ROME, Vendredi, 1er février 2008 (ZENIT.org) – Vers où se dirige l’Europe ? Qu’en sera-t-il des racines chrétiennes ? L’Europe survivra-t-elle à la chute démographique et à la crise morale qui la tenaille ? Parviendra-t-elle à renouveler et à nourrir l’espoir pour les nouvelles générations ? De quelle façon parviendra-t-elle à intégrer les divers et nombreux flux migratoires ?
Telles sont quelques unes des questions que ZENIT a posées à Mario Mauro, vice-président du Parlement européen, professeur d’histoire des Institutions européennes et auteur du livre Il Dio dell’Europa (« Le Dieu de l’Europe » publié aux éd. Ares).
Zenit – Où en sommes-nous avec la Constitution européenne? Y a-t-il des possibilités pour que les racines chrétiennes soient reconnues ?
M. Mauro – Bien qu’il reste encore quelques points à compléter et malgré de modestes progrès concernant le processus décisionnel, nous pouvons affirmer, au lendemain de la signature du nouveau Traité sur l’Union européenne, que le caractère démocratique de l’Union aura assurément grandi.
L’organe législatif et représentatif par excellence, celui qui dans tous les Etats nationaux dispose d’une compétence exclusive (ou presque) en matière de décision législative, soit le Parlement européen, et avec lui les citoyens européens, peut se dire le grand vainqueur du Traité de Réforme.
Un traité qui n’a plus un caractère constitutionnel, mais qui conserve d’importants moyens d’action en terme de légitimité démocratique, d’efficacité et de renforcement des droits des citoyens (à quelques exceptions près en ce qui concerne le Royaume Uni et d’autres Etats membres) : un des premiers articles du Traité de l’Union européenne (UE) définit clairement les valeurs sur lesquelles se fonde l’Union européenne, un autre article en énonce les objectifs. Le document n’ayant plus de valeur constitutionnelle, l’absence d’un renvoi aux racines chrétiennes a moins de poids et la partie peut se reconsidérer ouverte.
Zenit – Vous êtes l’auteur d’un livre intitulé Le Dieu de l’Europe, pouvez-vous nous dire quelles sont vos conclusions ? En quoi l’Europe croit-elle aujourd’hui ?
M. Mauro – Ce livre naît dans le but de proposer une méthode, une clef de lecture, qui permette une meilleure compréhension du projet politique européen et qui puisse donc nous aider à répondre à des questions vitales pour l’avenir de notre continent. Y a-t-il un fil conducteur de l’histoire européenne que l’on puisse relier aux décisions historiques de Gasperi, Adenauer et Schuman ? L’Europe d’aujourd’hui répond-t-elle encore au projet des pères fondateurs ? Comment est-il possible de reprendre en main et de clarifier des questions de base, concernant le peuple européen et ses aspirations ? Que manque-t-il aujourd’hui dans le « souffle européen » ? Pourquoi, malgré les rejets de la Constitution européenne, a-t-on l’impression que personne ne veut affronter avec décision le problème clef de l’identité européenne ? Quels sont les espaces disponibles pour le protagoniste de la société civile européenne ? Existe-t-il une reconnaissance réelle et concrète de la subsidiarité au niveau européen ?
Benoît XVI rappelle comment les grands dangers contemporains de coexistence entre les hommes arrivent du fondamentalisme, la prétention d’utiliser Dieu comme prétexte pour réaliser un projet de pouvoir, et du relativisme, qui consiste à penser que toutes les opinions sont vraies de la même manière. L’involution de ce projet politique que nous appelons Union européenne est aujourd’hui reconductible à ces mêmes facteurs.
Le problème de l’Europe naît du fait que le rapport entre raison et politique est d’une certaine manière détourné de la notion même de vérité. Le compromis qui, à juste titre, est présenté comme le sens de la vie politique même, est aujourd’hui conçu comme une fin en soi.
C’est pourquoi nous avons choisi de mettre en marche les principales politiques de l’Union européenne, en utilisant comme fil conducteur les intuitions des pères fondateurs et la promotion de la dignité humaine inhérente dans l’expérience chrétienne. La situation d’impasse dans laquelle navigue l’Europe doit nous conduire à une profonde réflexion.
Au delà de sa capacité d’aboutir à un bon accord sur le budget, le vieux continent est en train de perdre son horizon, sa dimension propre. Après l’époque du chancelier Kohl, l’Europe a été dominée par des politiciens qui n’ont pas eu le courage nécessaire pour construire de nouveaux lendemains, ni la force de croire encore à cette construction politique que les pères fondateurs ont créée il y a plus de cinquante ans. Une génération de politiciens qui se sont fait l’idée d’une Europe rejetée par les referendum français et hollandais, qui a fait que l’intégration toujours plus restreinte est devenue une valeur en soi.
Zenit – Actuellement l’Union européenne enregistre un avortement toutes les 25 secondes et une séparation familiale toutes les trente secondes. Malgré la grave crise démographique, il semble prévaloir au sein du Parlement européen une culture proposant des formes de famille qui sont une alternative à la forme naturelle de la famille, mariages homosexuels, pilules contraceptives et euthanasie, tandis que des pays comme la Pologne où le nombre des avortements est en diminution, sont critiqués. Ne pensez-vous pas que continuer à suivre un modèle culturel malthusien marquera la décadence de l’Europe ?
M. Mauro – Absolument, et c’est le plus gros danger que court aujourd’hui notre continent. La décadence de notre continent est avant tout le résultat d’une crise de notre identité de peuple européen.
A ce propos, je pense que le récent discours du pape aux ambassadeurs accrédités près le Saint-Siège, où Benoît XVI souhaite que le moratoire approuvé par l’Onu sur la peinte de mort « puisse stimuler le débat public sur le caractère sacré de la vie », constitue le cœur du débat sur l’avenir de l’Europe.
Sur la base de mon expérience, je pense que les cinq nœuds autour desquels se joue l’avenir de l’Europe sont la crise démographique, l’immigration, l’élargissement, la stratégie de Lisbonne et la politique étrangère. Des nœuds qui sont étroitement liés entre eux par un dénominateur commun : l’identité de l’Europe. Sans une idée précise de son identité, l’Europe ne pourra faire aucun pas en avant par rapport à ces cinq défis.
Nous courrons le risque que la réponse à la crise démographique soit purement idéologique, qu’elle favorise des actions de stratégie sociale. L’Union européenne ne peut ignorer le facteur culturel dans l’incidence sur les taux de fertilité, autrement dit les convictions personnelles qui sont pour une ouverture à la vie.
Zenit – Mais si l’on sort des méandres de la politique de Bruxelles et de Strasbourg, on a l’impression de voir apparaître chez les nouvelles générations une culture optimiste et en faveur de la vie. A Londres a eu lieu une manifestation contre l’avortement. A Madrid les familles sont descendues dans les rues. Le 20 janvier à Paris s’est déroulée une manifestation européenne en faveur de la vie. Avant Noël, à Strasbourg, les mouvements européens pour la vie se sont réunis et veulent recueillir dix millions de signatures pour demander au Parlement européen la reconnaissance de la personne dès sa conception jusqu’à sa mort naturelle. 40 ans après 1968, c’est signe que les temps changent d’après vous ?
M. Mauro – Depuis de longues années, surtout par le biais des moyens de communication les plus puissants et les plus persuasifs, et à cause de la plupart des coalitions politiques en Europe, se répandent des idées sur la famille quelque peu déformées et dévi
antes qui ne contribuent absolument pas à aider la société civile. Elles ne la rendent absolument pas libre, mais la vident plutôt de toute sa certitude quant à sa propre vie.
Dans ce contexte alarmant, les manifestations et initiatives en faveur de la vie et de la famille traditionnelle, qui créent un consensus toujours plus grand en Europe, sont le signe évident qu’il existe encore des personnes qui croient, et qui sont disposées à lutter pour cela, dans le respect de la dignité et du caractère sacré de la vie humaine ; à lutter pour une vie qui dès sa conception puisse s’accomplir pleinement, à travers sa naissance, durant sa croissance, à travers le mariage, la procréation et sa mort naturelle.
Je pense qu’à une époque comme la nôtre, dominée par l’incertitude, plus les bouleversements du scénario international et les provocations des gouvernements, des partis et des mouvements dans leur propre pays seront forts, plus il y aura de personnes qui se rebelleront et descendront dans la rue pour réclamer le respect de la vie, sa stabilité.
Mais ce défi, avant même d’être politique, se joue au niveau éducatif et culturel, qui part de la conception même de la vie et de la personne et de l’honnêteté intellectuelle à laquelle on est confronté. Malgré la résistance de positions à forte tendance idéologique, la disponibilité à la confrontation grandit, à partir d’éléments rationnels plutôt qu’à partir de réactions de type émotif.
Et ceci, au niveau européen, on le voit aussi bien chez certains politiciens que dans l’opinion publique. A part certaines attitudes a priori fermées et vouées à l’opposition ou à la diabolisation de l’adversaire, une nouvelle disponibilité à la confrontation est en train de voir le jour, qui est due à une sensibilité croissante en matière de dignité à l’égard de la vie et aux constats que la science fournit.
Comme l’a déclaré récemment le président de la Conférence épiscopale italienne, le cardinal Bagnasco, il faut que les lois s’adaptent à l’état des connaissances, qui changent avec le temps, en particulier dans le domaine de la bioéthique. Et c’est pourquoi j’ai présenté, avec d’autres confrères, une interrogation écrite à la Commission européenne à propos du financement de la recherche sur les cellules souches dans laquelle nous demandons « d’évaluer à la lumière des récentes découvertes scientifiques réalisées par des chercheurs japonais s’il est encore nécessaire de donner suite à des recherches qui détruisent les embryons, en destinant des fonds à des projets pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires qui détruisent les embryons humains ».
Propos recueillis par Antonio Gaspari
[Fin de la première partie]