Sr Thérèse Myriam Chaumont

ROME, lundi 19 novembre 2012 (Zenit.org) –  « L’originalité de Colette a été d’avoir voulu rétablir la pauvreté dans les monastères, avec la règle de sainte Claire », explique M. Vauchez. Pour le prof. Viallet, Colette a été « une femme forte, intelligente, pragmatique ».

La 7èmejournée d’étude sur l’Observance franciscaine au féminin organisée par le monastère Sainte-Colette, à Assise, a eu lieu le 17 novembre 2012, avec la collaboration de l’Ecole supérieure d’études médiévales et franciscaines de l’Université pontificale de l’Antonianum, à Rome et du monastère Santa-Lucia de Foligno.

Cette année, il avait été proposé d’élargir la réflexion en jetant un regard sur la réforme franciscaine dans la terre française du 15èmesiècle, et était consacrée en particulier aux vicissitudes historiques, culturelles et historiques de sainte Colette de Corbie, en comparaison avec ce qui est advenu dans la péninsule italienne pour le mouvement des clarisses de l’Observance.

Quelques semaines auparavant, le Professeur André Vauchez avait accepté de se rendre au monastère Sainte-Colette à Assise et au monastère de Monteluce in S. Erminio à Pérouse, pour faire une première présentation de sainte Colette en dressant un tableau du contexte historique dans lequel celle-ci s’est insérée.

Colette, a-t-il relevé, a vécu une période terrible dans une France marquée par la guerre des Cent Ans, et où la peste avait décimé la population ; dans le même temps,  l’Italie, divisée en de nombreuses principautés qui parfois se combattent, vit toutefois dans une plus grande tranquillité.

D’un point de vue culturel, l’Italie commence à s’ouvrir à la grande période de la Renaissance, elle est influencée par les ordres mendiants et a une spiritualité plus mystique, tandis que la France vit encore, d’une certaine manière, dans la période du moyen-âge, et est davantage influencée par la spiritualité cistercienne et ascétique.

D’un point de vue ecclésial, le schisme d’Occident conduit à des conflits d’autorité : la France - et donc Colette - se réfère au pape d’Avignon, alors que l’Italie, et donc les frères observants, se réfèrent au pape de Rome. Colette, tout comme ses collaborateurs, a été attentive à l’unité du mouvement franciscain, elle a cherché à ne pas créer une nouvelle déchirure, d’où sa réserve vis-à-vis de l’observance italienne.

Colette a eu une ténacité extraordinaire et a fait preuve d’une grande diplomatie, elle a opéré dans un contexte extrêmement difficile, et elle a su d’une part s’appuyer sur un franciscain, le frère Henry de la Baume et d’autre part trouver le soutien des grands de ce monde pour ses fondations. L’originalité de Colette a été d’avoir voulu rétablir la pauvreté dans les monastères, avec la règle de sainte Claire.

En ouvrant la journée d’étude du 17 novembre dernier, le P. Pietro Messa a noté l’importance et le mérite de consacrer du temps et des énergies à la culture et à l’histoire, dans cette époque de crise non seulement économique, mais de profonde ignorance. Il a rappelé en cela les paroles du cardinal Jean-Louis Tauran : aujourd’hui, nous vivons un affrontement non pas de civilisations, mais d’ignorances.

Dans son intervention intitulée « Frères Mineurs et Clarisses dans la France des XIVème et XVème siècles », le Prof. Ludovic Viallet a rappelé dès le début que la vie franciscaine du 15ème siècle est très complexe. Il a divisé son intervention en trois points :  Qu’est-ce que l’observance ? Le pouvoir informel des mystiques. Les « colettins ».

L’observance n’est pas propre au franciscains. Dans cette période de crise et de rivalité surtout entre Rome et Avignon, il y a deux obédiences, non seulement dans l’Eglise, mais aussi parmi les frères prêcheurs et les mineurs. C’est la période de Jean Huss et des Hussites : il y a donc un fort appel à la conversion. Hérésie et orthodoxie s’affrontent et il est important de se rappeler que Martin Luther lui-même sera un observant, tout comme Jérôme Savonarole. Les observants des mineurs obtiennent une autonomie, tandis que les frères prêcheurs n’en arrivent jamais à la rupture. L’observance requiert un plus grand respect des normes primitives. Ce n’est pas un mouvement unique, mais une réalité complexe.

Le Professeur Ludovic Viallet a distingué trois typologies dans le monde des mineurs : celle dite des couvents – ou conventuels- ; l’observance institutionnelle « cismontaine » et « ultramontaine » ; la « voie moyenne » qui demeure sous la juridiction des ministres.

Il a ensuite rappelé quelques dates importantes, comme la canonisation de Bernardin de Sienne en 1450, qui est quasi une reconnaissance officielle de l’observance institutionnelle. Puis Paoluccio de Foligno obtient une autonomie qui sera toujours plus profonde dans cette période, qui est celle du Concile de Constance.

Les observants italiens se caractérisent par cette fidélité au pape, tandis que dans d’autres territoires, comme en Allemagne, il y a une critique très forte de la curie papale. En ce qui concerne le pouvoir informel, le Professeur a évoqué par exemple la prise de parole charismatique des Bernardins : on est fidèle à une image du fondateur ou de la fondatrice, et à l’ensemble des valeurs que l’on raccroche à la figure fondatrice.

Il est significatif que Colette ait été considérée en France comme« notre mère », tout comme François était appelé à cette époque par le titre de « notre père ». Chez Colette, on trouve la force du modèle que représente une sainte vivante. Mais Colette, à la différence des béguines et mystiques féminines qui seront condamnées en grand nombre par le concile de Bâle comme visionnaires ou appartenant au monde de la magie, ne prophétise pas pour les affaires du monde. On ne trouve pas chez elle d’excès de surnaturel dans les phénomènes physiques. Colette est une sainte vivante, mais sans manifestations mystiques extrêmes ; Colette est charismatique, mais normale.

Enfin, les « colettins » représentent cette via media qui est mieux perçue et soutenue par les autorités locales, que l’observance semblable à celle de Jean de Capistran.  En concluant, Viallet a synthétisé en affirmant que Colette a été une femme forte, intelligente, pragmatique.

Sœur Marie Colette Roussey a ensuite présenté la biographie et la spiritualité de Colette de Corbie, en se référant continuellement aux sources : les biographies de sainte Colette écrites par Pierre de Vaux et par Sr Perrine, les Constitutions de sainte Colette, les Sentiments, les Lettres, le Testament,... Colette est née en 1381 à Corbie en Picardie, dans une période caractérisée concrètement par les guerres continuelles, la famine, la peste, les violences. Colette aime la solitude et la liturgie dès son jeune âge. Recluse, elle se sent appelée par St François à s’engager dans une œuvre de réforme.

Elle obtient un exemplaire de la règle de Sainte Claire et fonde de nombreux monastères auxquels elle écrira et donnera des Constitutions afin que la règle de Claire soit mieux observée, avec un accent fort sur la clôture et la vie fraternelle. La spiritualité de Colette se focalise sur la Croix du Christ, en un amour qui accepte de s’unir à l’offrande du Sauveur dans sa dimension réparatrice.

Colette canalise les élans de l’amour dans l’observance concrète des ordonnances ; l’obéissance de chacune des soeurs fonde la communauté et l’oriente vers un unique objectif : la liturgie qui est la prière de l’Eglise, et l’Eucharistie. Dans sa mission d’abbesse et de réformatric e,  comme dans sa vie spirituelle, Colette se révèle une femme d’une grande sagesse.

 Sœur Monica Benedetta Umiker ainsi que Sœur Thérèse Myriam Chaumont ont ensuite étudié les différences et continuités des deux expériences de réforme franciscaine du 15èmesiècle : celle de sainte Colette de Corbie et du mouvement né d’elle, et celle de l’Observance franciscaine dans la péninsule italienne. Les différences semblent dépendre surtout de facteurs externes, historiques, culturels, ou dus à la personnalité et à la mentalité des protagonistes.

En ce qui concerne le contenu, les deux expériences recherchent une observance spirituelle et véritable de la vie évangélique vécue et proposée par sainte Claire. Enfin, il fut partagé un premier essai de confrontation à partir des textes législatifs respectifs, qui semblent avoir été en contact à travers la personne de saint Jean de Capistran : ce dernier a utilisé les Constitutions de Colette dans son Explication de la règle de Sainte Claire, et cette Explication, bien que écrite en réponse à une demande personnelle venant de Monatova, s’est diffusée parmi les monastères italiens et autres. Jean de Capistran avait aussi des contacts avec Monteluce, et les Ordinazioni di Monteluce ont de nombreux éléments communs avec les Constitutions de Sainte Colette.

En conclusion, partant du travail de synopse des trois textes législatifs présentés par sr Monica Benedetta Umiker et sr Thérèse Myriam Chaumont, le P. Giuseppe Buffon a noté que, s’il y a un risque de comparatisme, l’histoire comparée peut aussi enrichir la complexité de la réalité.  Le fait qu’il y ait eu une « contamination » des différentes expériences d’observances franciscaines féminines par l’intermédiaire de Jean de Capistran montre que la complexité du réel s’avère être plus que pluri forme, et que, tout en étant contradictoire, elle peut porter en elle une continuité qui contient une uniformité.

D’autre part, la recherche d’autonomie, caractéristique des mouvements de réforme, qu’a évoquée le professeur Ludovic Viallet, peut être considérée comme un thème de continuité. Fondamentalement, les capucins sont ceux qui réaliseront pleinement cette forme d’autonomie, dans le sens qu’au 16ème siècle, les capucins seront les premiers à obtenir leur autonomie et c’est pour cela qu’ils auront du succès. Plus qu’une intuition alternative par rapport aux origines, il y a plutôt une sorte d’efficacité juridique, d’une conquête d’autonomie restant dans l’unité, qui caractérise les réformes du 16ème siècle, et peut-être également du 15ème siècle.

Enfin, la construction de l’image est quelque chose de surprenant. L’image par excellence de cette période est celle de la fondatrice, ou du fondateur. C’est l’observance qui a construit l’idée de « Claire fondatrice » : auparavant, la fondatrice n’était pas perçue de façon aussi décisive. La recherche d’une légitimation pour ces fondateurs part justement de la vision. Or il a été dit que la mission de Colette commence par une vision de François, qui la légitime comme fondatrice.

Mais si Colette est fondatrice, quelle sorte de fondatrice est-elle ? Elle est fondatrice, car elle a eu une vision, mais non dans le sens extatique du terme, c’est une vision modérée, et voilà pourquoi Colette n’est pas condamnée, mais est reçue à l’intérieur de l’orthodoxie. Colette est fondatrice, car elle est également écrivain : elle écrit le texte des Constitutions. C’est une fondatrice particulière, car elle est fille d’artisan, elle n’est pas noble. Mais, comme l’a dit Sr Marie Colette Roussey, elle fonde grâce aux nobles et les premières communautés trouveront refuge dans des châteaux.

Le thème du château revient d’ailleurs dans les écrits de Colette pour parler de la sponsalité et de la clôture. Colette est fondatrice, car elle ne réforme pas mais fonde et est « mère ». Elle ne veut pas être fondatrice et innovatrice, mais ce sont ses biographes qui la veulent et la décrivent ainsi, avec des expériences visionnaires.

C’est donc une « voie moyenne », dans le sens où il y a beaucoup de voies moyennes : c’est le signe de la complexité. Il n’y a pas un élément complètement positif, ou complètement négatif, un élément complètement noir ou complètement blanc : il y a des gris en grand nombre. L’exception de la contamination par l’intermédiaire de Jean de Capistran fait échouer toutes nos tentatives de distinctions et de séparations, qui pourtant existent car jamais la France ne parvient à s’insérer pleinement dans la gestion de l’Ordre !

Divers intervenants ont exprimé le désir que, de même que furent publiées les sources franciscaines, et bientôt les sources clarisses, de même il pourrait être programmé d’éditer également les sources colettines. Les interventions de la journée seront publiées en français comme articles de revues, et en italien dans un volume en tant que tel.