Propos recueillis par Sergio Mora
Traduction d’Hélène Ginabat
ROME, lundi 22 octobre 2012 (ZENIT.org) – « Lire les seize documents du concile avec un esprit ouvert génère une vision positive et joyeuse », affirme le cardinal Arinze.
Le cardinal nigérian, 80 bientôt, vétéran de Vatican II, invite les lecteurs de Zenit à découvrir « sans préjugés » le « patrimoine inépuisable » qu’a laissé le concile à l’Eglise.
Zenit – Vous étiez l’évêque le plus jeune du Concile, n’est-ce pas ?
Card. Arinze – Je n’ai participé qu’à la dernière des quatre sessions du concile Vatican II. Je venais d’être consacré évêque, en août 1965. Pour moi, ce fut le début, quelque chose que l’on n’oublie pas, qui frappe. Je savais que l’Eglise était universelle, mais voir plus de deux mille évêques de tous les coins du monde, de grands noms comme les cardinaux Alfredo Ottaviani, Léon-Joseph Suenens, Josef Frings, Bernard Jan Alfrink, Bernard Jan Doepfner, Giovanni Battista Montini et d’autres, moins connus. Qui pouvait dire alors que Karol Wojtyla ou le jeune théologien Joseph Ratzinger seraient devenus papes ? Dieu seul le savait.
J’étais le plus jeune, je n’avais pas grand-chose à dire ; pour moi, c’était important d’écouter les ainés, d’autant plus que dans la culture africaine, le jeune ne doit pas parler quand le font les plus anciens.
Comment voyez-vous Vatican II aujourd’hui ?
Le concile a été un cadeau de Dieu à toute l’Eglise, un patrimoine inépuisable, étant donné que, cinquante ans plus tard, nous ne sommes pas encore capables de comprendre tout ce qu’il nous a dit.
Le concile a été suivi de près par mai 68, avec la révolution des étudiants à la Sorbonne et un tsunami de sécularisme. Que se serait-il passé si ces événements étaient arrivés avant le concile Vatican II ?
Dieu seul sait ce qui serait arrivé. Nous pouvons peut-être l’imaginer. L’Eglise aurait certainement eu de grandes difficultés à vivre avec le monde d’aujourd’hui. L’histoire ne s’arrête pas, le monde continue avec ce qu’il porte de positif et de négatif.
Cette révolte de mai 68 a touché les universités, mais aussi les prêtres et les séminaristes, elle n’a épargné personne. Cela a été une rude épreuve, même pour les parents dont les enfants se rebellaient.
De quelle façon le concile a-t-il contribué à la croissance de l’Eglise ?
Le concile a fourni à l’Eglise de nombreux instruments pour l’aider à affronter ou plutôt à rencontrer le monde d’aujourd’hui. Pour regarder le monde, non pas comme un ennemi, mais comme des pèlerins qui vont à la rencontre de la vie. Comme on le voit dans le document conciliaire Gaudium et Spes, l’Eglise veut alimenter l’espérance, elle veut aider le monde à réaliser les projets qui ont du sens et des valeurs. Nous ne sommes pas du monde mais nous sommes dans le monde. La basilique Saint-Pierre n’est pas simplement une sacristie à remplir avec les chrétiens ; les fidèles catholiques doivent être partout. L’Eglise doit rencontrer le monde d’aujourd’hui, les peuples, les langues, les coutumes, qu’ils soient ou non dans la ligne de l’évangile. Elle doit aussi rencontrer les autres religions : musulmane, bouddhiste, etc. Le concile nous a aidés à rejoindre l’homme et les jeunes avec leurs questions.
Quelles sont les difficultés rencontrées pour la réalisation des enseignements du concile ?
La difficulté principale vient du fait que beaucoup de personnes n’ont pas lu ou ne lisent pas les documents du concile. Elles parlent parce qu’elles « ont entendu dire » et elles croient n’importe quels commentaires négatifs, au lieu de lire les documents du concile. Cela vaut aussi pour moi qui ai participé à la dernière session, quand la moitié des documents avaient déjà été discutés et réalisés. Un autre grand obstacle vient des préjugés. Certaines personnes ont des idées fixes et elles expriment un jugement avant même d’avoir lu les documents. Ainsi, ne connaissant pas assez le concile Vatican II, elles demandent un concile Vatican III ou Vatican IV.
Et les critiques ?
Il y a ceux qui lisent les documents pour essayer de confirmer leur propre idéologie. S’ils trouvent une ligne qui ne leur semble pas assez proche de leurs aspirations, ils abandonnent aussitôt et ne veulent plus lire de peur de voir leurs thèses remises en cause. Lire les seize documents du concile avec un esprit ouvert génère une vision positive et joyeuse.
Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, est-ce que les choses ont mûri ? Est-ce qu’on parvient à mieux comprendre ?
Oui, c’est possible, pourvu qu’on regarde le concile sans préjugés et qu’on n’ait pas peur de découvrir ce qui est vraiment dit. En lisant les documents du concile, on comprend que l’Eglise est divine et humaine, avec des éléments divins qui sont infaillibles, et des éléments humains qui peuvent se dissiper. Nous ne prétendons pas que Vatican II a résolu tous les problèmes de l’humanité. Un jour, il y aura aussi Vatican III. Il ne faut pas s’imaginer qu’il y a une Eglise nouvelle, différente de celle d’avant le Concile. C’est la même Eglise qui progresse pour comprendre l’Evangile et témoigner de Jésus.
Eminence, pourrait-on dire que les catholiques qui réclament un concile « Vatican III » voudraient « une autre Eglise » ?
Nous ne pouvons pas ne pas soupçonner cela, nous devons croire que ces personnes sont honnêtes. Je voudrais leur demander : « Avez-vous lu et digéré Vatican II ? Ou peut-être y a-t-il autre chose que vous voulez et comme Vatican II ne l’a pas dit, vous pensez à un « Vatican III ». Nous ne pouvons pas avoir un concile toutes les semaines. Il y a déjà le synode des évêques qui a lieu tous les trois ans.
Y a-t-il des choses que même un concile ne peut pas changer ?
Oui, les dix commandements par exemple.
Comment voyez-vous l’avenir ?
Le concile a aidé l’Eglise à se mettre devant la réalité du monde d’aujourd’hui. Nous devons trouver dans le Christ la clé pour témoigner. Ce n’est pas nous qui inventons l’Eglise, mais c’est Jésus, et le concile nous aide de diverses manières à rencontrer l’autre chrétien qui n’est pas catholique, l’autre croyant et le non croyant. Cette ouverture est très précieuse, sans pour autant jamais douter de notre foi. Celui qui doute de la foi dans le Christ a perdu son identité chrétienne, de même qu’un citoyen qui a perdu le sens de son pays ne peut pas en être l’ambassadeur.
Quel regard le concile a-t-il porté sur Marie ?
Le Concile nous a très bien orientés sur la façon de mieux comprendre la Mère de Dieu, la sainte Vierge Marie, dans le contexte de toute l’Eglise et par rapport au Christ : comme Mère du Christ et figure de l’Eglise. C’est pour cela que le concile n’a pas voulu discuter d’une mariologie séparée de l’ecclésiologie. Il a aussi précisé que ce n’est pas nous qui faisons que Marie est grande, mais c’est Dieu qui a fait pour elle de grandes choses. La dévotion mariale reconnaît cette grandeur qui existe déjà.
Un chrétien qui ne vénère pas la sainte Vierge Marie doit être invité à lire le chapitre VIII de Lumen Gentium et, si cela ne suffit pas, il peut lire, dans Matthieu et Luc, les deux premiers chapitres de l’évangile ou encore le chapitre XIX dans Jean.
Au synode, on a beaucoup parlé de la confession comme instrument de la nouvelle évangélisation…
Comment pourrio
ns-nous témoigner de Jésus ou l’annoncer si nous ne nous sommes pas convertis ? C’est lui qui nous y invite : « Convertissez-vous et croyez à l’évangile », et il nous a dit « si vous ne faites pas pénitence, vous ne vous sauverez pas ». La confession n’est pas facultative. C’est le grand sacrement du peuple de Dieu pour la réconciliation et la paix.
Aller se confesser devant Dieu, ce n’est pas comme le faire devant un tribunal où la personne inculpée nie toutes les accusations ou dit qu’elle n’était pas présente ce jour-là. La confession signifie admettre que « c’est ma faute ». Ce n’est pas la faute du gouvernement ou de ma belle-mère ! Celui qui accepte de se reconnaître coupable accepte de changer de vie, et il rentre chez lui dans la paix intérieure.
Parfois, les personnes qui ne veulent pas se confesser vont voir un psychiatre ou un psychanalyste, elles paient très cher et ne reçoivent pas le pardon.