CITE DU VATICAN, Vendredi 20 février 2004 (ZENIT.org) – Le cardinal Jean-Marie Lustiger a évoqué quatre domaines où convergent les efforts d’une région apostolique - jeunes, vocations, prêtres, paroisses – dans son adresse au pape Jean-Paul II, lors de l’audience commune aux évêques des huit diocèses de la région de l’Île de France et du diocèse aux Armées, en visite ad limina, ce vendredi 20 février 2004 au matin.

- Adresse du card. Lustiger -

Très Saint Père,

Vous voyez aujourd'hui les évêques de la Province de Paris venus vous rendre compte de leur ministère et vous redire leur très filiale affection.

Huit diocèses auxquels se joint le Diocèse aux Armées. Trois diocèses ont une antique histoire : Paris, Meaux, Versailles. Les cinq autres sont de tout jeunes diocèses : ils ont été créés par le pape Paul VI le 7 octobre 1966 ; trois d'entre eux sont issus de l'ancien diocèse de Paris, les deux autres de l'ancien diocèse de Versailles.

À nous tous, nous formons la nouvelle Province ecclésiastique de Paris, constituée en même temps que les diocèses, voici presque quarante ans. C'est de l'évolution de notre Province et de son avenir que je souhaite vous entretenir.

Cette Province est la conséquence d’une importante décision de l'État qui dans les années soixante créa cette grande région administrative pour permettre le développement de la capitale de la France. L'agglomération parisienne était appelée à regrouper quinze millions d'habitants. Pour que cette croissance se développe harmonieusement, il fut décidé de créer plusieurs «villes nouvelles» et de diviser le territoire en huit départements dotés chacun de son administration propre ; le Saint Siège créa autant de nouveaux diocèses. Pour assurer la cohérence de ce développement, une autorité régionale puissante a été mise en place; à cette région administrative a correspondu la Province ecclésiastique de Paris.

Nous étions alors dans les lendemains du Concile Vatican II. À l'ambition novatrice de donner un nouveau visage à la région-capitale de la France répondait l'enthousiasme de l'aggiornamento de l'Église. Les fidèles et plus encore le clergé ressentirent de façon contrastée la création de ces diocèses : déchirement de rompre les liens anciens, espérance d'un renouvellement de la vie ecclésiale qui s'adapterait aux nouvelles conditions de la vie sociale.

Beaucoup attendaient de ce nouveau dispositif qu’il permette une plus grande mobilité du clergé et une plus grande disponibilité des ressources à la mesure des bouleversements annoncés dans la répartition des populations (habitat et travail) et aussi à la mesure de l’afflux prévu de plusieurs millions de nouveaux habitants. Le statut particulier de la Province de Paris devait faciliter la concertation des orientations pastorales. Il devait aussi permettre de prendre des décisions novatrices pour faire face à l’évolution de la Région.

Entre temps, intervint la secousse de Mai 1968 qui bouleversa la société et l'Église ; crise dont les conséquences immédiates ne sont pas moins considérables que les conséquences plus lointaines, sensibles encore aujourd'hui.

Toujours est-il que la création de ces huit diocèses permit d’abord une plus grande proximité des évêques avec leur clergé et avec leurs fidèles, ce qui fut un bienfait indubitable. Mais la logique même de ces créations, loin de rendre objectivement plus aisés les échanges et les collaborations, amena chacun à affirmer sa personnalité et, ce qui est normal, son autonomie. Chaque évêque avait la tâche difficile de rassembler fidèles et prêtres, afin de susciter une «conscience diocésaine» chez une population mobile qui franchissait quotidiennement dans les deux sens les limites des départements et donc des diocèses. Tâche d’autant plus difficile que les territoires de ces nouveaux diocèses ne correspondaient pas toujours à des ensembles cohérents de population, ne serait-ce qu’en raison de l’organisation rayonnante de voies de communication. Bien vite, les différences s'accentuèrent, tenant aux conditions locales de la vie de l’Église, à la diversité des populations, aux choix pastoraux, aux décisions prises touchant l'utilisation des moyens disponibles, y compris les ressources financières. En même temps que s'affirmait l'identité propre de chaque diocèse, s'estompait l'ambition fondatrice qui espérait une meilleure présence de l'Église à ce grand ensemble.

Dans la même période, la Région Ile-de-France a poursuivi son développement ; les villes nouvelles existent et elles ne sont plus tout à fait nouvelles, les moyens de transport se sont multipliés et ont bouleversé les relations internes à la région dans un rayon de cinquante kilomètres ; les équipements ont grandi et lui ont donné un nouveau visage. L'accroissement de la population, s'il n'a pas été aussi élevé que le prévoyait l'ambition initiale, a amené un afflux considérable de populations nouvelles, françaises ou d'origine étrangère. Bref, le grand projet urbain et humain a peu à peu pris corps avec ses bienfaits et ses limites.

Mais, pendant ce temps, si le zèle des apôtres et la foi des fidèles n'ont pas fait défaut, la vision d'ensemble et les moyens ont manqué. On sait aussi que durant les décennies qui ont suivi, les tendances générales de l'évolution de la vie chrétienne se firent sentir fortement dans les populations d'Ile de France : baisse de la pratique religieuse, réduction bientôt au dixième du nombre de prêtres actifs, perte des habitudes chrétiennes, sécularisation des mœurs, etc. Il est inutile de reprendre ici ces analyses bien connues.

Je me suis permis ce rappel, car depuis une dizaine d'années, et en particulier depuis les Journées Mondiales de la Jeunesse à Paris en 1997 (année de notre précédente visite ad limina), la vie de l'Église commence à prendre un nouveau visage en Ile de France.

En effet, les Journées Mondiales de la Jeunesse à Paris provoquèrent une intense mobilisation de toutes les forces vives dans chacun des huit diocèses d'Ile de France, qui eurent à accueillir l'événement. Tous purent constater la générosité et l'enthousiasme des jeunes d'abord, mais aussi des aînés, pour répondre dans cet événement à l'appel que l'Esprit adresse à l'Église du Christ.

Vous vous souvenez, Très Saint Père, de ces journées bouleversantes. Vous avez pu apercevoir l'étendue et la diversité des aspects de la capitale et de la région : de la toute moderne cathédrale d'Évry à l'antique cathédrale Notre-Dame de Paris.

Nous pouvons dire que, grâce à l'événement, les huit diocèses d'Ile de France ont pris une conscience nouvelle de leur responsabilité solidaire pour l'annonce de l'Évangile. Ils ont aussi fait l’expérience que, dans leur pauvreté et leur diversité, il leur était possible d'imaginer de nouveaux chemins et de s'y engager avec la force de l'espérance.

C'est donc, avec le renouvellement des générations, une nouvelle période de l'histoire de l'Église en Ile de France qui a commencé. Nous, évêques, en sommes conscients et sommes décidés à répondre à ce que Dieu nous demande et nous donne pour l’évangélisation nouvelle de cette immense agglomération, à la fois antique et nouvelle.

L'expérience des décennies passées nous a appris à respecter chacun en sa légitime autonomie, tout en nous donnant avec générosité et efficacité à la réussite de projets communs. Car cette nouvelle période, nous le voyons plus clairement aujourd'hui, bénéficie du meilleur des efforts des décennies précédentes pour dépasser les cloisonnements et les particularismes qu'a entraînés pour chacun des huit diocèses la recherche de son identité première.

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Le premier domaine que l'on peut mentionner est celui de la jeunesse. Non seulement en raison des Journées Mondiales de la Jeunesse, mais aussi en raison du dynamisme, jamais démenti, des grandes initiatives pastorales sur ce terrain.

Je note ici, comme cela vous a déjà été exposé en d'autres circonstances, les rassemblements annuels d'adolescents ou de jeunes lycéens (plusieurs dizaines de milliers). Les nouvelles générations de prêtres et de responsables laïcs ont appris, grâce à ces manifestations communes, à se connaître et à collaborer étroitement dans des projets mobilisateurs ; ils y engagent le meilleur de leur générosité pastorale et se proposent de nouveaux objectifs qui couvrent peu à peu l'ensemble de la jeunesse. Plusieurs d'entre nous eurent la joie de participer à ce ministère, avant de recevoir la charge épiscopale.

Un second domaine a été l'objet d'un véritable travail dans notre Province : l'appel aux vocations sacerdotales et la formation première des prêtres.

Le nombre des entrées au séminaire et des ordinations, considéré pour l'ensemble des huit diocèses, n'a pas subi d'érosion au cours de la dernière décennie. Bien plus, il semble qu'une prise de conscience positive de la nécessité de l'appel aux vocations sacerdotales, le renouveau de la prière à cette intention dans les communautés chrétiennes, les dispositions concrètes que nous avons prises ensemble, amorcent un accroissement sensible dans l'un ou l'autre des diocèses jusqu'ici les plus pauvres.

Après deux ans de travail commun, nous venons de convenir de la nécessité d'une «année spirituelle» – une année propédeutique – avant le séminaire, en nous appuyant sur deux institutions déjà éprouvées, l'une plus récente à Versailles, l'autre plus ancienne à Paris.

En troisième lieu, nous essayons de remédier à l’inégalité du nombre de prêtres disponibles non pas par une répartition mécanique ou purement numérique des forces sacerdotales – ce qui reviendrait à partager la pénurie –, mais par la mise en commun – selon une formule fondée sur une expérience de plus de dix ans – d'équipes sacerdotales vivant exemplairement la vie fraternelle et s'efforçant d'être des points d'appui stratégiques pour la nouvelle évangélisation. Le nom donné depuis l'origine à cette réalisation suffira à vous en dire la nature : Fraternité missionnaire des prêtres pour la ville (FMPV).

Un quatrième domaine où convergent nos efforts, c’est la mise en valeur des paroisses comme foyer vital de la vie chrétienne dans les villes et indispensable à l’annonce de l’Évangile. L’importance de leurs œuvres caritatives ainsi que le nombre croissant des catéchumènes sont des indices de leur ferveur dans la foi et la charité. Les paroisses deviennent, dans l’incessante mobilité des foules urbaines, des points d’ancrage de la vie chrétienne, des points d’appui pour l’action missionnaire, des lieux d’accueil pour les détresses, des lieux ouverts à celles et ceux qui cherchent un sens à leur vie.

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J'ai cité ces quatre domaines à titre d'exemple. Il en est bien d'autres souvent fondés sur des expériences déjà anciennes, comme la mission en monde ouvrier et la mission étudiante. Ce qui nous semble nouveau, c'est la disposition d'esprit avec laquelle les générations de prêtres et de laïcs qui auront à porter le poids de l'avenir sont résolues, entraînées par leurs évêques, à avancer hardiment dans cette nouvelle phase de notre histoire chrétienne.

Si la phase précédente qui vit la création de nos diocèses et de la Province ecclésiastique, fut placée sous le signe de l'aggiornamento, cette étape nouvelle dont les Journées Mondiales de la Jeunesse de 1997 et le Jubilé de l’an 2000 marquent le lancement, est placée sous le signe de l'évangélisation.

Ce que l'on décrit à juste raison comme ignorance du christianisme, détachement des pratiques religieuses, affaissement des mœurs, déstructuration de la cellule familiale, désarroi de la jeunesse, etc., loin de nous inviter à la nostalgie devant ce qui fut mais qui n'est plus, nous provoque au courage. Dans cette situation, nous osons lire un appel des nouvelles générations à découvrir dans l’Évangile leur raison de vivre et, par là, la grandeur de la condition humaine reçue des mains du Créateur. Pour beaucoup, profondément interrogés par un pluralisme religieux inédit jusqu’à ce jour, c’est l’appel à se laisser «saisir par le Christ» qui l’emportera. Ils apprendront à le suivre, Lui, unique Sauveur du monde, sur la voie de l’amour et du service de cet Evangile de Vérité.

Cette situation nouvelle où l'évangélisation ne se jauge pas selon la référence au passé, mais selon l'appel de l'avenir, est le motif de notre optimisme, d'autant plus résolu qu'il repose sur la grâce de Dieu à l’œuvre en ce monde nouveau. Même si l'on nous accuse de rêver, il nous semble que, si nous rêvons, nous le faisons en compagnie de Paul, lorsqu'il voyait en songe le Macédonien lui dire : «Viens à notre secours» (Ac 16, 9). Le Macédonien c’est l’Europe, notre vieil Occident, notre Pays…

Merci, Très Saint Père, d'avoir, grâce à votre appel et à votre venue, ouvert cette nouvelle période de l'histoire de l'Église en France. Les bouleversements de notre société et de notre culture au cours des cinquante dernières années obligent désormais tous les fidèles à découvrir et à vivre la condition de «signe de contradiction» à laquelle nous sommes appelés à la suite du Christ. Merci, Très Saint Père, de nous l’avoir montré et de nous y inviter par votre parole et votre exemple.