Frère André Bessette, par le P. Thomas Rosica

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ROME, Dimanche 17 octobre 2010 (ZENIT.org) – Nous reprenons ci-dessous une réflexion du P. Thomas Rosica, c.s.b.* publiée dans l’édition du 12 octobre de L’Osservatore Romano en langue française sur frère André Bessette, canonisé ce dimanche par Benoît XVI.

Le dimanche 17 octobre prochain, six bienheureux seront canonisés par le Pape Benoît XVI. Parmi elles se trouve un Canadien de la Congrégation de Sainte-Croix, frère André Bessette né en 1845 dans le village de Saint-Grégoire d’Iberville au Québec, au sein d’une famille nombreuse. Le petit semble tellement chétif que son père, Isaac, ne s’attendait pas à ce que son fils survive plus d’une journée.

Un nuage sombre semble flotter au-dessus de la famille Bessette. Alfred a dix ans lorsque un arbre tue son père qui coupait du bois en forêt. Il lui reste sa mère, celle qui lui a tout appris. Seule avec dix enfants, frappée par la mort subite de son mari, celle-ci meurt des suites de la tuberculose à peine trois ans plus tard.

Orphelin, Alfred s’en va vivre chez une tante. Il est souvent malade et fréquente très peu l’école. Depuis qu’il est petit, il souffre de maux d’estomac chroniques, des maux qu’il aura tout au long de sa vie. Il fait tous les métiers avant de s’en aller aux Etats-Unis pour trouver du travail, comme de nombreux Canadiens français. A nouveau, il passe d’un emploi à l’autre, de la ferme aux usines de textiles de la Nouvelle-Angleterre. La santé d’Alfred demeure fragile et il cherche toujours sa véritable vocation.

En 1867, Alfred revient au Canada, alors nouvellement constitué, pour retourner à Saint-Césaire, le village où il vécut après la mort de sa mère. C’est là qu’il a fait sa première communion. Il s’offre pour aider le curé, André Provençal, qui lui a enseigné le catéchisme lorsqu’il était jeune. Il passe aussi de plus en plus de temps en prière, entre autres devant la statue de saint Joseph dans l’église paroissiale. Le curé Provençal observe vite que la prière d’Alfred est à la fois profonde et authentique. En 1870, convaincu que son jeune paroissien est appelé par Dieu, le bon curé suggère à Alfred de considérer la vie religieuse au sein de la Congrégation de Sainte-Croix. Même s’il se juge inapte à la vie religieuse, en particulier au sein d’une congrégation d’enseignants, Alfred accepte malgré tout d’être présenté aux Sainte-Croix pour entamer un processus de formation et de discernement. Il a alors vingt-cinq ans. L’abbé Provençal écrit alors aux supérieurs de la Congrégation de Sainte-Croix: «Je vous envoie un saint».

Malheureusement, la santé fragile du jeune Alfred s’avère un obstacle aux yeux des autorités de Sainte-Croix. A la fin de son année de noviciat, Alfred demande à prononcer ses voeux temporaires. Les supérieurs de la Congrégation rejettent sa demande affirmant que son état de santé l’empêcherait de vivre les engagements de pauvreté, chasteté et obéissance, les trois voeux que font les religieux. Alfred est anéanti par cette annonce.

Quelques semaines après cette nouvelle épreuve pour Alfred, l’évêque de Montréal, Mgr Ignace Bourget, visite le Collège Notre-Dame, où se trouve également le noviciat de la communauté. Alfred aurait alors supplié l’évêque d’intercéder pour lui auprès des autorités de Sainte-Croix en disant: «Ma seule ambition est de servir Dieu dans les tâches les plus humbles».

L’évêque aurait été touché par cette demande. En fin de compte, Alfred est admis aux voeux comme frère de Sainte-Croix le 2 février 1874 et prend alors le nom d’André, en l’honneur de son mentor André Provençal. En acceptant le frère André comme frère laïc, le maître des novices affirme: «S’il ne peut travailler, il saura au moins prier».

La plupart des membres de la Congrégation de Sainte-Croix étaient prêtres et enseignants. Les frères laïcs contribuaient à la mission par leur travail manuel qui était nécessaire au maintien et à l’organisation de l’école. Pendant près de quarante ans, le frère André va travailler comme portier du Collège Notre-Dame dans le quartier Côte-des-Neiges à Montréal. Commentant plus tard la tâche qu’on lui avait confiée il dit: «On m’a mis à la porte et j’y suis resté toute ma vie».

En tant que portier du Collège, le frère André loge dans une petite pièce près de l’entrée, pièce qui est aussi son bureau. On lui a également confié d’autres tâches telles que laver les planchers et les fenêtres, nettoyer les lampes (à l’huile à l’époque), et porter le bois à l’intérieur. Chaque matin, il sonne le réveil pour l’école, vide les pots de chambre, prend le courrier au bureau de poste et chaque semaine, il porte la lessive des élèves chez leurs parents. Il est aussi le barbier du Collège, ce qui lui donne d’autres occasions d’échanger et surtout, d’écouter les gens, jeunes et moins jeunes.

Le frère André presse les personnes qui viennent le voir, de prier avec confiance et persévérance, tout en demeurant ouverts à la volonté de Dieu. Il les incite à prendre le chemin de la guérison avec foi et humilité, en allant se confesser et en recevant les sacrements de l’Eglise. Il encourage les malades à consulter un médecin. Pour lui, la souffrance trouve un sens lorsqu’elle est jointe à la souffrance du Christ. Il était attentif et présent à la tristesse et à la douleur des autres, mais était toujours de nature joyeuse avec un bon sens de l’humour. On raconte l’avoir vu pleurer avec les visiteurs qui lui confiaient leurs difficultés et leur peine. La rumeur de guérisons obtenues à la suite de ses prières, se répand. Alors que sa renommée de guérisseur dépasse les frontières, lui-même insiste toujours plus: «Je ne suis rien… qu’un simple instrument entre les mains de la Providence, un humble instrument au service de saint Joseph».

La tension monte au Collège Notre-Dame qui voit de plus en plus de gens malades se présenter pour voir le portier. Les supérieurs décident alors que le frère André doit s’établir de l’autre côté de la rue, dans la station de tramway, pour recevoir ses visiteurs. Alors que sa réputation continue de s’étendre, le frère André devient une figure controversée. Plusieurs religieux de sa congrégation, des enseignants et des parents d’élèves du Collège l’appuient et l’apprécient mais beaucoup d’autres le considèrent comme une menace au bien-être et à la réputation de l’école et le voient comme un charlatan. D’autres sont préoccupés pour la santé des élèves avec tous ces malades qui risquent de propager des maladies dans l’école.

Le médecin de l’école, le Dr Charrette, qualifie le frère André d’imposteur, le traitant de «frère graisseux» à cause de l’huile de Saint-Joseph qu’il applique sur les malades tout en priant avec eux. Le médecin va très vite revenir sur ses paroles. Son épouse tombe malade et saigne abondamment. Aucun traitement ne peut arrêter les hémorragies. Craignant sa mort imminente, elle prie son mari de demander l’intercession de frère André.

Malgré sa frustration, le docteur se plie à la demande de sa femme et le frère André peut lui rendre visite et prier avec elle. Madame Charrette guérit miraculeusement. A partir de ce moment, le Dr Charrette devient l’un des grands défenseurs de frère André.

Le frère André avait toujours une grande dévotion pour saint Joseph et voulait que d’autres prient avec lui le père de Jésus. En 1900, il reçoit la permission d’amasser les fonds nécessaires pour construire un petit oratoire dédié à saint Joseph. Une petite chapelle est inaugurée en 1904. Les autorités de Sainte-Croix permettent l’ajout d’une pièce à la chapelle. Le frère André y établit sa résidence et peut ainsi recevoir les pèlerins. Il délaisse la station de tramway et commence donc à recevoir les gens sur la montagne, là où se trouve l’actuel oratoire.

En 1909, le frèr
e André est assigné à temps plein à l’Oratoire Saint- Joseph. Le jour, il recevait les personnes qui venaient le voir et le soir, il visitait les malades qui n’avaient pu se rendre jusqu’à l’Oratoire. La petite chapelle allait laisser place en 1917 à une crypte en mesure d’accueillir 1000 personnes. Au début des années 1920, l’Oratoire accueillait plus d’un million de pèlerins par an, et des centaines de guérisons sont attribuées aux prières du frère André chaque année.

Le frère André est décédé à Montréal le 6 janvier 1937 sans voir la fin de son rêve. On estime que plus d’un million de visiteurs sont venus de toute l’Amérique pour lui rendre un dernier hommage dans les jours qui suivirent sa mort. Il fut béatifié par le Pape Jean-Paul ii le 23 mai 1982 à Rome. Le 17 octobre 2010, le frère André sera canonisé et deviendra le premier saint natif du Canada.

Le miracle ayant mené à sa canonisation s’est produit en 1999. Un garçon de 9 ans avait été victime d’un accident de voiture qui l’avait plongé dans un coma irréversible. Les prières de ses proches et l’intercession de frère André lui ont fait reprendre conscience jusqu’à une guérison complète. Cette guérison a été jugée scientifiquement inexplicable par le corps médical.

«Pauper, servus et umilis»

Grâce aux efforts, aux souffrances et à la foi du frère André, d’une petite chapelle sur le Mont Royal s’est élevée une grande basilique qui domine désormais Montréal et le paysage spirituel de tout un pays. L’Oratoire Saint-Joseph est le plus grand sanctuaire au monde dédié à saint Joseph, grâce au rêve du frère André Bessette. La puissance et la grandeur de Dieu se sont révélées à travers un humble frère de Sainte-Croix. «Pauper, servus et umilis» est l’épitaphe de son tombeau à l’Oratoire: pauvre, obéissant et humble serviteur.

Ce sont les mêmes mots qui sont chantés dans le Panis Angelicus, ce magnifique hymne eucharistique. Qui peut dire pourquoi André a été choisi? Dans sa magnifique lettre à la famille Sainte-Croix d’il y a quelques mois, l’ancien supérieur général, le père Hugh Cleary, c.s.c., déclarait: «Peut-être qu’André a été choisi, tout comme Marie et Joseph, parce qu’il n’était rien aux yeux de ce monde;  il n’avait rien, rien ne le possédait (…).  Dieu l’a possédé en lui donnant ce qui lui importait le plus, lui accordant la réalisation de l’aspiration la plus profonde de son cour».

La vocation d’un frère coopérateur

Dans son exhortation apostolique Vita Consecrata, le Serviteur de Dieu Jean-Paul ii affirmait: «Aux personnes consacrées, il est demandé d’être vraiment expertes en communion et d’en pratiquer la spiritualité, comme « témoins et artisans du projet de communion qui est au sommet de l’histoire de l’homme selon Dieu »».

Les frères coopérateurs rendent un grand service au Peuple de Dieu, bien qu’ils soient moins connus au sein de l’Eglise. Il y a aussi un sentiment que ces frères religieux sont nos pairs, en vivant et en travaillant parmi nous comme compagnons dans notre cheminement de foi. Ces hommes sont des exemples qui nous montrent à quel point nos gestes quotidiens peuvent en eux-mêmes êtres saints.

Le frère André était un véritable expert et un artisan de communion qui vécut et travailla parmi nous. Il était le compagnon de milliers de gens qui cheminaient dans la foi. Sa vocation de religieux était un don de Dieu. Son témoignage est à la fois prophétique, radical, visible, effectif, crédible et joyeux. Adulte, le frère André mesurait à peine 1,50 mètre. Malgré cela, il était un géant de foi et de spiritualité, et son ombre veille toujours sur Montréal et sur le Canada. Il nous montre ce qu’il est possible de réaliser par la foi et l’amour. Pour reprendre les mots de l’humble portier: «L’artiste, c’est avec les plus petits pinceaux qu’il peint les plus beaux tableaux».

Ouvrir les portes de nos coeurs et de l’Eglise

Le Christ est la porte vers le Père, qui frappe à la porte de nos cours, de nos maisons, de notre Eglise. L’Eglise, et en particulier l’Oratoire Saint-Joseph à Montréal, est la porte du salut, la porte du Royaume de Dieu. Le frère André était le portier de cet endroit béni. Le Seigneur est passé par ses doutes, ses infirmités, ses forces, sa persévérance et son ingéniosité pour construire une église et construire l’Eglise.

Nous franchissons chaque jour plusieurs portes sans même nous en apercevoir. Nous nous souvenons tous de l’époque où nos parents ou grands-parents «ne fermaient jamais à clé». Nous vivons aujourd’hui à une époque de serrures et de systèmes d’alarme. Finis les jours où les portes de nos maisons s’ouvraient sans difficulté aux proches, aux amis, aux voisins. Les portes de nos maisons et de nos églises ne semblent plus s’ouvrir aussi facilement ou aussi souvent qu’avant. Il est urgent de trouver des manières d’ouvrir les portes de nos maisons, de nos églises et de nos cours à tous ceux qui ont besoin de nous.

A son époque, le frère André était le Portier de Montréal et il est désormais l’un des gardiens spéciaux de la porte du Ciel. Il nous montre l’importance d’accueillir chaque personne comme le Seigneur lui-même. Certains viendront à nous dans la joie, d’autres seront effrayés, certains viendront guéris et d’autres viendront chercher la guérison. André nous engage à être sensibles et accueillants à l’égard de tous ceux et celles qui frappent à nos portes. Puisse-t-il continuer à nous inspirer à ouvrir des portes et bâtir des ponts vers les personnes que le Seigneur met sur notre route chaque jour, spécialement celles qui sont malades, pauvres, seules et éprouvées. Aujourd’hui, puisse André de Montréal faire de nous des instruments de paix, de joie, d’amitié et de guérison.

«Télévision Sel + Lumière» a réalisé un documentaire sur la vie et l’ouvre du frère André Bessette:

www.seletlumieretv.org/frereandre

*Directeur général, Fondation catholique Sel et Lumière média

© Corpyright 2010 : L’Osservatore Romano

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ZENIT Staff

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