Matteo Ricci (1552-1610), un jésuite à la cour des Ming

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Interview de la sinologue Marianne Bastid-Bruguière

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ROME, Mercredi 1er décembre 2010 (ZENIT.org) – Une « biographie de référence » qui présente la vérité du personnage de Matteo Ricci (1552-1610) : c’est ainsi que Marianne Bastid-Bruguière, sinologue réputée, membre de l’Institut et Directeur de recherche émérite au CNRS a évoqué l’ouvrage qu’elle a préfacé sur le missionnaire jésuite : Matteo Ricci (1552-1610), Un jésuite à la cour des Ming, de Michela Fontana, paru aux Editions Salvator.

Le livre de l’Italienne Michela Fontana, historienne des sciences, enseignante et journaliste, a reçu le Grand Prix de la biographie politique 2010 en raison de « la très grande qualité du travail documentaire et littéraire réalisé par l’auteur ».

« Lettré d’Occident », le jésuite Matteo Ricci fut le premier Européen à assimiler la culture chinoise et à transmettre à la Chine la foi catholique et le savoir occidental. Il s’efforça ainsi de mieux comprendre la pensée chinoise en s’immergeant dans les grands écrits de l’Empire du Milieu et de prolonger cette pensée de la science occidentale et de la connaissance du « Seigneur d’en Haut ».

Dès son arrivée en Chine à l’âge de 30 ans, il comprit très vite que ses connaissances, notamment mathématiques, cartographiques et astrologiques se révèleraient être un formidable objet de curiosité intellectuelle pour les lettrés chinois et une manière, pour lui, de mieux révéler l’existence de Dieu.

C’est ainsi qu’il entreprit avec l’aide d’un de ses plus brillants disciples Xu Paul, la traduction des Eléments d’Euclide alors même que les raisonnements et concepts déployés étaient totalement étrangers à la pensée chinoise. Certaines des expressions forgées par les deux traducteurs sont encore partie intégrante de la terminologie chinoise.

Matteo Ricci comprit également que l’inculturation était une condition de l’évangélisation de la Chine. Il s’imprégna ainsi des écrits de Confucius, qu’il considérait comme un autre Sénèque, et essaya de démontrer que confucianisme antique et christianisme étaient tout à fait compatibles. Il traduisit ainsi pour l’Occident les Quatre livres du confucianisme.

Après une vie d’évangélisation et d’immersion dans l’Empire du Milieu, cet intellectuel prodigieux meurt à Pékin le 11 mai 1610 sur un terrain donné par l’Empereur Wanli, insigne honneur. Sur le monument l’inscription suivante a été portée : « A celui qui est venu attirer par la justice et à l’auteur de tant de livres ».

ZENIT : Vous avez préfacé Matteo Ricci (1552-1610), Un jésuite à la cour des Ming. Qu’est-ce qui vous a séduit dans cet ouvrage ?

Marianne Bastid-Bruguière : C’est un livre très bien écrit, très vivant, très au fait des nouvelles recherches effectuées dans le monde entier sur la société chinoise à la fin des Ming, dans une période de grande difficulté économique, de difficultés intellectuelles, de crise. Spécialiste d’histoire des sciences, Michela Fontana a le mérite d’être parfaitement au courant des récents travaux sur les développements scientifiques à la fin de la Renaissance en Europe. Italienne, elle a « senti » ce personnage de Matteo Ricci comme nul autre. Elle apporte de l’humanité intelligente, une réflexion critique et, sans masquer ses limites, montre le parcours extraordinaire du missionnaire. En présentant la vérité du personnage de Matteo Ricci, homme de la Renaissance, profondément croyant, épris de science et d’humanisme, elle livre ici une biographie de référence.

ZENIT : Qu’est-ce qui fascine dans la figure de Matteo Ricci ?

Marianne Bastid-Bruguière : L’extraordinaire énergie avec laquelle il a pénétré la vie réelle des Chinois, leur vie intellectuelle. Son optimisme foncier, son courage exceptionnel. Matteo Ricci a quand même mis 20 ans à arriver à Pékin où il espérait voir l’empereur, mais il ne l’a jamais rencontré. C’était pourtant son grand désir. L’audience impériale à laquelle il a assisté s’est déroulée devant un trône vide. Une frustration incroyable qu’il surmonte. Il garde une sorte d’optimisme fondamental avec l’idée que les Chinois sont des hommes comme nous, certain que le dialogue est possible malgré la différence. S’il menait un dialogue intellectuel intéressant avec certains, il sentait néanmoins qu’il y avait quelque chose au fond qu’il n’arrivait pas à pénétrer, sur lequel il n’avait pas de prise.

ZENIT : A-t-on exagéré l’œuvre de Matteo Ricci en Chine ?

Marianne Bastid-Bruguière : On n’a pas exagéré son importance quant à l’effort de compréhension qu’il a fourni pour approcher l’autre et quant à l’effet que cela a produit parmi les élites chinoises. Il est l’une des rares figures à demeurer dans la mémoire chinoise lettrée : Matteo Ricci est resté un étranger avec lequel il y avait un rapport d’égalité et un réel échange. C’est très important parce que malgré tout, la culture chinoise a été pendant très longtemps repliée sur elle-même. Elle absorbait beaucoup d’influences étrangères mais n’a jamais voulu l’admettre. Tandis que là c’est un dialogue d’égalité : c’est quelque chose de tout à fait spécial.

Il faut néanmoins rappeler que Matteo Ricci s’est trouvé là-bas à une époque de crise et d’interrogation parmi les lettrés eux-mêmes. Ils étaient donc disposés à écouter autre chose et Matteo Ricci l’a compris. Il a perçu des failles, des interrogations et a compris qu’il pouvait apporter certaines réponses. Il a eu une relative facilité à échanger avec les lettrés chinois du fait de cette mise en cause par les lettrés chinois eux-mêmes du système confucéen ou de l’interprétation du système confucéen.

ZENIT : En tant sinologue, pensez-vous que Matteo Ricci a été l’initiateur de la sinologie ?

Marianne Bastid-Bruguière : D’autres missionnaires ont commencé avant lui à établir des dictionnaires. Mais il a joué un rôle fondamental parce qu’il a été le premier traducteur de certains classiques chinois. C’est très important : Matteo Ricci a fixé un certain cadre et a attiré l’attention sur la pensée chinoise et sur l’intérêt de la réflexion philosophique chinoise. Il est en cela l’un des fondateurs de l’étude scientifique de la Chine. Par la traduction de Confucius, il a joué un rôle très important.

ZENIT : Aujourd’hui, comment Matteo Ricci est-il perçu en Chine ?

Marianne Bastid-Bruguière : C’est un personnage dont on parle. La figure de Matteo Ricci a laissé une empreinte sur les Chinois. Il est dans les manuels scolaires en raison des sciences et de l’ouverture à l’Occident : une manière de montrer que les Chinois n’étaient pas fermés sur eux-mêmes, qu’ils n’étaient pas méprisants.

ZENIT : Que sait-on de la célébration du 4e centenaire de la mort de Matteo Ricci en Chine ?

Marianne Bastid-Bruguière : Des festivités absolument inédites ont été organisées. Au mois de mai, une grande messe a eu lieu à Pékin dans l’église du Nan Tang, l’une des églises de Matteo Ricci, en présence de grands dignitaires du Parti Communiste chinois, de l’ambassadeur d’Italie. Ce fut une très grande cérémonie à la mémoire de Matteo Ricci.

Propose recueillis par Marine Soreau

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ZENIT Staff

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