"Diaboliser la mondialisation est une erreur"

Entretien avec le P. Piero Gheddo, missionnaire du PIME

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CITE DU VATICAN, Mardi 12 novembre 2002 (ZENIT.org) – « Diaboliser la mondialisation est une erreur », explique le P. Piero Gheddo, missionnaire de l’Institut pontifical des Missions étrangères de Milan (PIME) à l’agence internationale Fides (www.fides.org), organe de la congrégation romaine pour l’Evangélisation des Peuples.

Le P. Gheddo a été pendant 35 ans directeur de la revue « Mondo e Missione » (« Monde et mission »). Auteur de plus de 70 livres, il est un grand connaisseur du monde missionnaire, en particulier des zones de première évangélisation et de celles où l’Église a été persécutée ou rigidement contrôlée par des régimes autoritaires.

Parmi les derniers ouvrages du P. Gheddo, on note une biographie : « Carlo Salerio – Missionario in Oceania e fondatore delle Suore della Riparazione » (aux éditions Emi, « Carlo Salerio, Missionnaire en Océanie et fondateur des Sœurs de la réparation ») et « Davide e Golia – I cattolici e la sfida della globalizzazione » (San Paolo, « David et Goliath, les Catholiques et le défi de la globalisation).

Aussi l’Agence Fides lui a-t-elle demandé son point de vue à l’occasion du « Forum social européen » qui s’achève à Florence.

Fides : Le thème de la mondialisation est souvent présent aujourd’hui dans la société et dans les médias, et fait l’objet de débats parmi les spécialistes et les groupes politiques, religieux et sociaux. Outre qu’elle surprend les gens, l’idée du monde comme un unique village, fondé sur des valeurs politiques, économiques et éthiques communes, provoque des réactions diverses et souvent même des oppositions radicales comme celle des  » no global « , qui sont rassemblés actuellement au Forum social de Florence. Pourquoi ces réactions ?

Piero Gheddo : Les contestations contre la mondialisation sont compréhensibles. En effet, elle met en lumière la tragédie de notre monde coupé en deux : Nord et Sud, ceux qui ont trop et ceux qui ont trop peu. Dans le passé, la faim dans le monde existait déjà, mais les peuples affamés étaient loin. Aujourd’hui, le développement des nouvelles techniques et instruments médiatiques fait que l’information et les échanges d’idées se font très vite, pratiquement en temps réel. Ainsi, les fossés économiques, sociaux et culturels entre les peuples apparaissent avec force : nous sommes en 2000 après Jésus-Christ, et les peuples de l’Afrique noire pratiquent encore, en général, dans les zones rurales, une économie de subsistance. Alors qu’en 1960 l’Afrique noire exportait de la nourriture, aujourd’hui elle importe près de 30 pour cent des aliments qu’elle consomme. Il se trouve ainsi que les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres, et que tandis que les pays insérés dans la mondialisation progressent, les autres n’arrivent pas à décoller ou régressent. L’économie de marché est accusée de tous les maux, ce qui fait penser que la mondialisation est la nouvelle question sociale du XXIe siècle.

Fides ; Donc les  » no global  » ont raison…

Piero Gheddo : Avant tout, il faut souligner que dans leur attitude face au phénomène de la mondialisation, il manque une analyse sérieuse du développement et du sous-développement. Grâce à la mondialisation, au cours des cinquante dernières années, le tiers-monde s’est en grande partie développé. Je pense surtout à l’Asie, où les progrès sont évidents, y compris dans des pays très pauvres comme le Bangladesh, tandis que les pays dominés par des dictatures socialistes, qui ne se sont pas ouverts au libre marché, sont restés à la traîne (Corée du Nord et Birmanie). L’Inde a connu sa dernière disette en 1966, et alors que sa surface est inférieure à celle de l’Éthiopie et du Soudan pris ensemble, et qu’elle compte un milliard d’habitants contre 80 millions, elle exporte de la nourriture (en Afrique, au Proche-Orient et en Russie), tandis qu’en Éthiopie et au Soudan on meurt de faim. Selon une étude de la Banque mondiale de 2002, entre 1990 et 1999, le nombre des pauvres vivant en dessous du niveau minimum de subsistance a diminué de 27,6 à 14,7 pour cent en Asie orientale et dans la zone du Pacifique ; de 44 à 40 pour cent dans le Sud de l’Asie ; de 16,8 à 12,1 pour cent en Amérique latine et aux Caraïbes ; de 2,4 à 2,1 au Proche-Orient et en Afrique du Nord. Par conséquent, la cause première du fossé entre riches et pauvres n’est pas le marché mondial.

Fides : Quels sont alors les véritables causes du sous-développement ?

Piero Gheddo : Il y a quelques années, un missionnaire de la Consolata en Tanzanie me disait :  » Les piliers du sous-développement africain sont au nombre de quatre : fanatisme, illettrisme, gouvernements corrompus et militaires « . La cause première du creusement du fossé entre riches et pauvres est le manque d’instruction et de croissance démocratique des peuples les plus pauvres. Au lieu de miser sur l’instruction et la santé pour les habitants des campagnes, la politique des élites du gouvernement a privilégié les villes, ce qui a eu pour effet de créer des mégalopoles invivables et des campagnes abandonnées. Le développement ne peut venir que de l’instruction, de l’évolution des mentalités et des cultures, de l’éducation à produire davantage, des gouvernements stables, de la liberté économique et de l’ouverture du marché mondial. En effet, le marché global et les pays qui vivent en paix sont ouverts à l’économie de marché et ont un niveau suffisant d’instruction et de liberté économique ; ils présentent des occasions de développement rapide qui, autrefois, n’existaient pas. À ce propos, il convient de rappeler l’expérience que Jean Paul II décrit dans Redemptoris missio :  » Le développement d’un peuple ne vient pas d’abord de l’argent, ni des aides matérielles, ni des structures techniques, mais bien plutôt de la formation des consciences, du mûrissement des mentalités et des comportements « . En pensant à tout cela, je voudrais dire aussi que le slogan  » le Sud est pauvre parce que le Nord est riche  » ou vice-versa, est un mensonge colossal, qui n’aide certainement pas les peuples pauvres.

Fides : Y a-t-il des aspects positifs dans le phénomène de la mondialisation ?

Piero Gheddo : Comme l’a dit le Saint-Père,  » La mondialisation, a priori, n’est ni bonne, ni mauvaise. Elle sera ce que les personnes en feront. Aucun système n’est une fin en soi, et il convient d’insister sur le fait que la mondialisation doit être mise au service de la personne humaine, de la solidarité et du bien commun « . Il y a des aspects négatifs dans la mondialisation, mais devant un phénomène aussi nouveau, il convient d’être très prudents : il ne faut ni le diaboliser, ni l’exalter. Un autre aspect de la mondialisation – qui à mes yeux est le plus important, même si on n’en parle jamais – est le phénomène culturel et religieux qui la caractérise : des peuples qui vivaient séparés se rencontrent, se confrontent, dialoguent : des échanges de valeurs culturelles et religieuses ont lieu. C’est indéniablement un aspect très positif. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, il y a un mouvement des peuples qui va vers l’unité et pas vers la division, vers la paix et pas vers la guerre, vers les droits de l’homme et de la femme et pas vers l’oppression et la dictature. Pour toutes ces raisons, diaboliser la mondialisation est une erreur impardonnable. Il faut en améliorer les mécanismes, les règles, les réalisations, mais pas aller à l’encontre d’un fait historique qui est inévitable et positif. Notre temps, et surtout les jeunes, demandent de l’optimisme et de l’espérance, pas du pessimisme. Dans l’attitude des  » no global « , il y a trop de pessimisme et de préjugés contre le monde moderne et l’histoire des peuples riches et chrétiens. On condamne le mal, mais on ne reconnaît pas
le bien qu’ils ont fait : la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) par exemple, a mûri dans la civilisation occidentale, sous l’influence de la Parole de Dieu. Aujourd’hui les principes qu’elle défend sont le patrimoine de tous les peuples…

Fides : Vous avez pu toucher du doigt, dans maints endroits du monde, la souffrance, la pauvreté et la misère, les angoisses mais aussi les espérances des individus et des peuples. Du point de vue du missionnaire, quels bienfaits peut-on en escompter pour les pauvres du monde?

Piero Gheddo : Avant tout – comme le rappelait très justement le Saint-Père dans sa Lettre Novo Millennio ineunte – il faut repartir du Christ, revenir à l’Évangile et à la foi, en ravivant la vie chrétienne. Si nous étions de meilleurs chrétiens, nous serions en mesure de mieux comprendre et aider les pauvres du monde. La preuve en est que les missionnaires chrétiens – catholiques et protestants – avec leurs bénévoles laïcs, génèrent du développement chez les pauvres, tandis que les projets gouvernementaux de coopération internationale créent bien souvent des  » cathédrales dans le désert « . Les missionnaires jettent des ponts de compréhension et d’éducation mutuelle parmi les peuples, les projets gouvernementaux pas. En ce sens, il faudrait récupérer une certaine austérité de vie, pour être vraiment les frères des pauvres… Nous vivons trop dans le superflu et le gaspillage : Que de choses on pourrait simplifier ! Il faut donner aux jeunes de grands idéaux de vie, et surtout les éduquer au grand défi de notre époque mondialisée : être les frères des pauvres.
Le développement des peuples est une question très complexe. Notre civilisation matérialiste le réduit au facteur économique : riches et pauvres. Maritain dit que la racine du développement humain réside dans l’idée qu’un peuple se fait de Dieu, d’où découle sa véritable culture : l’idée de la nature, de l’homme, du travail humain, et du cheminement vers le but.
La mission de l’Église est d’annoncer et de témoigner Jésus, unique Sauveur de l’humanité. Le développement de l’homme vient de Dieu et du Christ. L’œuvre missionnaire a besoin d’hommes et de femmes qui consacrent leur vie à éduquer et à se laisser éduquer, à partager, à jeter des ponts de compréhension et de solidarité entre Nord et Sud du monde. L’Église, en effet, a été la première à mondialiser les peuples en annonçant l’Évangile. Jésus, en montant au ciel, a assigné à l’Église sa mission : « Allez par tout le monde, et prêchez la bonne nouvelle à toute la création  » (Mc 16, 15).

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ZENIT Staff

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