ROME, vendredi 16 décembre 2011 (ZENIT.org).- Pour lutter contre les discriminations, il est important de «ne pas se taire» et de communiquer les données des crimes contre les chrétiens, affirme Massimo Introvigne. Car, si les victimes sont «sympathiques par définition», trop souvent, on se réfère aux persécuteurs avec euphémisme. Si bien que parfois il semble presque « que les chrétiens se persécutent tout seuls ».
«L’intolérance et la discrimination sont les deux premiers stades d’un plan incliné qui conduit à la persécution», analyse également le professeur Massimo Introvigne, représentant de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour les crimes contre les chrétiens.
Le professeur Massimo Introvigne – fondateur et directeur du Cesnur (Centre pour l’étude des nouvelles religions) a accordé cet entretien à l’Aide à l’Eglise en détresse (AED) d’Italie, publié sur le site « Vatican Insider ».
Professeur Introvigne, ces derniers jours nous avons entendu parler de liberté religieuse et de crimes contre les chrétiens dans deux importantes rencontres internationales à Moscou et Istanbul. D’autres évènements ont été organisés à l’occasion de la réunion annuelle des 56 ministres des affaires étrangères de l’OSCE en Lituanie. Quelle est l’importance de l’information en matière de crimes contre les chrétiens?
Les évènements cités – parmi lesquels des dialogues avec des représentants de la société civile des pays concernés par le “printemps arabe” – nous ont permis de déterminer dans l’information un des problèmes centraux dans la lutte contre la persécution et la persécution des chrétiens. Partout on écoute volontiers les histoires des victimes et on leur exprime de la sympathie, souvent avec une émotion sincère. Les victimes sont par définition sympathiques. Mais il y a beaucoup plus de réticence à identifier clairement les persécuteurs, en les appelant par leur nom et leur prénom. Il s’agit souvent de partenaires économiques ou de pays puissants du point de vue politique ou militaire, qu’on ne souhaite pas mécontenter. Et l’on recourt à des euphémismes et des métaphores qui souvent laissent l’impression que les chrétiens se persécutent tout seuls.
Durant votre intervention à la rencontre moscovite, vous avez dit que si elle continue à se taire l’Europe risque un “naufrage moral et spirituel, plus nocif encore que la crise économique”. Comment peut-on l’éviter?
J’ai pris prétexte de l’exposition sur la peinture italienne du 19e en Corse à l’Hermitage de Saint-Petersbourg, faisant remarquer un des thèmes qui s’est transmis de la peinture italienne à la peinture russe au 19e siècle: le naufrage. Si elle continue à se taire sur la persécution des chrétiens, par peur d’offenser les persécuteurs – même s’ils nous fournissent le pétrole ou achètent nos bons du trésor -, l’Europe risque en effet un naufrage moral. De nombreuses initiatives peuvent être prises sur le plan diplomatique, mais la première doit être de ne pas se taire et de fournir des informations fiables.
Lors des deux journées russes, a émergé la nécessité d’un centre de contrôle et de centralisation des données sur les discriminations contre les chrétiens auquel collaboreront activement les institutions ecclésiastiques…
Pour la centralisation des données sur les crimes de haine, également contre les chrétiens, l’OSCE a déjà un mécanisme, qui fonctionne bien lorsque les Etats participants envoient régulièrement les données. Malheureusement, tous ne le font pas. Il y a également des initiatives non gouvernementales qui offrent des chiffres mis à jour en permanence et très fiables et qu’il faut valoriser. De ce point de vue, il faut souligner la contribution importante de l’AED, en particulier avec ses rapports périodiques sur la liberté religieuse dans le monde.
Le patriarche Kirill a souhaité aussi l’institution d’un dispositif complet et efficace pour la protection des communautés chrétiennes et des chrétiens, par la création d’un organisme consultatif auprès des Nations Unies. Quelles seront les fonctions de cet organisme?
J’ai pu discuter de l’éventuel organisme consultatif avec les représentants du patriarcat de Moscou. Je dois préciser que l’idée rencontre quelques résistances de la part de l’ONU, qui préfèrerait déléguer la compétence à l’UNESCO. Selon le primat de l’Eglise russe, ce devrait être un organe de coordination et de vigilance capable de porter non seulement la voix des chrétiens, mais aussi celle de toutes les victimes de discriminations et persécutions religieuses. Clairement – et le problème est bien présent au patriarcat – il est nécessaire d’éviter tout relativisme. Cela ne doit pas être un “ONU des religions”, mais un organisme focalisé sur les discriminations et les persécutions religieuses, pour les prévenir et les combattre, au plan juridique et diplomatique.
Cette année vous avez été nommé représentant de l’OSCE pour la lutte contre l’intolérance et la discrimination auxquelles sont confrontés des chrétiens. Votre présence et celle des deux représentants contre l’antisémitisme, le rabbin Andrew Baker, et l’islamophobie, le sénateur Adil Akhmetov, montrent l’attention du président Aubalis au thème de la liberté religieuse. Quel est le bilan de 2011?
Selon Mgr Dominique Mamberti, secrétaire du Vatican pour les relations avec les Etats, cette année l’OSCE a obtenu «d’excellents résultats» dans la lutte contre les persécutions des chrétiens. Bien que l’attention mondiale se soit limitée aux duels entre Hillary Clinton et le ministre des affaires étrangères russe Sergei Lavrov sur les irrégularités des élections en Russie, au cours des rencontres de l’OSCE à Vilnius, les références intéressantes à la liberté religieuse n’ont pas manqué. A cette occasion le secrétaire d’Etat américain a demandé aux gouvernements élus à la suite du “printemps arabe” de respecter les minorités religieuses. J’ai moi-même relevé de nombreuses fois qu’en Afrique du nord les chrétiens ne se contentent pas de la simple tolérance. Il est urgent, suite aux révoltes, de protéger aussi les lieux de culte, spécialement ceux des minorités. Cela peut sembler un objectif de seconde importance, mais ça ne l’est pas. Et de nombreux pays de l’OSCE soutiennent l’idée d’une convention internationale pour la protection des édifices de culte et des cimetières. Parce que qui détruit les églises veut tuer l’âme des communautés chrétiennes, et qui cherche à tuer l’âme n’aura pas non plus de respect pour le corps et la vie des chrétiens.
A Moscou le métropolite Hilarion, représentant de l’Eglise orthodoxe russe auprès des institutions européennes, a cité le refus de l’Europe de son identité chrétienne parmi les causes de la persécution des chrétiens. Il a aussi critiqué l’“esprit de correction” de certaines politiques européennes plus centrées sur l’inadmissibilité de l’antisémitisme et de l’islamophobie, que sur les discriminations contre les chrétiens. Etes-vous d’accord?
Bien que personne ne veuille mettre sur le même plan les massacres en Egypte ou au Pakistan et les épisodes européens où les églises chrétiennes sont ridiculisées ou marginalisées, en Europe nous avons des cas toujours plus fréquents d’intolérance et de discrimination contre les chrétiens. Le patriarche Kirill comme le métropolite Hilarion ont particulièrement insisté sur ce point. Le métropolite a rappelé la tentative d’exclure le crucifix des salles de classe dans les écoles italiennes. Il ne me semble pas prudent d’opposer la lutte contre l’antisémitisme et contre l’i
ntolérance et les discriminations contre les musulmans à celle pour les droits des chrétiens. Et l’OSCE, à travers les trois représentants que nous sommes, cherche à montrer de manière visible que ces trois luttes sont d’égale importance aussi d’un point de vue politique et diplomatique.
Quelles sont les formes de discrimination dans le monde occidental ?
Comme l’a rappelé durant la rencontre moscovite Mgr Erwin Josef Ender, le pape a fait sienne l’expression «christianophobie» inventée par le juriste juif des Etats-Unis Joseph Weiler, justement à propos de l’Occident. Benoît XVI a souvent relevé comment «déplaçant notre regard de l’Orient vers l’Occident» nous nous trouvons face à d’autres types de menaces contre le plein exercice de la liberté religieuse. Ce sont là des pays où l’on donne une grande importance au pluralisme et à la tolérance, mais dans lesquels la religion subit une marginalisation croissante et où elle est considérée comme facteur extérieur à la société moderne. Comme pour les limitations aux objections de conscience en matière d’avortement, on en arrive à exiger que les chrétiens agissent en contradiction avec leurs convictions religieuses et morales. La «christianophobie» est aussi manifestée par les menaces à la liberté d’éducation et par l’aversion administrative envers les écoles chrétiennes. Par exemple dans les pays européens où est imposée la participation à des cours d’éducation sexuelle ou civile qui transmettent des conceptions de la personne et de la vie soi-disant neutres, mais qui en réalité reflètent une anthropologie contraire à la foi et à la raison droite. L’intolérance est un fait culturel et la discrimination une donnée juridique. Mais ce sont les deux premiers stades d’un chemin inscrit sur un plan incliné et qui, s’il n’est pas arrêté à temps, conduit fatalement à la troisième étape de la violence et de la persécution.
Traduit de l’italien par Anne Kurian
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