Rencontre internationale des hospitaliers à Lourdes : Homélie du card. Cordes

Sur le thème de la réconciliation et de la paix

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ROME, Dimanche 9 décembre 2007 (ZENIT.org) – Dans le cadre de la rencontre internationale des hospitaliers sur le thème « Bénévoles au service des autres », qui s’est ouverte à Lourdes le 7 décembre, le cardinal Paul Josef Cordes, président du Conseil pontifical « Cor unum » a prononcé une homélie sur le thème : « Réconciliation et paix », dont nous reprenons ci-dessous le texte intégral.

  

« La réconciliation et la paix sont aujourd’hui très prisées chez les hommes de bonne volonté, et cela de manière unanime. Les horreurs de la guerre ont apporté et apportent encore tant de souffrances aux hommes et aux peuples que chacun de nos contemporain se range spontanément dans le camp des pacifistes. Les instituts se consacrant aux recherches sur la paix sont aidées financièrement par les états et la société de manière remarquable. Nous suivons avec beaucoup d’intérêt les efforts de l’ONU, en matière de détente, et le prix Nobel de la paix jouit universellement du plus grand prestige.

C’est ainsi qu’aujourd’hui la Béatitude biblique la plus populaire est certainement cette louange adressée à ceux qui savent pardonner à leurs ennemis : «Heureux ceux qui font régner la paix» (Mt 5, 9), comme dit le Christ dans le Sermon sur la Montagne. L’Histoire Sainte, traversant l’Ancien et le Nouveau Testament, fait de cette aspiration aux rapports harmonieux et paisibles, un trait dominant du Peuple élu. A propos du roi David, il est dit que, sous son règne, le peuple vivait en paix ( voir 1 Chr 22,9). Son fils Salomon comporte cette notion de « paix » (Shalom) au sein même de son nom. Et l’évangéliste Luc présente l’Enfant nouveau né en face de l’empereur Auguste, qui se prétendait « le pacificateur de l’univers ».

Bien sûr on ne peut nier que cette insatiable aspiration de l’humanité vers la réconciliation et la paix ne se perde n’aboutisse souvent à rien du tout. Tant d’interventions d’hommes politiques ne dépassent pas le niveau des bonnes intentions, des milliers de voix proclament que l’homme doit être capable, par se propres efforts, de construire la paix. Ce sont des circonstances contraires qui font tout échouer. Pour réussir, il suffit de changer son comportement extérieur. Jean-Jacques Rousseau a convaincu tout le monde que l’homme est bon. C’est la société qui est la cause du mal, dit Karl Marx. Frédéric Nietzsche se moque des méfaits de l’introspection : « J’ai fait çà, me dit ma mémoire. Je ne peux pas avoir fait çà, me dit ma fierté. A la fin, la mémoire finit par céder. » Enfin Sigmund Freud explique le caractère illusoire, chez l’homme, de la culpabilité. Ainsi, les « Pères fondateurs de la Modernité » considèrent comme un mythe la mauvaise conscience, et réussissent à nous décourager et nous déstabiliser.

Il ne fait pas de doute que ces hommes ont apporté des vues intéressantes sur l’homme et nos responsabilités en ce qui concerne la paix. Bien sûr, il travaille pour la paix, celui qui tend volontairement la main à son frère ou sa sœur. Bien sûr, une manière droite et juste de vivre ensemble, dans la vie quotidienne, favorise le pardon. Le fait de se tourner vers Dieu ne remplace pas la réconciliation entre les hommes, la recherche d’un nouveau départ, une humble demande de pardon à son prochain. Mais les prophètes de la Modernité, en conditionnant totalement les hommes, ont détruit la réalité du mal moral et la conscience de la faute. Ils ont enveloppé le péché dans des considérations psychopathologiques, l’ont réduit à une résultante biologique. Les thèses de ces nouveaux prédicateurs nous égarent tous encore aujourd’hui et nous donnent le vertige. Blaise Pascal disaient d’eux sévèrement, en faisant allusion à l’ancienne liturgie : «Ecce, patres, qui tollunt peccata mundi : les voilà, les pères, qui enlèvent les péchés du monde !».

C’est tout autre chose que l’apôtre Paul a enseigné. Dans sa deuxième lettre aux Corinthiens, il fait appel à la conscience, en révélant les profondeurs du drame sous-jacent à la paix : « C’est Dieu qui dans le Christ se réconciliait le monde… et qui a mis sur nos lèvres le message de réconciliation…. Nous vous en supplions au nom du Christ : réconciliez-vous avec Dieu ! » (2 Co 5, 19). La racine des dissensions entre les hommes est le désaccord de l’homme avec Dieu. Voilà ce qui empoisonne les relations entre les hommes ! C’est seulement quand l’homme se laisse saisir par Dieu que la paix peut advenir dans le monde. «Seul l’homme réconcilié avec Dieu peut se réconcilier aussi avec lui-même et entrer dans l’harmonie, et seul l’homme réconcilié avec Dieu et lui-même peut faire régner la paix autour de lui et dans le vaste monde». Déjà au moment de la naissance de Jésus, les anges annoncent que la paix correspond au désir divin et que les hommes en deviennent responsables. Mais cette paix dépend du bon vouloir de Dieu (Lc 2, 14).

A l’occasion de la Seconde rencontre des hospitaliers, le thème de la Réconciliation a été proposé. La Sainte Ecriture et, aussi, notre expérience nous mettent en garde contre le fait de rayer simplement d’un trait de plume un tel sujet, de même que la tentation de dire : «Oublions tout cela ! N’en parlons plus !». Avec de tels conseils, on construit des solutions illusoires, parfaitement fragiles. Chacun a sa part dans ce mur qui le sépare des autre humains ; cette part doit être dégagée : mon éloignement, mon aversion, ma haine doivent être reconnues et avouées. Le contester reviendrait à faire naître entre les hommes un climat de mensonge. Un tel refus de la confession aurait, en face de Dieu, un effet dévastateur. L’Ecriture nous dit : Si nous nous prétendons sans péché, nous nous trompons nous-mêmes (1 Jn 1, 8).

Quand on jette un œil sur les perspectives bibliques, on voit bien, dans les trois étapes de la naissance de l’Eglise, qu’il s’agit chaque fois du pardon des péchés. Quand le Seigneur remet à Pierre, le Rocher, la clé du Royaume et le pouvoir de lier et de délier, il lui donne ainsi la charge de ramener, de faire revenir, de pardonner. (Mt 16, 19). Le Seigneur montre la même chose, à l’occasion de son dernier Repas, à cette société nouvelle, invitée à devenir en vérité son Corps, par le don de son Corps. Cela sera rendu possible parce que le Seigneur répand son Sang, ce Sang répandu pour une multitudes, en vue de la rémission des péchés (Mt 26, 28). En troisième lieu, le Ressuscité rencontre pour la première fois les Onze et leur parle de paix, en leur donnant le pouvoir de pardonner les péchés. (Jn 20, 19-23)

La réconciliation n’est donc pas fictive, avec Dieu, ce n’est pas une pieuse exhortation. Ceci nous montre avec force la manière dont Jésus traite les pécheurs : le pardon des péchés n’est pas une simulation, à base d’un simple oubli, ni une banalisation du mal. Il libère d’un poids insupportable. Il suffit de se rappeler comment le père de l’enfant prodigue, ouvre les bras à son fils, ou comment Jésus permet à Pierre, qui vient de le renier, de libérer ses larmes. Cela permet à l’homme d’avoir une idée de la grâce et de l’importance du pardon pour Dieu. Le cardinal Ratzinger cherchait, il y a quelques années, à l’occasion d’un rapport sur le renouveau de la vie ecclésiale, les raisons de la crise spirituelle. On peut les trouver, écrivait-il, dans l’affaiblissement de cette grâce du pardon. On veut une société meilleure, on veut une morale plus solide, un homme nouveau… mais on méconnaît le péché, on ne le voit pas comme s’opposant à Dieu, on ferme ses oreilles aux appels à la conversion venus de la Bible.

Chers frères et sœurs, ces jours-ci commencent, dans ce célèbre Sanctuaire de Notre Dame, source de tant de grâces, le 150ème anniversair
e des Apparitions. Vous êtes tous venus pour demander au Seigneur cette aide aux malheureux, spécialement aux malades, aide qu’il donne par les mains de Marie. Vous voulez assister tout particulièrement ceux qui, sur le plan corporel ou spirituel, ont besoin d’être secourus. Ces besoins profonds de l’âme et du corps invitent à se rendre à Lourdes. Vous faites bien de venir en aide à ceux qui souffrent : nous ne pouvons sous-estimer cette souffrance qui, en dépit des efforts des médecins, affectent tant de corps et d’âmes.

Peut-être me permettez-vous un petit exemple personnel : il y a quelques années, à l’époque du communisme, je visitais en Pologne ce sanctuaire marial si connu de Czestochowa. J’ai été impressionné par la piété profonde des pèlerins que j’ai rencontrés, je me suis absorbé moi-même dans une silencieuse contemplation, devant la Mère de Dieu à qui j’ai remis tous mes soucis. Un peu plus tard, une question s’est posée à moi : j’avais fait aussi l’expérience de Lourdes ; comment comparer Czestochowa et Lourdes ? Je m’adressai à l’évêque auxiliaire polonais, Mgr Musiel, une homme sage, connu pour sa lutte dans la défense de la foi. Peu de pasteurs de l’Eglise polonaise avaient été, aussi souvent que lui, inquiétés, par les autorités communistes. Je lui demandais donc si les aspirations et les espérances des pèlerins de Czestochowa différaient de celles des pèlerins de Lourdes. Sa réponse : «Nous n’attendons pas de miracle». Tout d’abord, je suis resté perplexe. Ensuite, j’ai mieux compris : il n’y avait là aucun manque de confiance comme si Dieu ne tenait pas notre destin dans sa main, il s’agissait simplement d’une forme supérieure de foi : être prêt à accepter la volonté de Dieu, comme il voulait. Cependant, vu la faiblesse de cette foi, nous avons besoin de l’aide de la Mère de Dieu. Nous devons, pour perfectionner notre foi, nous rendre à Lourdes, et, étant donnée notre impuissance de petit enfant, lui demander son appui. Je dois vous avouer, malgré tout, même si mon peu de foi me fait un peu rougir, que, plus tard, dans des problèmes de santé sérieux, j’ai supplié la Mère de Dieu de venir à mon aide, ce n’était pas à Czestochowa, mais à Lourdes.

A côté de cette puissance de guérison divine, il y a le premier message que sainte Bernadette a été chargée par la Vierge Marie de porter à l’Eglise : c’est l’appel de Marie : «Priez pour les pécheurs !». La belle Dame insiste sur le fait que le péché est à la racine de tout mal. Elle fait manger de l’herbe à Bernadette, acte de pénitence «pour la conversion des pécheurs». On ne peut imaginer Lourdes sans le sacrement de la Réconciliation, pour tous les pèlerins et aussi les hospitaliers. Il y a quelques années, des prêtres de mon diocèse d’origine m’ont invité à venir à Lourdes avec eux. Ils m’ont convaincu par leur expérience : «Les deux tiers des pèlerins, au moins, vont se confesser pendant le pèlerinage». Les chapelains aussi, tout en sauvegardant le secret de la confession, m’ont fait part de leur émotion à la suite de leur expérience de confesseur. Il ne faut donc pas passer sous silence la vérité de la Réconciliation à une époque qui semble oublier ce sacrement. Les paroissiens d’une paroisse italienne, le mois dernier, voulaient renvoyer leur nouveau curé, dans une petite ville, parce qu’il se refusait à pratiquer l’absolution générale, comme son prédécesseur, une absolution dépréciée.

On pourrait faire appel, en face d’eux, à cette plainte, formulée par un protestant célèbre, Adolf von Harnack, fort mal disposé vis à vis des catholique mais fort clairvoyant, en ce qui concerne la grâce de la confession : il écrit : «Nous donnons à nos enfants une éducation qui les amène à reconnaître oralement leurs fautes et leurs péchés. De même, nous nous efforçons, dans nos prisons, d’obtenir des aveux de la part des criminels. Mais, en parlant des enfants et des prisonniers, nous avons perdu le sens de la bénédiction attachée à la reconnaissance des péchés. C’est pourquoi nous avons pris l’habitude d’un aveu général des fautes, en bloc. Ellels nous deviennent ainsi faciles à porter, si faciles que cela est bien vu dans l’Eglise, à l’occasion d’une réunion où l’on va discuter d’un point important, de faire précéder la chose par une sorte d’aveu général des péchés. Curieuse et lamentable confusion».

Comment les chrétiens peuvent-ils, sans l’expérience de la confession, vivre une vraie libération, qui procure un regard franc et profond sur soi-même, sans complaisance ? Peuvent-ils prétendre connaître cette joie éprouvée par l’enfant prodigue dans les bras de son père ? Celui qui fait peu de cas de la confession, dans son chemin de foi, se prive d’une aide très précieuse ; il se prive d’une étreinte bouleversante, comme celle que le Sauveur, pour moi, assoiffé de salut, a préparée, dans une rencontre toute personnelle.

Zachée a dû expérimenter cette proximité très concrète du Seigneur, d’après le récit de Luc que nous lisons aujourd’hui, et il a profité de l’occasion pour confesser ses fautes. Nous devrions, dans cette Eucharistie, avec lui nous mettre intérieurement en chemin. Au premier abord, il se présente comme poussé par un vague désir de voir le Seigneur. Jésus ne lui est plus indifférent. D’une certaine manière, il l’a abordé. Voici un élément essentiel dans notre cheminement de foi, que nous abandonnions une piété routinière, paresseuse. Il s’agit de rencontrer une personne qui parle à notre cœur, qui suscite notre intérêt, nous fascine, à qui nous proposons notre amitié et notre amour. Pour Zachée, son désir d’approcher le Seigneur comporte une espérance, celle de voir ce mur de fautes, d’erreurs et de péchés, tomber, grâce à Jésus. Son désir le rend inébranlable : il ne s’arrête pas au fait que sa petite taille lui donne peu de chances de voir le Seigneur. Il monte sur un sycomore, avec ses branches couvertes de feuilles, solides. Il pouvait s’y cacher. Mais Jésus, depuis longtemps avait perçu l’ardeur de Zachée. Il regarde, comme dit l’Evangile, vers le haut. Il connaît le désir du cœur du publicain, comme il connaît toutes nos souffrances à propos de notre imperfection et notre égoïsme. Avec l’appel de Jésus : « Descends vite ! » ce pécheur notoire entre pleinement dans la lumière du Seigneur. Il se montre tel qu’il est, reconnaît ses fautes ouvertement. Il s’engage à changer, en allant au-delà de ce que la loi juive exigeait : le don de la moitié de sa fortune ; le remboursement de ses abus criminels.

Et il est plein de joie, c’est clair. Lui, l’ennemi du peuple, le parasite d’Israël, qui, aux yeux des gens, n’avait pas la moindre chance d’obtenir la bienveillance divine. Maintenant, grâce à cette rencontre avec Jésus et grâce à l’aveu de ses fautes, il reçoit la grâce du salut ».

Cardinal Paul Josef Cordes, président du Conseil pontifical « Cor Unum »,
à Lourdes,  vendredi 7 décembre 2007

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ZENIT Staff

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