ROME, Mardi 13 mai 2008 (ZENIT.org) – La notion de communion est aujourd’hui une notion très importante dans la réflexion sur l’Eglise, mais aussi pour mieux vivre l’œcuménisme, affirme dans cet entretien le lauréat 2008 du prix Bellarmin en théologie.
C’est au début de la messe en l’honneur de saint Robert Bellarmin (célèbre théologien jésuite du XVIe siècle), présidée ce mardi par le cardinal Giovanni Lajolo, président du gouvernorat de l’Etat de la Cité du Vatican, que le prix Bellarmin en théologie a été décerné. Il récompense la meilleure thèse défendue au cours de l’année à l’Université pontificale grégorienne de Rome. C’est le père Denis Dupont-Fauville, du diocèse de Paris, qui en est le lauréat 2008, pour sa thèse intitulée : « Saint Hilaire de Poitiers, théologien de la communion ». Il dresse pour ZENIT un panorama de ses recherches et en décrit l’actualité.
ZENIT – Vous avez travaillé à partir des textes et réflexions de Saint Hilaire de Poitiers. Qui est ce Père de l’Église ?
P. Denis Dupont-Fauville – Saint Hilaire de Poitiers est un homme exceptionnel, qui est assez peu connu en France. Il était évêque de Poitiers au milieu du IVe siècle et a été l’un des seuls à résister à une grande hérésie qui s’appelle l’arianisme, que les empereurs romains de l’époque voulaient imposer. Il a résisté à l’empereur, un des seuls parmi les évêques, et il est célèbre parce que l’empereur l’a exilé en Turquie, et comme en Turquie il commençait à retourner l’opinion aussi en faveur de la foi catholique véritable, l’empereur l’a ramené en Gaule où il est mort quasiment chef de l’Église des Gaules, en réunissant des synodes à Lutèce, etc…
C’est chronologiquement le premier docteur de l’Église, on le sait peu, et il a écrit des ouvrages relativement nombreux que l’on peut classifier en trois catégories : des ouvrages d’historien, très minutieux, où il fait la chronique de tous les débats théologiques de son époque, avec tous les conciles, les synodes qui se réunissaient pour faire des définitions, etc… Il y a également des ouvrages plus de circonstance avec des lettres qu’il écrit, des hymnes qu’il a composés pour les fidèles… Et une troisième catégorie, qui est la plus importante sans doute, qui sont les ouvrages de commentaires d’Écriture et de réflexion sur la foi. Il y notamment un grand ouvrage sur la Trinité qui est très célèbre, un grand commentaire des psaumes, et aussi un commentaire sur l’Évangile selon saint Matthieu, qui est le premier commentaire en latin d’un Évangile que l’on ait en intégralité. C’est une figure un peu oubliée aujourd’hui, mais très importante dans l’histoire du dogme.
ZENIT – Et que dit saint Hilaire à propos de la communion ?
P. Denis Dupont-Fauville – La communion, c’est une notion dont on parle beaucoup aujourd’hui, que l’on met à toutes les sauces. L’objet de la thèse était de se dire : chez quelqu’un comme saint Hilaire, qui a une pensée très dense, qui dit beaucoup de choses à la fois, est-ce que cette notion est déjà présente, et comment ? Le résultat peut se résumer en deux points. Premièrement, saint Hilaire est le premier théologien de langue latine qui utilise le mot de communion dans un sens théologique, donc c’est la première fois qu’on parle de communion théologiquement dans le monde latin. La deuxième chose, c’est qu’il avait plusieurs mots pour exprimer ce concept, et il en emploie principalement un, qui est communio, pour désigner des réalités très différentes, comme la communion entre évêques, ce qui est très commun à l’époque, mais aussi la communion entre le Père, le Fils et le Saint Esprit, la communion entre chrétiens, la communion eucharistique à la messe, etc… Et pour désigner toutes ces réalités apparemment très différentes les unes des autres, il emploie le même mot, communio. Pourquoi, comment, c’est ce que la thèse essaie d’expliquer.
ZENIT – Quelle est l’importance de cette notion de communion au temps d’Hilaire ?
P. Denis Dupont-Fauville – Avant Hilaire, ce n’est pas tellement une notion théologique, c’est plutôt une notion disciplinaire. C’est-à-dire que le mot est employé par la Bible, par le Nouveau Testament avec un sens théologique, mais à l’époque d’Hilaire, c’est surtout un sens disciplinaire pour dire si on est en communion avec les autres évêques, quand on est en communion avec son propre évêque quand on est chrétien, et donc c’est plutôt quelque chose de réglementaire. Hilaire a redonné un contenu théologique à la notion de communion, et en fait ce contenu théologique est devenu le centre de la notion. Il a montré que c’est en réfléchissant d’abord sur les relations à l’intérieur de la Trinité, entre le Père, le Fils et le Saint Esprit, qu’on pouvait savoir ce qu’était la communion, avec des dimensions parfois paradoxales. À partir de la Trinité, on pouvait comprendre ensuite la communion qu’il était donné à l’Église de vivre et on pouvait comprendre ce qu’était la vie que les chrétiens devaient avoir entre eux et la façon dont le Christ leur communiquait le don qu’il est lui-même et qui est une communion.
ZENIT – Quelle est, aujourd’hui, dans le prolongement du concile Vatican II, l’importance de la communion pour une théologie ecclésiale ?
P. Denis Dupont-Fauville – Aujourd’hui, c’est une notion très importante, surtout dans la réflexion sur l’Église. Jean Paul II disait que cette notion était au cœur de la compréhension que l’Église a d’elle-même. C’est aussi une notion importante quand on réfléchit sur la Trinité ou sur la christologie. Après Vatican II, il devient plus clair que les Églises ont à vivre une communion qui n’est pas une uniformité mais où tous doivent s’accueillir les uns les autres, ce qui ne peut se vivre qu’en s’accueillant de Dieu qui est lui-même communion. Cela manifeste le lien entre la vie de l’Église et la vie divine elle-même. Et cela rejoint des concepts orientaux, par exemple le concept de sobornost chez les orthodoxes, où l’on parle beaucoup de communion, de collégialité. Finalement, ces notions qui sont parties de milieux différents convergent aujourd’hui sous l’appellation globale de communion.
ZENIT – On cherche aujourd’hui à fonder les bases de notre foi. La patristique peut-elle nous aider à retrouver ces bases ?
P. Denis Dupont-Fauville – Oui, pour au moins trois raisons. D’abord parce que les Pères sont proches de l’origine. Leur préoccupation n’est pas de construire des systèmes intellectuels, mais de rendre compte d’une vie, où tout est proche de Jésus. Du coup, ça amène un deuxième caractère, qui est que les différents éléments de la foi sont liés entre eux, de façon organique. Troisième élément, cette vie affecte toute l’Église de leur époque, avant les divisions actuelles. Et ils s’enrichissent mutuellement entre Orient et Occident. Il est très frappant que, quand Hilaire de Poitiers a été exilé en Turquie, il ne connaissait pas les débats théologiques du monde grec. Quand il est revenu, il parlait grec ; il a traduit les documents grecs pour les évêques gaulois, il a constitué un pont entre l’univers latin et l’univers grec, ce qui fait qu’il est vénéré aussi par l’Église d’Orient. Et en ce sens, ce type de Père de l’Église peut nous aider à retrouver des liens entre les diverses parties de la chrétienté.
ZENIT – Comment le concept de communion peut aider à mieux vivre l’œcuménisme aujourd’hui ?
P. Denis Dupont-Fauville – De plusieurs manières. Il y aurait des manières théologiques « techniques », que l’on pourrait détailler. Mais je dirais que le plus important, c’est de considérer nos frères non pas d’abord comme des gens avec lesquels nous devons nous accommoder, ou avec lesquels
trouver une organisation qui soit à peu près possible, mais comme des dons de Dieu. Ce sont des dons que Dieu nous fait et nous sommes aussi des dons de Dieu pour nos frères. Quand nous les accueillons de cette manière-là, il n’y a pas d’abord des choses à organiser, des choses à admettre ou des choses à concéder, mais il y a une découverte mutuelle à faire, et ça c’est la charité, c’est la vie de l’Église.
ZENIT – La recherche de communion dans nos communautés n’est-elle pas, aujourd’hui, parfois un peu fade vis-à-vis de celle des premiers chrétiens ou des chrétiens du temps d’Hilaire ?
P. Denis Dupont-Fauville – Oui, bien sûr, parce que c’est devenu un mot un peu passe partout : communion, on ne sait plus trop bien ce que ça veut dire. Ce qui est frappant à l’époque d’Hilaire, c’est que d’une part il y a de grands affrontements entre les différentes théologies, l’arianisme et l’orthodoxie. Donc les gens se battent beaucoup pour préserver ou pour reconquérir la communion. Pour eux c’est un enjeu très important. Et puis d’autre part, c’est une notion qui à leur époque était très complexe déjà du point de vue rhétorique, grammatical, du point de vue du sens profane, et comme nos théologiens étaient des hommes cultivés, ils ont récupéré tous les sens, toutes les harmoniques de cette notion pour les intégrer théologiquement. Du coup ça n’est pas encore une notion passe partout, mais au contraire c’est une notion complexe qui a une puissance d’intégration absolument phénoménale d’un point de vue conceptuel, et qui a des conséquences pratiques très fortes puisque toutes les Églises, à l’époque, sont à la recherche de la communion.
Propos recueillis par Stéphane Lemessin