Une vidéo peu crédible qui a le mérite de faire réagir

Regards du synode sur l’islam

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Anita Bourdin            

ROME, lundi 15 octobre 2012 (ZENIT.org) – Le synode appelle à la conversion des chrétiens pour qu’ils soient « cohérents » avec l’Evangile qu’ils annoncent, et se refuse à entrer dans une dynamique de « peur » face à l’islam.

En effet, une vidéo anonyme, en anglais, de 7 mn 32, en libre accès sur YouTube (2009), sur la « démographie musulmane » (« Muslim demographics ») en Europe de l’Ouest (France, Grande-Bretagne, Allemagne, Belgique, Hollande, Espagne et Italie), au Canada et aux Etats-Unis, a été visionnée par les participants du synode sur la Nouvelle évangélisation, samedi dernier, 13 octobre, en marge du programme officiel du synode, pendant l’heure d’échanges « libres », à l’initiative du cardinal Peter Kodwo Turkson, Ghanéen, président du Conseil pontifical « Justice et Paix ». 

Partant du principe qu’en-dessous d’un certain seuil de fécondité (2, 11 enfants par femme), une civilisation disparaît, la vidéo annonce à échéance de 15, 25 ou 50 ans, l’islamisation de l’Europe (dont les contours ne sont pas délimités : on ne sait si l’on parle de l’Union européenne ou de l’Europe de l’Atlantique à l’Oural…) et de l’Amérique du Nord.

A l’appui, des paroles … du général Kadhafi, disparu depuis, convaincu de ce mouvement « irréversible », en termes de conquête sans coup férir.

La dynamique du clip apparaît bien étrangère à l’atmosphère qui se respire au synode, sans angélisme (l’assemblée a prié depuis le début pour la Syrie, le Nigeria et ce matin pour le Mali), mais avec une confiance foncière dans la présence du Christ vivant, comme Benoît XVI l’a affirmé à plusieurs reprises « hier, aujourd’hui et à jamais ».

Sur le terrain des chiffres non plus la vidéo ne tient pas. Elle cite Marseille, Nice et Paris qui aurait une population à 45 % musulmane, en raison de l’immigration.

La population musulmane est estimée en France, à 7,5 % de la population (soit 4,7 millions). Une étude américaine datant de 2011 et alors citée par le Figaro estime que la proportion de musulmans – à la hausse dans le monde – pourrait, en France, dépasser 10 % en 2030. Rien à voir avec la vidéo en question : l’enquête évalue l’accroissement de la population de religion musulmane dans le monde qui passerait à 26,4 % en 2030 (pour 23,4 % aujourd’hui).

La vidéo fait état d’une fécondité de plus de 8, par femme en milieu musulman, l’établissant comme stable. L’étude de 2011 (donc postérieure à la vidéo) indique en revanche qu’au sein des pays «à majorité musulmane», la fécondité était en moyenne à 4,3 enfants par femme dans les années 1990. Elle est aujourd’hui à 2,9 enfants par femme et devrait trouver une moyenne de 2,3 enfants par femme en 2030. La dynamique des chiffres de la vidéo vole en éclats.

Le raisonnement du clip concernant l’immigration aux Etats-Unis ne tient pas compte non plus de l’arrivée massive des populations catholiques d’Amérique latine : pour des raisons pastorales, de nombreux évêques sont désormais bilingues espagnol-anglais.

Enfin, le « clip » s’achève par un « appel à l’action » (« Call to action ») affirmant qu’il faut « évangéliser » : c’est, semble-t-il, son seul lien avec le synode. Mais même le contenu du terme « évangéliser » semble quelque peu différent.

Cependant, la vidéo a le mérite de faire réagir. Certains évêques ont rappelé le travail du Conseil des conférences épiscopales européennes (CCEE) qui a récemment tenu son assemblée plénière à Saint-Gall, en Suisse (27-30 septembre) : dès 1986 le Comité conjoint CCEE – KEK a approuvé le projet de créer un Comité œcuménique «Islam en Europe». Celui-ci a travaillé, avec des mandats quinquennaux, pour informer et soutenir les Églises en Europe dans leur rencontre avec l’islam.

Les Conférences épiscopales n’ont pas non plus attendu pour mettre sur pied des organismes de dialogue et de réflexion, comme c’est le cas en France.

D’autres ont mentionné le travail du cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Au synode, le cardinal Tauran est intervenu lors de la cinquième congrégation générale du synode des évêques, le mercredi 10 octobre après-midi.

« Il faut des chrétiens cohérents, capables de rendre compte de leur foi, avec des mots simples et sans peur », a-t-il déclaré : des chrétiens pour qui « le dialogue interreligieux doit devenir une occasion d’approfondissement et de témoignage de sa foi », faisant de la nouvelle évangélisation une priorité.

Pour le cardinal, aujourd’hui les croyants doivent relever trois défis : « Le défi de l’identité: qui est mon Dieu? Ma vie est-elle en harmonie avec mes convictions? Le défi de l’altérité: celui qui pratique une religion autre que la mienne n’est pas nécessairement un adversaire, mais plutôt un pèlerin de la vérité ; le défi du pluralisme : Dieu est à l’œuvre en chaque personne, par des voies connues de Lui seul ».

Certes, a-t-il expliqué, il ne s’agit pas de mettre sa foi entre parenthèses, ni « de plier face aux persécutions et discriminations dont sont victimes tant de nos frères et sœurs de par le monde, en particulier chrétiens », mais il faut au contraire « dénoncer avec la plus grande vigueur la violence qui blesse et qui tue », violence d’autant plus injustifiable qu’« elle se pare du bouclier d’une religion », a-t-il ajouté.

Il y a dans le dialogue interreligieux, précisait-il, des aspects positifs à cultiver : l’amitié au quotidien qui s’exprime par des gestes de fraternité et de proximité ; l’harmonie entre croyants, qui apporte souvent aux sociétés dont ils sont membres une dimension spirituelle de la vie, « antidote à la déshumanisation et aux conflits » (cf. Zenit du jeudi 11 octobre 2012).

Il faudrait citer – le cardinal Tauran l’a fait – le récent voyage de Benoît XVI au Liban (14-16 septembre 2012), et relire de près des interventions millimétrées, notamment un passage adressé aux jeunes musulmans (cf. Zenit du 15  septembre 2012) et ses remerciements aux musulmans qui ont participé à l’organisation du voyage (cf. Zenit du 16 septembre 2012).

Sans ignorer la question de l’islam dans des pays d’ancienne chrétienté, comme le prouvent ces analyses et l’intervention de Mgr Absi (article de ce 15 octobre), des pères synodaux ont contesté d’une part les chiffres de la vidéo, comme nous venons de le faire, bien succinctement, et d’autre part la dynamique de peur dans laquelle le clip veut entraîner le spectateur.

Aucune allusion surtout dans la vidéo, à ce que prône Mgr Absi et à ce que recommande le cardinal Tauran : la conversion des chrétiens à l’Evangile, pour être « cohérents », et « capables de rendre compte de leur foi », et cela « sans peur ».

On pourrait également citer les interventions d’autres pères su synode, vivant au contact de l’islam, come Mgr Absi, en Syrie (Zenit de ce 15 octobre 2012), mais aussi en Algérie (Mgr Desfarges, cf. Zenit du 12 octobre 2012) ou au Pakistan (cf. Mgr Shaw,
évêque de Lahore, Zenit du 16 octobre 2012).

En juin dernier, la vidéo avait été projetée par le cardinal Turkson à l’occasion de la Rencontre mondiale des familles de Milan: le message était « passé », en contexte de réflexion sur la dénatalité en Occident. Dans le contexte de l’évangélisation, elle ne passe pas: on évangélise pas par peur de l’autre. Cette vidéo d’origine évangéliste, volontariste, s’accorde mal avec la sensibilité catholique: l’évangélisation prônée par le synode repart de l’intériorité.

Mais pourquoi cette insistance du cardinal ghanéen? Il faut peut-être tenir compte du fait que la fécondité est une valeur importante pour les cultures africaines, et du fait que « l’hiver démographique » européen est préoccupant en soi.

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ZENIT Staff

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