Rodolfo Papa
Traduction d’Océane Le Gall
ROME, mercredi 31 octobre 2012 (ZENIT.org) – « La longue et fructueuse tradition de l’art chrétien se présente comme un chemin ininterrompu visant à annoncer la foi », fait observer Rodolfo Papa, expert au synode pour la nouvelle évangélisation, professeur d’histoire des Théories esthétiques à l’Université pontificale Urbanienne, dans cette réflexion sur la « via pulchritudinis ».
L’art et la transmission de la foi
Il n’est pas seulement question de l’heureuse issue d’une rencontre entre l’art et le christianisme, mais d’une nouvelle dimension de l’art impensable sans le christianisme: le christianisme a si bien fait naitre l’art, que l’art chrétien est, plus profondément, un art christique, un art né du Christ et pour le Christ.
Jésus-Christ est le Verbum Dei qui s’est fait chair et se manifeste comme Imago Dei; en Lui Verbum et Imago sont unis, il est « Parole » qui se « Voit », « Image » qui « Parle ». Sous certains côtés, la Nativité, déjà, a fait jaillir la nécessité d’une nouvelle façon de montrer en racontant le Verbe qui s’est fait Chair. Jésus-Christ, Verbum Dei et Imago Dei, nous révèle le Père en parlant et agissant, mais il nous donne aussi la parfaite syntaxe d’un art nouveau capable de transmettre la Bonne Nouvelle.
Jean-Paul II relève de manière suggestive (Discours aux participants du Congrès national italien d’Art sacré le 27 avril 1981): « Avec l’Evangile l’art est entré dans l’histoire ». Il explique que Jésus a façonné le récit d’une façon inédite, en unissant de manière unique le récit et l’observation: « Jésus opéra l’admirable revêtement, il modela, dirions-nous dans un langage moderne, le récit, afin que l’on puisse écouter, mais voir aussi ».
Le système de narration propre aux paraboles de Jésus est traduit par le christianisme dans la peinture, dont saint Luc, le premier portraitiste de Marie (tout comme Nicodème, selon la tradition, est le premier sculpteur du Crucifié), est le précurseur. La peinture sacrée des chrétiens traduit en image le schéma narratif de l’Evangile.
Le proprium de la tradition picturale chrétienne est en effet la narration: la peinture chrétienne n’est pas une suite de représentations réalistes, d’idéogrammes illustrant chaque mot ou chaque concept, mais un langage narratif, où les images se construisent avec une grammaire et une syntaxe interne, selon la logique d’un discours qui se déroule dans le temps.
Jean Damascène souligne la grandeur d’un art qui représente le Christ sous ses traits humains: « qu’on représente donc dorénavant à la place de l’ancien agneau le caractère humain du Christ notre Dieu, afin que nous comprenions la profondeur de l’abaissement du Verbe de Dieu, et soyons amenés au souvenir de sa vie dans la chair, de sa souffrance et de sa mort salutaire, ainsi que de la rédemption du monde qui en est le fruit » (Défense des images sacrées).
C’est précisément cette caractéristique, liée à l’incarnation du Verbum Dei, et imprégnée du caractère narratif des paraboles évangéliques, qui a permis à la peinture chrétienne de se transformer en Biblia Pauperum.
Le cardinal Gabriele Paleotti dans son Discours autour des images sacrées et profanes de 1582 relevait à ce propos « Il est certain que la Sainte Eglise, par le biais de toutes les peintures répandues dans les lieux de la chrétienté, vient en aide à ses fidèles les plus faibles, enseignant de manière même simple les articles de la foi qui, grâce aux peintures, deviennent plus faciles à comprendre et peuvent s’imprimer dans la mémoire », au point d’ailleurs que la peinture « est pour eux comme l’utilisation de livres ».
Il expliquait avec précision l’importance des images de la peinture dans un parcours de foi : celles-ci «viennent au secours des trois facultés de notre âme: l’intellect la volonté et la mémoire […] Les images, en effet, instruisent notre intellect comme s’il s’agissait de livres populaires, […] voir les images peintes avec dévotion fait ensuite monter les désirs positifs de la volonté, éloigne du péché, suscitant en nous le pieux désir d’imiter la vie des glorieux saints portraits. Quant à la mémoire, on peut dire que celle qui vient de notre volonté, celle donc que l’emploi des images suscite en nous, est encore plus sollicitée en voyant les images sacrées dont nous parlons » »
De par sa caractéristique intimement christocentrique, la peinture chrétienne est un art fait pour la liturgie: elle fait voir la Parole, aide à contempler la Parole, dans la mesure où celle-ci est dotée d’une immobilité narrative, d’une narration stable.
Et c’est justement cette capacité à raconter par la biais d’images stables, qui fait de la peinture un soutien dans la contemplation; comme a dit Benoît XVI (Audience générale, 31 août 2011) « il existe des expressions artistiques qui sont de véritables chemins vers Dieu, la Beauté suprême, et qui nous aident même à grandir dans notre relation avec Lui, dans la prière. Il s’agit des œuvres qui naissent de la foi et qui expriment la foi ».
La peinture se pose en témoin crédible, grâce à la certitude des images; Jean Damascène écrivait à ce propos que « le peintre, par l’image, enseigne bien plus ».
L’art chrétien est donc en soi, une « annonce » de la Foi, car il est intimement et entièrement soutenu par la foi en Jésus-Christ, sans laquelle il n’existerait pas. C’est la raison pour laquelle Jean Paul II (dans son discours déjà cité de 1981) affirmait: « L’art religieux, en ce sens, est un grand livre ouvert, une invitation à croire dans le but de comprendre ».
Mais Jean Paul II (dans un Discours au personnel des Musées du Vatican, 20 décembre 1983) observait : « pour tant de personnes, provenant de tous les continents et appartenant à des religions différentes de la nôtre, l’Eglise catholique n’est parfois connue qu’à travers les œuvres d’art conservées dans les Musées du Vatican. Des murs de ces musées –comme d’ailleurs de ceux des cathédrales et des temples chrétiens de par le monde – l’Eglise continue à accomplir un de ses devoirs fondamentaux, qui est celui de l’évangélisation ».
Et comme explique le cardinal Joseph Ratzinger dans son Introduction à l’esprit de la liturgie: « L’absence totale d’images n’est pas conciliable avec la foi en l’incarnation de Dieu ».