Propos recueillis par Anita Bourdin
ROME, dimanche 7 octobre 2012 (ZENIT.org) – Les chrétiens vont parfois chercher dans des sagesses étrangères à la foi biblique des enseignements pour la vie quotidienne. Or Benoît XVI vient de proclamer, ce dimanche matin, 7 octobre, sur le parvis de la basilique vaticane, deux docteurs de l’Eglise, deux maîtres pour aujourd’hui, deux témoins de la fécondité de l’Evangile : leurs immenses portraits ont été dévoilés sur la façade de Saint-Pierre.
Natalia Bottineau, spécialiste de la vie des saints, a bien voulu répondre aux questions de Zenit pour comprendre le geste de Benoît XVI qui a proclamé ces deux saints comme docteurs de l’Eglise au seuil du synode sur la nouvelle évangélisation et de l’Année de la foi.
Zenit – Qu’est-ce qui permet qu’un baptisé soit proclamé docteur de l’Eglise ?
Natalia Bottineau – Tout d’abord, la sainteté de la vie. La vie de ces docteurs de l’Eglise – 35 dont 4 femmes, à ce jour – ont auparavant été examinées, ainsi que les miracles qui ont été attribués à leur intercession, et ils ont peu à peu été déclarés bienheureux puis saints, puis docteurs. Trente-neuf en deux mille ans, beaucoup moins que nos académiciens : l’Eglise est sobre, et cela met d’autant plus en lumière le rayonnement de ces grands « enseignants », leur « splendeur » a dit le cardinal Amato. Jean d’Avila était un prêtre diocésain espagnol (1499 -1569), et Hildegarde une moniale bénédictine allemande (1098-1179).
Mais Hildegarde a été déclarée sainte par Benoît XVI seulement récemment …
Sainte Hildegarde était honorée par les fidèles catholiques – qui ont reçu le don d’intelligence de l’Esprit Saint à leur baptême ! – comme sainte, mais son culte n’était pas étendu à toute l’Eglise.
Le pape, ami de saint Benoît, l’a étendu au monde entier le 10 mai dernier, reconnaissant ainsi la tradition multiséculaire qui avait inscrit la mystique rhénane au martyrologe romain, sans même que son procès de canonisation n’ait abouti.
Mais la sainteté ne suffit pas : tous les saints théologiens ne sont pas des « docteurs »!
Ensuite, effectivement, il a fallu que leur enseignement ait un rayonnement très large et que les évêques et le peuple de Dieu demandent au pape ce titre pour eux.
On se souvient par exemple de la mobilisation pour le « doctorat » de sainte Thérèse de Lisieux dans le monde entier. Et elle montre que tous les docteurs ne sont pas « théologiens », au sens académique. Que l’on pense aussi à Catherine de Sienne. Mais tous aiment le Christ et l’Eglise d’un immense amour : c’est le secret de leur intelligence de la foi et de leur fécondité spirituelle.
En annonçant les deux doctorats, le 27 mai dernier, Benoît XVI avait résumé ainsi les motivations de sa décision, soulignant l’actualité de l’enseignement d’Hildegarde : « Hildegarde fut une moniale bénédictine au cœur de l’Allemagne médiévale, authentique maîtresse en théologie et grande experte en sciences naturelles et en musique ». C’est aussi le pape musicien qui parlait.
Ce matin, ce qui a été souligné dans la présentation de sa vie et de son enseignement par une moniale bénédictine allemande, au début de la célébration, c’est son enseignement sur la place de l’homme au coeur de la création, particulièrement d’actualité en ce XXIe siècle sensible à la beauté de la création et à l’urgence de la sauvegarder pour sauvegarder l’homme.
Pour le pape, la « sainteté de la vie et la profondeur de la doctrine » de Jean d’Avila et d’Hildegarde les rendent « toujours actuels »: par l’Esprit-Saint, ils sont témoins d’une « expérience de compréhension pénétrante de la révélation divine » et d’un « dialogue intelligent avec le monde », ainsi « ces deux figures de saints et docteurs sont d’une importance et d’une actualité majeures ».
Comment résumer cette « actualité » ?
Le mot qui est revenu plusieurs fois dans la présentation du cardinal Angelo Amato, préfet de la Congrégation pour les causes des saints, au début de la célébration, et aussi dans la présentation de Jean d’Avila – je souligne, par une femme laïque -, c’est la « sagesse », la « sabiduria ». Il a été un « apôtre infatigable de l’amour de Dieu », même en prison où il a mûrit son enseignement : un docteur de l’Eglise qui a goûté à la prison pour sa doctrine, ce n’est pas banal. Il a ensuite été lavé de toute accusation.
L’œuvre de Hildegarde de Bingen est immense. Mais elle est avant tout une « sagesse », pas un savoir encyclopédique desséché. La « postulatrice » de son doctorat a souligné combien elle est «centrée sur le Christ », aimé d’un amour sans partage. Une sagesse faite de foi, d’espérance et d’amour, et qui pour cela peut nourrir encore aujourd’hui et éclairer la vie des hommes en dépit de contextes – politiques, sociaux, culturels, économiques – aussi différents que le moyen âge rhénan, le siècle d’or espagnol et ce début de troisième millénaire à l’enseigne de la mondialisation.
C’est la fécondité sans cesse renouvelée de l’Esprit-Saint dans la vie du baptisé à chaque génération.
Pourquoi cette proclamation solennelle comme premier acte du synode pour la nouvelle évangélisation ?
Le cardinal Amato a employé cette image liturgique : cette proclamation fait au coeur de la grande prière de l’Eglise, au début de l’eucharistie, en présence de plus de 250 évêques, cardinaux et patriarches du monde entier, constitue comme une « antienne » du synode, et de l’Année de la foi que le pape ouvrira jeudi prochain, 11 octobre. Il a aussi souligné que la demande était faite pour « bien de l’Eglise » et la « joie » des baptisés. Le pape donne un homme et une femme comme référence pour vivre ces deux événements invitant à faire comme eux : « regarder vers le Christ ». La « postulatrice » du doctorat de Jean d’Avila a conclu sa présentation en disant que qu’il était un « docteur pour la nouvelle évangélisation ».
Il me semble que ce ne sont pas seulement leurs œuvres mais toute leur vie qui fait partie de cette sagesse à recueillir. Celle d’Hildegarde était toute nourrie de l’Ecriture et de la liturgie, source de sa vie d’union avec le Christ et d’amour de ses contemporains et de l’Eglise, comme l’a souligné sa « postulatrice » : elle a toujours obéi à l’Eglise, une obéissance faite d’amour, de prudence, de liberté, féconde en œuvres bonnes. Elle montre aux jeunes d’aujourd’hui la fécondité et la sagesse recueillie à cette source – monument de la culture européenne – qu’est la Règle de saint Benoît.
Qui sont les femmes « docteurs de l’Eglise » ?
Sainte Hildegarde, bénédictine, est la quatrième femme à être proclamée docteur de l’Eglise, après sainte Catherine de Sienne, tertiaire dominicaine, sainte Thérèse d’Avila et sainte Thérèse de Lisieux, toutes deux carmélites.
Mais aujourd’hui, le pape ne donne pas deux femmes ou deux hommes, mais un homme et une femme – chacun selon son génie propre – pour éclairer par leur sagesse la marche de l’Eglise, communion dans la foi dans le Dieu d’amour, Père, Fils et Saint-Esprit, « Dieu un ».