Massimo Introvigne
Traduction d’Océane Le Gall
ROME, mercredi 10 octobre 2012 (ZENIT.org) – Les travaux de la XIIIème assemblée générale ordinaire du synode des évêques ont été ouverts dimanche 7 octobre par une messe solennelle du pape qui a rappelé que le 11 octobre prochain, jour anniversaire des débuts du concile Vatican II, s’ouvrirait aussi l’Année de la foi.
Le thème du synode est : « La nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne ».
Le pape a tiré des lectures liturgiques du jour deux méditations. La première évoque l’invitation de saint Paul à fixer toujours son regard sur le Christ « couronné de gloire et d’honneur à cause de sa Passion et de sa mort » (He 2,9). « La Parole de Dieu, a dit le pape, nous place devant le Crucifié glorieux, de sorte que toute notre vie, et particulièrement les travaux de cette assise synodale, se déroulent en sa présence et dans la lumière de son mystère. L’évangélisation, en tout temps et en tout lieu, a toujours comme point central et d’arrivée Jésus, le Christ, le Fils de Dieu (cf. Mc 1, 1) ; et le Crucifié est le signe distinctif par excellence de celui qui annonce l’Évangile ».
Nous ne profiterons vraiment du synode et de l’Année de la foi, nous ne ferons vraiment de « nouvelle évangélisation » que si c’est le Crucifié qui est mis au centre et non notre personne, nous-mêmes.
Mais qu’est-ce que la nouvelle évangélisation ? C’est précisément quand tout le monde en parle qu’il faut encore une fois clarifier de quoi il s’agit, pour éviter qu’elle ne se réduise à un slogan. Tout d’abord, rappelle Benoît XVI, « l’Eglise existe pour évangéliser ». C’est son but. Et l’histoire de l’évangélisation abonde de pages extraordinaires.
« Il suffit de penser à l’évangélisation des peuples anglo-saxons et des peuples slaves, ou à la transmission de l’Évangile sur le continent américain, et ensuite aux époques missionnaires vers les populations de l’Afrique, de l’Asie et de l’Océanie ». Il en est sorti un pessimisme sur les époques plus récentes.
En réalité, « dans notre temps aussi, l’Esprit Saint a suscité dans l’Église un nouvel élan pour annoncer la Bonne Nouvelle, un dynamisme spirituel et pastoral qui a trouvé son expression la plus universelle et son impulsion la plus autorisée dans le concile Vatican II ».
Au XXème siècle nous avons compris que l’évangélisation a deux « branches », d’une part la missio ad gentes, c’est-à-dire l’annonce de l’Evangile, à ceux qui ne connaissent pas encore Jésus-Christ ni son message de salut; et, d’autre part, une nouvelle évangélisation, orientée principalement vers les personnes qui, tout en étant baptisées, se sont éloignées de l’Église, et vivent sans se référer à la pratique chrétienne ».
Le synode est consacré à la nouvelle évangélisation, mais « évidemment, cette orientation particulière ne doit diminuer ni l’élan missionnaire au sens propre, ni l’activité ordinaire d’évangélisation dans nos communautés chrétiennes. En effet, les trois aspects de l’unique réalité de l’évangélisation se complètent et se fécondent réciproquement. »
L’évangile du jour annonce l’enseignement chrétien sur le mariage, que « l’on peut résumer dans l’expression contenue dans le Livre de la Genèse et reprise par Jésus lui-même : « à cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront qu’une seule chair » (Gn 2, 24 ; Mc 10, 7-8) ». Cette parole des Ecritures renferme un enseignement très profond pour nous aujourd’hui: « que le mariage en lui-même est un Évangile, une Bonne Nouvelle pour le monde d’aujourd’hui, particulièrement pour le monde déchristianisé ».
Le mariage est en soit une nouvelle évangélisation. « L’union de l’homme et de la femme, le fait de devenir « une seule chair » dans la charité, dans l’amour fécond et indissoluble, est un signe qui parle de Dieu avec force, avec une éloquence devenue plus grande de nos jours, car, malheureusement, pour diverses raisons, le mariage traverse une crise profonde justement dans les régions d’ancienne évangélisation ».
Alors que l’Année de la foi s’apprête à être ouverte, le pape a aussi voulu rappeler que, là où il y a crise du mariage, il y a crise de la foi. « Et ce n’est pas un hasard. Le mariage est lié à la foi, non pas dans un sens générique. Le mariage, comme union d’amour fidèle et indissoluble, se fonde sur la grâce ». Et nous « aujourd’hui, nous sommes en mesure de saisir toute la vérité de cette affirmation, en contraste avec la douloureuse réalité de beaucoup de mariages qui malheureusement finissent mal. Il y a une correspondance évidente entre la crise de la foi et la crise du mariage ».
« Une des idées fondamentales de la nouvelle impulsion que le concile Vatican II a donnée à l’évangélisation, a poursuivi le pape, est celle de l’appel universel à la sainteté, qui, comme tel, concerne tous les chrétiens ». Il ne concerne pas moins les époux chrétiens que les prêtres et ceux qui choisissent la vie religieuse. Et il est une invitation à tous de prendre exemple sur les saints, qui sont « les pionniers et les meneurs de la nouvelle évangélisation : par leur intercession et par l’exemple de leur vie, attentive à la créativité de l’Esprit Saint, ils montrent aux personnes indifférentes et même hostiles, la beauté de l’Évangile et de la communion dans le Christ, et ils invitent les croyants tièdes, pour ainsi dire, à vivre dans la joie de la foi, de l’espérance et de la charité ».
Au cours de la messe du 7 octobre, Benoît XVI a proclamé deux nouveaux docteurs de l’Église. Le premier est saint Jean d’Avila (1499-1569). De ce « profond connaisseur des Saintes Ecritures », le pape a dit qu’ « il était doté d’un ardent esprit missionnaire. Il a su pénétrer avec une profondeur singulière les mystères de la Rédemption opérée par le Christ pour l’humanité. Homme de Dieu, il unissait la prière constante à l’action apostolique. Il s’est consacré à la prédication et au développement de la pratique des sacrements, en concentrant sa mission sur l’amélioration de la formation des candidats au sacerdoce, des religieux et des laïcs, en vue d’une réforme féconde de l’Église ».
Le second est la sainte bénédictine allemande Hildegarde de Bingen (1098-1179), une figure très chère à Benoît XVI qui, a-t-il rappelé, a « offert sa précieuse contribution pour la croissance de l’Église de son temps, en valorisant les dons reçus de Dieu et en se montrant comme une femme d’une intelligence vivace, d’une sensibilité profonde et d’une autorité spirituelle. Le Seigneur l’a dotée d’un esprit prophétique et d’une fervente capacité à discerner les signes des temps. Hildegarde a nourri un amour prononcé pour la création ; elle a pratiqué la médecine, la poésie et la musique. Et surtout, elle a toujours conservé un amour grand et fidèle pour le Christ et pour son Église ».
Il vaut la peine de rappeler ici l’audience du 20 décembre 2010 à la curie romaine – une des audiences pour les vœux de Noël à laquelle Benoît XVI donne une importance particulière, prononçant chaque année un discours récapitulatif des principaux thèmes de son magistère durant les 12 mois précédents – où, après une année passée à faire face à la crise des prêtres pédophiles, le pape cita la sainte proclamée aujourd’hui docteur de l’Eglise. Le passage n’est pas court, mais il est utile de le citer en entier.
« Dans ce contexte, a déclaré le pape le 20
décembre 2010, en se référant aux prêtres pédophiles, m’est venue à l’esprit une vision de sainte Hildegarde de Bingen (1098-1179) qui décrit de façon bouleversante ce que nous avons vécu cette année. « En 1170 après la naissance du Christ, j’étais pendant un long temps malade au lit. Alors, physiquement et mentalement éveillée, je vis une femme d’une beauté telle que l’esprit humain n’est pas capable de comprendre. Sa figure se dressait de la terre jusqu’au ciel. Son visage brillait d’une splendeur sublime. Son regard était dirigé vers le ciel. Elle était vêtue d’un vêtement lumineux et resplendissant de soie blanche et d’un manteau garni de pierres précieuses. Aux pieds elle portait des souliers d’onyx. Mais son visage était couvert de poussière, son vêtement était déchiré du côté droit. Le manteau aussi avait perdu sa beauté singulière et ses chaussures étaient souillées sur le dessus. D’une voix haute et plaintive, la femme cria vers le ciel : ‘Écoute, ô ciel : mon visage est sali ! Afflige-toi, ô terre : mon vêtement est déchiré ! Tremble, ô abîme : mes chaussures sont souillées !’ Et elle poursuivit : ‘J’étais cachée dans le cœur du Père, jusqu’à ce que le Fils de l’homme, conçu et engendré dans la virginité, répandit son sang. Avec ce sang, comme sa dot, il m’a prise comme son épouse. Les stigmates de mon époux demeurent frais et ouverts, tant que sont ouvertes les blessures des péchés des hommes. Justement le fait que les blessures du Christ restent ouvertes est la faute des prêtres. Ils déchirent mon vêtement puisqu’ils sont transgresseurs de la Loi, de l’Évangile et de leur devoir sacerdotal. Ils enlèvent la splendeur à mon manteau, parce qu’ils négligent totalement les règles qui leur sont imposées. Ils souillent mes chaussures, parce qu’ils ne marchent pas sur les droits chemins, c’est-à-dire sur les durs et exigeants chemins de la justice, et ils ne donnent pas aussi un bon exemple à ceux qui leur sont soumis. Toutefois je trouve en certains la splendeur de la vérité’. Et j’entendis une voix du ciel qui disait : ‘Cette image représente l’Église. C’est pourquoi, ô être humain qui vois tout cela et qui écoutes les paroles de plainte, annonce-le aux prêtres qui sont destinés à la conduite et à l’instruction du peuple de Dieu et auxquels, comme aux Apôtres, il a été dit : » Allez dans le monde entier. Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création « ’ (Mc 16, 15) » (Lettre à Werner von Kirchheim et à sa communauté sacerdotale : PL 197, 269ss). »
Voici comment le pape, en 2010, commentait cette impressionnante révélation privée: « Dans la vision de sainte Hildegarde, le visage de l’Église est couvert de poussière, et c’est ainsi que nous l’avons vu. Son vêtement est déchiré – par la faute des prêtres. Ainsi comme elle l’a vu et exprimé, nous l’avons vu cette année. Nous devons accueillir cette humiliation comme une exhortation à la vérité et un appel au renouvellement. Seule la vérité sauve ».
Et le 7 octobre 2012, après avoir proclamé Hildegarde docteur de l’Eglise, le pape a réaffirmé que par contraste le regard tourné vers la splendeur de la sainteté « nous pousse à considérer avec humilité la fragilité de tant de chrétiens, ou plutôt leur péché – personnel et communautaire – qui représente un grand obstacle pour l’évangélisation, et à reconnaître la force de Dieu qui, dans la foi, rencontre la faiblesse humaine. ».
Il est finalement là le cœur de la nouvelle évangélisation, celui de l’Année de la foi, du synode : « on ne peut pas parler de la nouvelle évangélisation sans une disposition sincère de conversion. Se laisser réconcilier avec Dieu et avec le prochain (cf. 2 Co 5, 20) est la voie royale pour la nouvelle évangélisation ».