Messe à Saint-Pierre pour la fête de S. Pétronille, première patronne de France

Homélie de Mgr Jean Laffitte

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ROME, Lundi 7 juin 2010 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte de l’homélie que Mgr Jean Laffitte, secrétaire du Conseil pontifical pour la famille, a prononcé, au cours de la messe qu’il a présidée, dans la chapelle Sainte-Pétronille de la Basilique Saint-Pierre, le 1er juin, jour de la fête de la sainte, première patronne de France, en présence notamment de l’ambassadeur de France près le Saint-Siège, M. Stanislas de Laboulaye.

 

Fête de la Sainte Pétronille

Messe à la Basilique Papale de Saint Pierre à Rome

Homélie de S.E. Msgr. Jean LAFFITTE

Secrétaire du Conseil Pontifical pour la Famille

1er juin 2010

Monsieur l’Ambassadeur,

Excellence,

Chers amis,

Si la tradition de célébrer une messe pour la France à l’autel de Sainte Pétronille a été reprise il y a quelques années seulement, c’est en des temps beaucoup plus anciens que la sainte que nous célébrons aujourd’hui est devenue la figure protectrice symbolisant l’attachement de la France chrétienne au successeur de Pierre. L’occasion nous est ainsi offerte de présenter au Seigneur dans le Saint Sacrifice de la messe nos supplications en faveur de notre pays. Il appartient à tout chrétien de prier pour ceux qui portent sur leurs épaules le joug de la destinée des peuples, et en assument la charge et la responsabilité. D’eux dépendent, au moins en partie, la paix civile, la prospérité des populations et l’ordre naturel de la justice. Au service du bien commun, les baptisés participent par leurs actions mais aussi par leur prière, sachant que la droite de Dieu a aussi pouvoir de guider et juger les nations.

Les textes qui accompagnent la liturgie de ce jour ne passent pas pour les plus aisés à comprendre, ils incitent plutôt à la gravité. Alors que l’Evangile de Matthieu annonce dans la bouche de Jésus tribulations, combats et séparations entre les membres d’une même famille, le deuxième livre des Maccabées, entendu dans la première lecture, évoque le sacrifice héroïque d’une mère de sept enfants qui voit sans faiblir chacun d’entre eux mis à mort en témoignant de la foi de ses pères. En forçant le trait, on dirait que le seul passage un peu moins sombre se situe dans le dernier verset de la deuxième lecture, tiré de la première lettre de Pierre, et qui énonce avec sagesse qu’il vaut mieux souffrir pour le bien, si telle est la volonté de Dieu, plutôt qu’en faisant le mal.

En réalité, ces textes ne visent pas du tout à rendre le chrétien pessimiste ou fataliste. L’Evangile évoque le glaive apporté par Jésus, et qui semble s’opposer à une certaine paix, à la paix telle que les hommes se l’imaginent, une paix qu’ils identifient volontiers avec une tranquillité plus au moins prospère. Les paroles de Jésus que nous avons entendues sont un emprunt que Jésus fait au prophète Michée dénonçant l’injustice universelle après que Dieu eut fait le procès de son peuple. Le prophète déplore que les fidèles aient disparu du pays et s’exclame au bord du désespoir pas un juste parmi les gens! Et il explique: car le fils insulte le père, la fille se dresse contre sa mère, la belle-fille contre sa belle-mère, chacun a pour ennemis les gens de sa maison. Toutefois, c’est sur une note d’espérance que se terminent les lamentations du prophète: mais moi, je regarde vers Adonaï, j’espère dans le Dieu qui me sauvera; mon Dieu m’entendra. En reprenant ces versets de Michée, Jésus exprime qu’il n’est pas venu rétablir la paix au sens où l’entendaient les fils d’Israël. Le glaive dont Jésus parle a pour fonction de trancher, de dénouer, et de séparer. Il est un instrument divin de la justice, non pas dans le sens où l’entendent les hommes, qui voient dans le glaive une arme qui tue, mais comme l’instrument qui permet de séparer en tout homme ce qui est de Dieu de ce qui fait obstacle à Lui. C’est la raison pour laquelle c’est à un glaive qu’est comparée la parole de Dieu qui a le pouvoir de s’introduire au plus profond de l’intériorité de l’homme, en ce lieu où se rejoignent son esprit et son cœur, selon l’image de la lettre aux hébreux: Vivante en effet est la parole de Dieu, efficace et plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu’au point de division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des moelles, elle peut juger les sentiments et les pensées du cœur. Le don de la Parole de Dieu est ainsi d’abord une expression de la miséricorde divine, car elle permet que soit tracée en tout homme cette ligne de démarcation qui va l’aider à discerner et d’accomplir ce qui est susceptible de plaire à son Maître.

Les sept frères et leur mère du Livre des Macchabées montrent leur attachement aux lois divines qui finissent ultimement par prévaloir sur l’amour de leur propre vie. Leur attitude est loin d’être une provocation gratuite contre l’ordre établi; le motif de leur témoignage est le refus d’agir contre Dieu en consommant de façon sacrilège les viandes consacrées aux idoles; s’ils l’avaient accompli, leur geste aurait valu reniement de leur foi et trahison de leur peuple. La circonstance publique y aurait ajouté la dimension de scandale et elle aurait sans aucun doute induit une abjuration de toute la nation. Les paroles de leur mère qui, nous dit le texte, mettait sa confiance dans le Seigneur, expriment le choix absolu de ce qu’au Moyen-Age on appellera l’honneur de Dieu: le Créateur du monde…aura pitié de vous et vous rendra le souffle de la vie, puisque vous acceptez maintenant d’en être privés pour rester fidèles à ses lois. Dans les versets suivants, on voit le plus jeune des sept frères ajouter au témoignage du martyre pour Dieu l’intercession pour son peuple: Pour moi je livre comme mes frères mon corps et ma vie pour les lois de mes pères, suppliant Dieu d’être bientôt favorable à notre nation. On ne souligne pas assez combien le sacrifice des sept frères avait aussi le sens d’un service aimant au bien commun. De la mère, le rédacteur dit qu’elle mérite bien qu’on se souvienne d’elle. Du benjamin, il relate sobrement: Ainsi trépassa le jeune homme, sans s’être souillé, et avec une parfaite confiance dans le Seigneur.

Revenons aux paroles de Jésus qui poursuit ainsi son Discours apostolique : celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. Le verbe aimer que Jésus utilise philein exprime l’amour naturel par lequel sont illustrés les liens du sang qui, par définition, sont les plus naturels; aussi, on pourrait de prime abord être surpris que Jésus exige pour soi un amour normalement dû à nos plus proches; c’est évidemment par ce paradoxe fort que s’exprime ici la pédagogie du Maître. Jésus ne relativise pas les liens sacrés du sang, mais il les utilise pour évoquer un amour d’une autre nature, qui n’est plus seulement un amour naturel, une philia, mais un amour envers Dieu : en le revendiquant pour soi, il enseigne aux siens que se mettre à sa suite, c’est suivre Dieu; devenir son disciple n’est pas s’inscrire dans la logique d’un amour humain mais se charger de sa croix pour marche à sa suite. L’apparente rigueur des termes est là pour introduire ses amis au véritable passage à un autre amour, une autre vie, un passage par la Croix. Un tel amour ne s’adresse pas seulement à Dieu mais il transfigure toutes les autres affections. Tout disciple véritable est appelé à une telle transformation de ses capacités d’aimer. Seul le Don de l’Esprit de Dieu lui permet d’accéder à cet agapé divin.

De sainte Pétronille nous savons presque tout de l’histoire du culte qui lui est rendu, mais presque rien de la façon dont s’est épanouie sa propre sainteté ; toute une tradition souligne son lien spirituel à saint Pierre
dont elle fut la fille très douce, filia dulcissima à en croire l’inscription de son sarcophage dans la Catacombe de Domitille. A défaut de pouvoir le faire chez Pétronille, c’est donc chez Pierre que nous pouvons admirer cette transformation de l’amour. Lorsqu’il a renié Jésus, Pierre a manifesté une peur compréhensible que ne soit mise en danger sa vie après l’arrestation de Jésus. Il avait ainsi pour sa propre existence un attachement bien naturel, commun à tous les hommes, mais qui l’a, à ce moment précis, rendu incapable d’assumer son amitié et son lien avec Jésus et d’en donner, au moins par ses paroles, le simple témoignage. La parole de Jésus entendue quelques heures auparavant va maintenant agir en lui comme un glaive: aujourd’hui, quand le coq chantera, tu m’auras renié trois fois. Il faudra le don de l’Esprit de Dieu promis par Jésus aux siens pour que Pierre devienne enfin capable de cet amour de Dieu qui se déploiera jusqu’à l’offrande de sa propre vie, à la suite du Maître divin.

Il nous est d’un grand réconfort de voir en celui qui a présidé aux destinées du Collège apostolique cette transfiguration de l’amour à laquelle tous les baptisés sont appelés pour ne pas rendre vain le Don qui leur a été fait dans le baptême et qui les conduit, au moment qu’ils ne peuvent prévoir, au choix de Dieu. Tant que la persécution des croyants en Israël ne s’exerçait pas, le choix de ne pas sacrifier aux idoles ne se posait pas aux sept frères de Judas Macchabée. Tant que Pierre accompagnait Jésus sur les routes de la Judée et de la Galilée, la question de se reconnaître son disciple ne se posait pas en termes dramatiques comme en cette soirée du reniement. Personne ne sait à quel moment il sera lui aussi dans sa vie personnelle, familiale, professionnelle, sociale, confronté à cette action en lui de l’Esprit Saint qui soumettra tous ses attachements naturels les plus légitimes à la lumière de l’amour divin. Nombreuses ont été les figures qui dans notre pays ont illustré ce choix coûteux et radical de la justice, de la fidélité aux exigences les plus profondes de sa conscience et ultimement au choix aimant de Dieu. Elles sont demeurées dans la mémoire des hommes. Nous en évoquerons un seul exemple: la figure humble et récemment honorée des bienheureux parents de sainte Thérèse de Lisieux, Louis et Zélie Martin, eux qui avaient fait le vœu de n’élever leurs neuf enfants qu’en vue du Royaume éternel, laissant leur amour de parents être littéralement transformé par le feu de l’amour divin. Nous leur demanderons de se joindre aujourd’hui à l’intercession de sainte Pétronille : que Dieu fasse de nous les témoins que Son amour désire; qu’il protège et bénisse notre pays bien-aimé. Amen

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ZENIT Staff

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