La vie consacrée a-t-elle encore un avenir ?

Entretien avec le card. Rodé, préfet de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée

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ROME, Dimanche 11 novembre 2007 (ZENIT.org) – Le grand défi de la vie consacrée, aujourd’hui est « la sécularisation ‘intérieure’ ». « Il faut que les communautés religieuses retournent aux sources du charisme de fondation et aux valeurs évangéliques. Il faut redonner sa place centrale à la prière, à la vie commune, à la pauvreté, à la chasteté, à l’obéissance », affirme le cardinal Franc Rodé, préfet de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique.

Nous reprenons ci-dessous l’entretien que le cardinal slovène a accordé le 8 novembre à L’Osservatore Romano.

Q – Vous avez été appelé en février 2004 à la tête du dicastère vatican pour la vie consacrée. Comment décririez-vous l’expérience de ces trois années et demie ?

Card. Rodé – Ce que je vais dire semblera peut-être singulier, mais ce qui constitue le secret authentique du travail mené à la Congrégation — tout comme de toute la structure qui administre le droit dans l’Eglise — est le respect de la liberté et de la dignité de toute personne humaine.

Q – Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

Card. Rodé – On pourrait penser que notre relation avec les congrégations religieuses serait de type vertical ou autoritaire. En réalité, nous représentons l’instance qui défend la personne. Une défense, bien sûr, qui n’est pas orientée « contre » les institutions religieuses, mais qui vise à faire face à certaines tendances de gouvernement qui ne portent pas l’attention nécessaire à la liberté ou aux exigences de la personne.

Q – Dans la société dans laquelle nous vivons, le choix de la vie consacrée a-t-il encore un sens ?

Card. Rodé – Je voudrais commencer par rappeler que dans l’histoire de l’Eglise, les grandes réformes sont venues le plus souvent des congrégations religieuses. Pensons ne serait-ce qu’à saint Benoît, à saint François, à saint Dominique, à saint Ignace ou à saint Jean Bosco.

Q – Oui, mais aujourd’hui ?

Card. Rodé – Aujourd’hui, je me demande : pouvons-nous encore nous attendre à un nouveau sursaut de dynamisme, de renouveau pour l’Eglise du fait de la vie consacrée ?

Q – Et quelle est votre réponse ?

Card. Rodé – Pour être sincère, si je regarde la situation actuelle, je répondrais non. Mais j’ajouterais immédiatement : il y a des signes indéniables de fraîcheur, des témoignages éloquents de ce que j’appelle la « sainte ténacité ». Disons-le en un mot : la sainteté continue de féconder la vie de l’Eglise.

Q – Pourtant dans de nombreux pays le sécularisme semble avoir compromis la vitalité et le caractère incisif de la vie consacrée.

Card. Rodé – Je trouve que Benoît XVI, à travers son magistère quotidien, offre la juste réponse à ce problème. Ses « mots d’ordre » sont : liberté, joie, beauté, espérance.

Q – Mais pourquoi aujourd’hui un jeune devrait-il se sentir attiré par des valeurs telles que la pauvreté, la chasteté, l’obéissance ?

Card. Rodé – Parce que la vie consacrée est un choix de liberté. D’après vous pourquoi saint François a-t-il choisi cette voie ? Pour être libre. Il n’a pas fait un choix nihiliste, mais un choix de liberté.

Q – Pouvez-vous expliquer davantage ?

Card. Rodé – Prenons la chasteté. Je suis convaincu que la chasteté libère la sexualité, même celle des personnes mariées. Dans une société où la chasteté dans le célibat est un idéal possible, même le mariage et la sexualité se trouvent libérés.

Q – En somme, qui sont aujourd’hui les personnes consacrées ?

Card. Rodé – Ce sont surtout des hommes et des femmes de l’espérance. Ils incarnent une dimension que l’humanité d’aujourd’hui a souvent perdue : le sens de la transcendance, de l’éternité. Pour reprendre les mots de Benoît XVI, ce sont les témoins de la présence transfigurante de Dieu.

Q – Tentons alors d’établir un portrait type du religieux pour notre époque : contemplatif ou inséré dans le monde, prédicateur ou ascète ?

Card. Rodé – Je répondrais avec saint Benoît : primum, esse. Pour commencer, être. Le religieux est avant tout un homme racheté, qui porte en lui la rédemption et la manifeste. Ensuite, il peut aller où il veut : dans un monastère, dans un collège, dans une paroisse, dans les rues.

Q – Dans les rues ?

Card. Rodé – Je vous donne un exemple. A Aparecida, au Brésil, j’ai rencontré une congrégation nouvelle. Ils sont tous jeunes et ils font comme saint François : vêtus d’une simple bure, ils sont aux côtés des clochards dans les rues de la ville. Et cette année, ils ont vingt novices !

Q – Et dans les pays du vieux continent ?

Card. Rodé – Concernant l’Europe, je trouve que dans les congrégations religieuses, il y a peu d’imagination, peu d’audace, peu de dynamisme. Même si de temps à autre apparaît quelque chose de nouveau : je pense à des réalités telles que la « Communauté Saint Jean » ou la Communauté de Bethléem.

Q – Quelle est la situation actuelle de la vie consacrée dans le monde ?

Card. Rodé – Si nous considérons les congrégations masculines, il faut dire qu’au cours des dernières décennies, elles ont beaucoup souffert. Certaines ont perdu 30, 40 parfois même 50% de leurs membres.

Q – C’est un déclin qui semble commencer immédiatement après le concile Vatican II…

Card. Rodé – Je l’ai souvent répété. Si l’on considère les congrégations religieuses, il faut être réaliste et reconnaître que souvent, de graves erreurs ont été commises dans la réception du Concile. Cela a également été souligné par le pape dans le discours du 22 décembre 2005 : voir dans le Concile Vatican II une rupture avec le passé et non un « renouveau dans la continuité » a été fatal.

Q – Que peut-on faire aujourd’hui pour inverser cette tendance ?

Card. Rodé – Selon moi, le grand défi qui nous attend dans les prochaines années est celui de la sécularisation. Et je ne me réfère pas tant à la sécularisation « extérieure », mais plutôt à la sécularisation « intérieure » à la vie consacrée. Il est temps de reconnaître les erreurs qui ont été faites. Il faut que les communautés religieuses retournent aux sources du charisme de fondation et aux valeurs évangéliques. Il faut redonner sa place centrale à la prière, à la vie commune, à la pauvreté, à la chasteté, à l’obéissance. Redécouvrir ces valeurs fondamentales pour les vivre et en témoigner dans le monde : voilà comment donner un nouvel élan à la vie religieuse.

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ZENIT Staff

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