a atteint un niveau très élevé… mais la drogue reste l’instrument de mort des jeunes. Il existe tout un arsenal mondial de drogues qui sont en train de détruire cette génération de jeunes qui est destinée à la poubelle !

Voilà ce que je souhaitais vous dire et vous faire partager. En premier lieu, comme structure éducative, transmettre le contenu, les comportements et le sens des valeurs. Deuxièmement, l’utopie des jeunes, en rendre compte et l’harmoniser avec la mémoire et le discernement. Troisièmement, considérons la culture des déchets comme l’un des phénomènes les plus sérieux dont souffre notre jeunesse, surtout l’usage que peut faire et qu’est en train de faire la drogue de ces jeunes pour les détruire. Nous sommes en train de jeter nos jeunes à la poubelle ! Notre tâche : la traditio fidei est aussi traditio spei, et il nous faut la donner ! 

La dernière question que je voudrais vous poser : quand l’utopie tombe dans le désenchantement, que pouvons-nous apporter ? L’utopie d’un jeune plein d’enthousiasme est aujourd’hui en train de glisser dans le désenchantement. Une jeunesse désenchantée à laquelle il faut donner foi et espérance.

Je vous remercie de tout cœur pour votre travail de ces derniers jours, pour affronter cette urgence éducative, allez de l’avant ! Nous devons nous entraider pour cela par vos conclusions et par tout ce que nous pouvons faire. Merci beaucoup.

Traduction de Zenit, par Geneviève d’Avout

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Francis NULL

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