ROME, Jeudi 6 décembre 2007 (ZENIT.org) – On se souvient que pour le Chemin de Croix du Vendredi Saint 2001, Jean-Paul II avait choisi les méditations de John Henry Newman (1801-1890). Le 9 octobre 2005 a correspondu au cent soixantième anniversaire de la conversion de Newman. Aujourd’hui, l’éditeur de Newman (éditions Ad Solem) évoque l’actualité du cardinal anglais dont la « rencontre » a été décisive pour son adhésion au catholicisme, il y a vingt ans. Voici le deuxième volet de cet entretien (cf. Zenit du 5 décembre 2007 pour le premier). Newman est un grand « connu méconnu », explique Grégory Solari : « J’ai essayé de dire des choses nouvelles, ou ignorées ».
Zenit – Newman entre dans l’Eglise en 1845. C’est un homme mûr, un universitaire brillant. A 45 ans, il quitte tout, sans savoir ce qu’il rencontrera. A quoi va ressembler sa vie ?
G. Solari – A son retour de Rome, où il avait fait son noviciat dans la communauté religieuse fondée par saint Philippe Néri, Newman fonda deux Oratoires. Le premier à Londres, qu’il quitta rapidement en raison de ses divergences avec Faber, un autre converti, le second dans la banlieue industrielle de Birmingham, dans le nord ouest de l’Angleterre. A part un séjour à Dublin, où il se rendit pour fonder une université catholique à la demande des évêques d’Irlande, il demeura à Birmingham jusqu’à la fin de sa vie.
Le contraste entre la période anglicane (1801-1845) et la période catholique (1845-1890) de sa vie est saisissant. Durant la première, il y a Oxford, la vie universitaire, le mouvement de réforme de l’Eglise ; Newman est écouté, on se presse à ses sermons, sa renommée gagne l’Angleterre entière. Au cri de « credo in Newmanum », les jeunes étudiants d’Oxford font front avec lui pour réveiller l’ardeur spirituelle d’un establishment anglican trop confortablement installé dans sa tiédeur. Dans la deuxième partie de sa vie, il y a Birmingham, la vie ouvrière d’une ville anglaise plongée dans la révolution industrielle.
C’est dans ce cadre que Newman va mettre au service de ses paroissiens ses dons d’éducateur et de pasteur d’âme. Outre l’épisode de l’université catholique de Dublin, son activité se partage principalement entre l’école primaire qu’il a fondé très peu de temps après l’établissement de la communauté de l’Oratoire (et qui comptera plus tard parmi ses élèves un certain JRR Tolkien) et son apostolat auprès de la population catholique, formée en majorité d’Irlandais venus chercher du travail en Angleterre. Newman les accueille, souvent les soutient financièrement, cherche un logement pour eux. Là encore, il n’y pas de rupture avec la période anglicane, du moins la dernière, celle de Littlemore.
Après avoir abandonné toutes ses charges dans l’Eglise d’Angleterre, Newman s’était installé dans ce village proche d’Oxford et y vivait une existence quasi monastique avec d’autres membres du Mouvement d’Oxford. Il y avait construit une petite église paroissiale et ouvert une école, primaire elle aussi. Newman était très attaché à Littlemore et à sa population. Lorsqu’il se convertit, peu avant de quitter son village d’adoption, il offrit un tablier tout neuf à chacun des élèves de l’école, qui étaient issus en majorité de familles très pauvres de la campagne oxonienne.
L’on a beaucoup insisté sur le Newman universitaire, l’intellectuel brillant. Trop, je crois. Anglican ou catholique, Newman était d’abord un homme d’une très grande finesse, d’esprit et de cœur, ce qui le rendait capable de ces gestes envers les pauvres où transparaît la vraie grandeur de l’âme. Il savait d’ailleurs lui-même le mépris ou la commisération que pouvait attirer une pauvreté apparente. Il en a fait l’expérience à Londres, vers la fin de sa vie, un jour où il entrait dans la cathédrale anglicane St George à l’heure des vêpres. Un huissier l’éconduisit immédiatement : sa soutane usée, la pauvreté de ses habits ecclésiastiques l’avaient fait prendre pour un miséreux, indigne d’un tel lieu…
Zenit – On vient d’assister au consistoire. Comment Newman est-il devenu cardinal ?
G. Solari –
L’exemple lui en avait été donné non dans le milieu universitaire d’Oxford, mais en Irlande, un jour où il avait croisé un jeune garçon en promenade. Ils avaient échangé quelques mots, et Newman avait été impressionné par l’intelligence à la fois très simple et très sûre que ce garçon avait de sa foi. Il voulait mettre en lumière les présupposés à la fois philosophique et existentiel qui accompagnaient, souvent même inconsciemment, l’acte de foi. Face aux défis que Newman voyait se profiler à l’horizon, la « foi du charbonnier » ne suffisait plus. Ses grands livres de la période catholique, en particulier les conférences sur la nature et la finalité de l’Université (réunies dans L’Idée d’université) et la Grammaire de l’assentiment, ont tous pour souci de défendre les conditions de possibilité de l’acte de foi, qui était pour lui la perle, le trésor à garder à tout prix. Mais là encore, ce sont les simples, c’est la foi des simples que Newman veut défendre, en faisant servir à cette fin toute sa science, toute son érudition, qui était immenses. C’est cela que Léon XIII a voulu couronner.
En même temps, il relevait l’honneur de Newman, car c’est peu dire qu’il fut incompris dans l’Eglise qui l’accueillit. Hormis la confiance de Mgr Ullathorne, l’évêque de Birmingham, Newman trouva peu d’appuis chez les catholiques anglais. L’ancien leader du Mouvement d’Oxford faisait peur. Son idée d’un « laïcat éclairé » paraissait suspecte, alors. D’un évêque irlandais devant qui il exposait son projet d’université catholique à Dublin, Newman s’entendit dire : « Les laïcs ? Quelle importance ? » – « Well, your Highness, the Church would look like rather foolish without them », lui lança-t-il, furieux – « Eh bien, Excellence, l’Eglise aurait l’air fin sans eux ».
A cette méfiance larvée s’ajoutèrent des malentendus, des vexations de la part d’autres convertis du Mouvement d’Oxford, qui faisaient remonter à Rome de fausses rumeurs sur Newman. Beaucoup s’en émurent parmi ses proches, notamment le duc de Norfolk, à qui Newman avait adressé une grande lettre défendant le dogme de l’infaillibilité pontificale défini par le concile Vatican I. Dès que Léon XIII fut élu, le duc de Norfolk lui demanda audience et sollicita de sa part un geste en faveur de Newman – « et pour l’Angleterre », ajouta-t-il. Le pape avait cependant devancé une telle demande: Newman fit partie du groupe des premiers cardinaux créés par Léon XIII. Fair play, les anglicans emboîtèrent le pas : Newman, qui avait obtenu l’autorisation de résider en Angleterre, fut nommé « Fellow honoraire » de Trinity College, son collège de jeunesse à Oxford. Il revit enfin sa ville, après des décennies d’absence.
Il vécut les onze ans qui suivirent avec le sentiment intérieur d’avoir accompli son œuvre. Et non sans attirer une certaine curiosité… Un jour, à Birmingham, Newman reçut la visite de sa sœur, Jemima, demeurée anglicane, accompagnée d’un de ses petits-fils. Au jeune garçon, il avait été recommandé de ne pas questionner le vénérable vieil homme. Le garçon regardait ce vieux monsieur habillé d’une longue robe noire filetée de rouge. Newman devina qu’une question lui brûlait le
s lèvres et l’invita à parler. Le petit homme demanda : « Qu’est-ce donc qui est plus grand, un cardinal ou un saint ? » Newman sourit et lui répondit sur le ton de la confidence : «Mon petit, un cardinal est de la terre, terrestre ; un saint est du ciel, céleste. »
Propos recueillis par Anita S. Bourdin
(à suivre)