ROME, vendredi 26 octobre 2012 (ZENIT.org) – Alors que l’extrémisme se répand au Mali, le P. Balas encourage les chrétiens à « garder leur calme, continuer à être des gens de paix et de dialogue, ne pas céder aux sirènes de l’extrémisme, garder l’espérance ». Aujourd’hui, constate-t-il, « revenir à la paix et à l’esprit de bienveillance est un vrai défi ».

Il considère que son enseignement doit se voir aussi dans ses actes : le P. Balas a en effet choisi de « rester avec eux », « d’assumer les mêmes menaces que les populations » avec lesquelles il vit.

Le P. Laurent Balas, 48 ans, est Père Blanc, actuellement au Mali. Il évoque les bouleversements qui secouent son pays depuis l’arrivée des islamistes au nord – que tous les chrétiens ont dû fuir – dans un entretien publié par l’Aide à l’Eglise en détresse (AED).

L’Eglise du Mali « jouit d’un grand prestige », précise-t-il par ailleurs, elle est « connue et respectée bien au-delà des 2% qu’elle représente dans la population » car elle a toujours « contribué au développement des écoles, des dispensaires ».

Où exercez-vous votre mission actuellement et quel est le contexte ?

Père Laurent Balas - Quand j’ai été nommé au Mali, c’était un des pays les plus paisibles d’Afrique. J’ai passé 6 ans à Gao (nord), j’ai enchainé sur trois ans d’études bibliques à Madrid puis en 2006, j’ai été nommé curé de la paroisse des saint Martyrs de l’Ouganda, à Bamako (sud du Mali). C’est une des quatre paroisses de la ville. Mais j’ai tout de même 12 000 catholiques ! Je suis curé, assisté de deux vicaires. Nous sommes en charge de l’animation de tous les quartiers, de toutes les communautés chrétiennes de base, de l’organisation de la pastorale, de toute l’aide d’urgence aux populations démunies. Nous avons un grand dispensaire, une bibliothèque avec un centre culturel, un centre de promotion féminine, des activités de développement dans les quartiers (adduction d’eau, puits).

Quelle est aujourd’hui la situation des communautés chrétiennes ?

Il y a quelques mois, tous les chrétiens du nord du pays ont été contraints de fuir. Il n’y a plus aucun prêtre ni chrétien. Les curés de Gao qui m’ont succédé ont fui eux aussi. Ils ont appris par la suite que 20 mn après leur départ, des troupes armées étaient dans leur cour pour les égorger. Ils ont été prévenus par quelques chrétiens qui venaient d’apprendre qu’un des camps militaire de la zone était tombé aux mains des assaillants. On sent une grande inquiétude dans la communauté chrétienne. Les chrétiens savent qu’ils seront les premiers menacés si la guerre arrive jusqu’à Bamako. Ils sont très minoritaires. Ils se demandent si un jour ils n’auront pas à fuir aussi du sud. Ce qui est inquiétant, c’est que l’on sent de grandes tensions dans Bamako. Des coups de feu émanent régulièrement des forces de police. Le grand banditisme est là. On sent une pression de l’islamisme radical. Même si ce n’est pas encore un islamisme armé.

Au sud, comment se passe l’accueil des réfugiés venant du nord ?

Les chrétiens réfugiés du nord qui arrivent dans le sud sont accueillis le plus souvent dans des familles chrétiennes, souvent les leurs. Ils sont en situation de grande précarité. C’est le cas d‘une famille que j’ai bien connue à Gao. Ils ont tout laissé du jour au lendemain. Ils sont arrivés cinq jours plus tard après avoir traversé le désert en camion. Le mari a logé chez son frère, la femme chez sa sœur. Les enfants ont été dispersés chez des connaissances à Bamako. Il n’y a pas de camp de réfugiés dans le pays, mais dans les pays limitrophes. Les gens ont été « absorbés » par la population. C’est assez difficile de dire combien ils sont.

La contagion islamiste est-elle aussi à craindre dans le sud du Mali ?

Nous avons manifestement des nouveaux courants radicaux qui se développent dans la société malienne. Pourtant, historiquement, le Mali a vu se développer un islam maraboutique de tradition soufie, très ancien, qui panache un peu l’islam avec les traditions locales d’animisme et de tolérance. La majorité des Maliens est tolérante. Le fanatisme vient souvent des pays du  Golfe. Les musulmans partent en pèlerinage à la Mecque. Ils reviennent avec de l’argent pour construire des mosquées, qui sont obligatoirement d’obédience wahhabite. Au fur et à mesure que les pèlerinages se développent, le wahhabisme prend de l’ampleur au Mali et influence toute la société.

Comment cette influence se manifeste-elle dans la société ?

Les femmes mariées à des wahhabites sont voilées intégralement. On en voit de plus en plus. Mais la proportion oscille entre 5 et 10% dans le sud. Dans le Nord, c’est la charia stricto sensu qui est en place depuis que les islamistes sont venus. Nous avons reçu le témoignage de l’ancien maire de Gao. Il raconte que la police entre chez les gens. Si elle trouve une femme non voilée, elle lui coupe une oreille. Face à cette nouvelle donne, les musulmans aussi ont fui en masse, sauf que maintenant, dans le sud, ils pèsent sur des familles qui sont déjà exsangues. Alors ils remontent en disant qu’ils préfèrent mourir sur leur terre.

Comment expliquer cette arrivée massive des islamistes dans le nord du Mali?

Auparavant, il existait différents courants dispersés. Pour partie, ils arrivent de la Libye. C’est  la chute de Kadhafi qui a déclenché tout cela. Elle les a désœuvrés et ils se sont retrouvés à quitter le pays avec armes et bagages. C’est aussi un concours de circonstances. Différentes obédiences se sont retrouvées : l’Aqmi qui venait plutôt d’Algérie, les islamistes d’Ansar Dine (Défenseurs de l’islam), la mouvance de Boko Haram… Un des courants, plus laïc, s’est opposé aux autres. Il a été décapité. Ceux qui ont pris le pouvoir au Nord sont des extrémistes et des djihadistes. Précisons d’ailleurs que l’islamisme radical est un écran de fumée qui cache des trafics de drogue et des possibilités de prospection d’or et de pétrole. Un avion s’est écrasé récemment dans le désert. Il venait de livrer sa cargaison de cocaïne, en provenance du Venezuela, dans un des trois aéroports contrôlés entièrement par les djihadistes. Derrière ces hommes-là, il y a toute une mafia qui manie des millions et qui se donne bonne conscience en proclamant l’islam. La plupart des musulmans que nous connaissons sont atterrés par ce qui est en train de se passer.

Quelle est la perception de l’Eglise catholique au Mali ?

Elle jouit d’un grand prestige. Historiquement, elle a toujours contribué au développement des écoles, des dispensaires. Beaucoup de cadres actuels du Mali sont passés par les écoles catholiques. L’Eglise est donc connue et respectée pour cela, bien au-delà des 2% qu’elle représente dans la population. En revanche, il n’y a pas de conversion. Cela signifierait se couper d’avec tous les liens familiaux.

Comment envisagez-vous les mois et les années à venir ?

Le Mali connaît aujourd’hui un grand virage. Ces vingt dernières années, il était l’un des pays d’Afrique les plus tolérants. Evidemment on ne sait pas bien ce qui va se passer. Mais je pense que le pire est devant nous. On sait déjà que les dégâts dans les consciences sont considérables. Il faut des siècles pour construire une société paisible et des relations harmonieuses entres les personnes. C’est tellement facile de semer la haine et la discorde. Revenir à la paix et à l’esprit de bienveillance est aujourd’hui un vrai défi.

Et pour les chrétiens ?

Pour l’instant les chrétiens ne sont pas menacés dans le sud. Mais on sent que les choses peuvent tourner très vite au vinaigre.

Que dites-vous à vos paroissiens ?

Les événements qui ont amené à la prise du nord du Mali se sont déroulés pendant la Semaine Sainte. C’est au cœur de la Passion qu’on a vu le pays se diviser en deux. C’est un peu comme si le peuple malien était conformé aux souffrances du Christ. Nous devons garder notre calme, continuer à être des gens de paix et de dialogue, ne pas céder aux sirènes de l’extrémisme, garder l’espérance. Je pense que notre enseignement est aussi dans les faits. Nous restons avec eux. Je suis attaché à cette paroisse. C’est un Mali qui est différent de celui que j’ai connu jusqu’à présent, mais je tiens à y demeurer. Tant que nous ne sommes pas menacés directement, nous ne partirons pas. Nos frères de Gao sont restés jusqu’au dernier moment. Toutes les ONG avaient déjà déserté. Nous devons assumer les mêmes menaces que les populations avec lesquelles on vit.

Quel est le projet que vous avez soumis à l’AED ?

A une quinzaine de kilomètres de là où je suis, dans un grand quartier de la paroisse de Bamako, nous voulons construire une église pour 1000 personnes. Nous sommes dans un quartier où il y a vingt mosquées, quatre temples protestants mais rien pour les catholiques. En tant qu’architecte, je suis très investi sur les projets de construction.