L'amitié, une clé pour le dialogue en Algérie

Par Mgr Desfarges, évêque de Constantine et Hippone

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Hélène Ginabat

ROME, jeudi 25 octobre 2012 (ZENIT.org) – En Algérie, « quand tu t’es fait un ami, c’est gagné », affirme Mgr Desfarges, « pour moi, ça a été important de me faire un ami ».

L’évêque de Constantine et Hippone s’est en effet adressé aux journalistes, au Vatican, mardi 23 octobre, à l’occasion du « point presse » quotidien de la mi-journée, en français, avec Romilda Ferrauto.

Mgr Paul Desfarges, évêque français, a la nationalité algérienne. C’est peut-être le signe le plus fort de sa vocation missionnaire.

« J’ai senti que j’aimais ce peuple »

Déjà séminariste à Lyon, le jeune Paul désirait entrer dans une congrégation destinée à la mission. Après deux années de coopération heureuse chez les Pères blancs, dans le sud algérien, il entre chez les Jésuites, « prêt à aller un peu partout, pas forcément en Algérie ». Mais c’est là-bas qu’on l’envoie à nouveau, pour deux ans, de 1971 à 1973, entre les études de philosophie et celles de théologie. « J’ai senti qu’il fallait tout faire pour y rester et durer, tisser des liens, lier des amitiés », se souvient l’évêque algérien. Et puis « un jour, j’ai senti que j’aimais ce peuple », confie-t-il, « je vibre quand l’Algérie gagne au foot… ».

En Algérie depuis 38 ans, Mgr Desfarges a été nommé évêque il y a trois ans et demi, après avoir enseigné à l’université de Constantine pendant trente ans. Il a connu « l’euphorie du développement et du volontariat » sous Boumédiene, puis « la crise pétrolière, les années noires, Tibhirine… ». « C’était de bons amis », dit-il des moines assassinés en 1996.

Aujourd’hui, si le pays est « un peu morose », les Algériens ne sont pas prêts à courir une aventure comme certains pays voisins, ils ne sont pas « guéris des années de violence » explique l’évêque. Et puis, le pays connaît un certain pluralisme, avec un noyau libéral, démocrate, qui peut s’exprimer et une presse, surtout francophone, qui a une liberté de ton, même si elle est minoritaire.

« Quand tu t’es fait un ami, c’est gagné »

Le diocèse de Constantine et Hippone, dans l’est algérien, compte 16 millions d’habitants. La majorité des chrétiens (environ 400) sont des étudiants sub-sahariens, en Algérie pour au moins 5 ans, en général plus. Si les débuts sont difficiles, car au départ on les prend souvent pour des musulmans, ils découvrent l’Eglise et l’évêque les encourage à lier des amitiés : « Quand tu t’es fait un ami, c’est gagné », leur dit-il, « pour moi, ça a été important de me faire un ami ». Le cardinal Duval ne disait-il pas que « l’amitié est révolutionnaire » ?

Leur présence est « une grâce », affirme le successeur de saint Augustin sur le siège épiscopal, car elle permet aux Algériens de côtoyer des témoins jeunes ; « on sent que tu crois à ce que tu dis », leur disent-ils.

Le diocèse accueille par ailleurs des travailleurs internationaux, des Philippins entre autres, pour une présence durable.

Et puis il y a aussi le phénomène kabyle, où les chrétiens sont davantage acceptés, bien que pas toujours.

Des conversions discrètes

Les conversions doivent se vivre dans une très grande discrétion. Quelques membres de la famille sont dans la confidence et, malgré une attitude de rejet au début, il n’est pas rare qu’après trois ou quatre ans, « un certain respect s’installe, même si cela reste une souffrance pour ces familles » explique l’évêque, « et pour les parents qui ne comprennent pas et qui se culpabilisent ».

Lorsqu’une personne d’origine musulmane demande le baptême, « l’Eglise catholique prend un long temps afin d’effectuer un discernement sérieux » poursuit-il, elle vérifie que ce n’est pas « par intérêt mais suite à une vraie rencontre du Christ ». En général, c’est une démarche « très personnelle », le fruit d’un « long cheminement intérieur », suite à un songe, une lecture, un film…

Mais ce qui est nouveau, c’est que ces personnes font le pas. Elles sont quelques dizaines dans le diocèse, aujourd’hui.

L’œuvre de l’Esprit-Saint

Pour l’évêque missionnaire, « c’est le chemin de l’Esprit-Saint : leur chemin avec Dieu n’a pas commencé avec le Christ, mais bien avant » et parfois, dans leurs familles, on leur déclare : « Finalement, tu as de la chance, tu crois à ce que tu vis ».

« Je suis parfois témoin », dit-il, « de ces questionnements de personnes qui « ne sont pas satisfaites du discours permis/défendu de la mosquée », ou de jeunes qui « veulent vivre librement ». A l’université, où il fut aumônier et professeur de psychologie, les étudiants venaient souvent à la bibliothèque poser des questions sur les religions, « ils avaient une grande confiance, se souvient-il, et ils disaient : « on sent que vous croyez » ».

Une Eglise de la fraternité

« Nous sommes une Eglise de la rencontre, de la fraternité », affirme Mgr Desfarges, qui souhaite que la « petite communauté chrétienne puisse grandir dans l’intimité de l’Islam », qu’elle soit « proche des vrais spirituels de l’Islam ». « C’est un chemin difficile », reconnaît-il, mais il faut « compter sur des hommes de Dieu capables de sentir que les nouveaux chrétiens sont des personnes convaincues » et qui « aiment leur pays ». Il s’agit d’être des « disciples de Jésus », d’être « évangéliques ». « Ce n’est que par un excès de bonté que les choses avancent », conclut l’évêque algérien.

Dans ce sens, il espère que le synode permettra d’approfondir la réflexion de Nostra Aetate, de développer un « regard positif » et de progresser « sur le chemin de la rencontre et du dialogue ».  Pour cela, il faut « être armés » et se former.

Ce dialogue est d’abord un « dialogue de vie », où l’on est « serviteur », à l’image de Marie qui se rend chez Elisabeth, poussée par l’Esprit-Saint. Les religieuses, par exemple, sont un « signe pour les jeunes filles », qui voient en elles des personnes « libres » qui « croient » réellement, explique encore Mgr Desfarges.

Impressions du synode

Que la question de l’Islam soit aussi présente au synode, et de manière aussi ouverte, ne le surprend pas car c’est un sujet qui « concerne aussi l’Europe et l’Afrique ». En Algérie, on parle des chrétiens dans la presse, la presse libérale les interroge. Si la Constitution permet la liberté de conscience, une loi a été votée, en 2006, condamnant le prosélytisme. Mais le lien entre les Eglises et les autorités existent. On peut dire des choses, « en tête à tête », avec d’autres responsables religieux. « J’ai quelques amis avec lesquels on parle de questions spirituelles », précise-t-il. L’important est de « dire les choses avec bienveillance ».

L’évêque apprécie la façon dont les pères synodaux ont parlé de la sécularisation. « Dieu aime ce monde », rappelle-t-il, c’est un appel à nous laisser évangéliser, à être humbles et bienveillants ». « En Algérie, poursuit-il, l’humilité est importante, il ne faut faire de l’ombre à personne, comme aimait à le rappeler la Petite sœur Madeleine ».

Par ailleurs Mgr Desfarges approuve le projet de visite en Syrie d’une délégation du synode et la collecte qui a été faite pour ce pays auprès des pères synodaux, en signe de solidarité. « L’Eglise est très atteinte par la souffrance de ce peuple », dit-il, « elle n’a rien à gagner ni à perdre ».

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ZENIT Staff

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