Adieux au prophète et à l’ami

Mgr Gabriel Matagrin vient de mourir. Un soir de dimanche de novembre, alors que s’achevaient les travaux de notre dernière session, j’ai reçu son ultime message : "Je suis à Gethsémani mais, soyez-en sûr, je ne m’y arrête pas…" Témoin de la Résurrection jusqu’au bout, c’était lui.

Il était pour les Semaines un incomparable ami. Il fut l’un des inspirateurs de leur renouveau depuis vingt ans et a siégé à son Comité jusqu’à ce que la maladie l’en empêche. Il avait participé à la plupart de nos sessions depuis la fin des années trente. Il y apportait la chaleur de son enthousiasme, son attention à ce qui peut germer et l’exigence d’une pensée, nourrie d’une immense culture, en constant dialogue avec tous les humanismes et avec ses compagnons de toujours, Charles Péguy, Emmanuel Mounier, Jean Lacroix, François Perroux, Henri de Lubac, Pierre Teilhard de Chardin et tant d’autres.

Il était fraternel. Dès le premier contact, plantant dans vos yeux son regard pétillant de sympathie et d’intelligence, il vous grandissait. Vous sentiez vos voiles plus ou moins déchirées par les tempêtes de la vie se retendre d’un souffle d’espérance.

Très lucide sur les changements de monde et d’époque qui secouaient l’Eglise, il accordait plus d’importance à la futaie qui renaît qu’au chêne qui tombe, pour reprendre le titre de son dernier livre ("Le chêne et la futaie", entretiens avec Charles Ehlinger, aux Éditions Bayard).

Il était resté un militant à travers ses responsabilités d’Eglise, notamment comme évêque de Grenoble. Auteur d’un rapport qui fit grand bruit à ce sujet, il attachait la plus haute importance à l’engagement politique et a aidé une génération de chrétiens dans le discernement qu’il exige. Il voyait grandir le christianisme en dehors d’Europe et se multiplier les formes nouvelles de spiritualité.

Le Concile Vatican II, pour lui, n’était qu’un point de départ. Il appelait de ses vœux un renouvellement de l’organisation de l’Eglise. Son souci primordial était, comme il devait l’écrire, de "préparer aujourd’hui l’Eglise de demain". Il nous laisse une formidable leçon d’énergie et d’espérance. Merci Gabriel !


Michel Camdessus
et le Conseil des Semaines Sociales de France
2 février 2004