Voeux à la Curie romaine, capture CTV

Voeux à la Curie romaine, capture CTV

L'exercice de l’autorité dans l’Église, actualité d'un vademecum, par le p. Forlai

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« Aider les personnes à devenir ce qu’elles sont appelées à être »

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« Aider les personnes à devenir ce qu’elles sont appelées à être », tel est le rôle du supérieur religieux selon le père Claudio Acquaviva (XVIe-1XVIIe s.), explique le père Giuseppe Forlai, directeur spirituel au séminaire pontifical romain, dans les colonnes de L’Osservatore Romano du 24 décembre 2016. Il décrit un « supérieur « transformationnel » ».
L’expert en direction spirituelle commente le petit traité du père Acquaviva « pour guérir les maladies de l’âme » offert par le pape François à ses collaborateurs de la curie romaine, lors de ses voeux, jeudi 22 décembre 2016.
L’exemple du Christ et de saint Paul
Il part de l’exemple de Jésus lui-même: « Le Seigneur Jésus n’a pas été tendre avec les autorités religieuses de son temps. Non seulement parce qu’il a toujours stigmatisé les perversions du pouvoir et les intentions iniques des grands de ce monde, mais parce qu’il a montré que le plus grand pouvoir des personnes libres réside dans le don de leur vie par amour, sans se la faire prendre par personne (cf. Jn 10,17-18). Sa confiance inconditionnelle dans le Père l’a poussé à réclamer du Créateur la dépendance exclusive de tout homme, en parfaite harmonie avec le credo d’Israël : « Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux » (Mt 23, 9). »
Un eseignement dont se fait l’écho l’apôtre Paul, « assumant la leçon de Jésus, rappellera aux Corinthiens que l’unique hiérarchie admise dans les choses de l’esprit est celle qui, du Christ, nous lie directement au Père : « Mais vous, vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu » (1 Co 3, 23). Des paroles nettes et sans équivoque, si l’on pense qu’elles furent adressées à des chrétiens continuellement tentés de s’affilier à des pères spirituels improvisés ».
Un service de communion
Il souligne que l’autorité est toujours un « service de communion » : « La vie du baptisé est dominée par l’Esprit du Ressuscité qui le guérit, le relève et le conduit vers le Père de manière personnelle et donc imprévisible. Toute autorité ou paternité dans l’Église est exclusivement compréhensible comme service de communion, de même que toute obéissance devient un moyen de grâce si elle n’ « attriste » pas l’Esprit qui murmure ses desiderata à la personne et à la communauté (cf. Ep 4,30). En d’autres termes, après la résurrection, ne conserve son plein sens que l’autorité qui indique au croyant non pas tant « ce qu’il faut faire » mais ce qu’il faut désirer dans le Christ pour le Royaume. »
Pour le p. Forlai ce « petit vademecum » du cinquième Préposé général de la Compagnie de Jésus, le père Claudio Acquaviva, constitue un « très rare et précieux legs littéraire sur l’art de l’exercice de l’autorité spirituelle dans l’Église et en particulier dans la communauté religieuse ».
Il identifie une première source: l’Écriture sainte « reçue et commentée par les grands Pères monastiques »: « Une broderie à l’encre d’une rare beauté et pertinence où le meilleur de la tradition monastique se déverse dans la vie quotidienne d’un corps strictement apostolique, comme l’est la Compagnie de Jésus, dévoilant ainsi la profonde continuité entre les différentes formes historiques où la vie consacrée s’est exprimée, au-delà d’excessives fragmentations ou de typologies stéréotypées. »
La seconde, c’est « son expérience personnelle de supérieur (d’abord provincial, puis général), de directeur d’âmes, ainsi que de recteur du séminaire romain naissant »: « Acquaviva appartient encore à une époque où le supérieur religieux est responsable avant tout de la « salus animarum » (du salut des âmes) de ses sujets.. » C’est pourquoi il « invite les supérieurs de la Compagnie à ne pas se créer d’alibi devant la hauteur de la tâche : Dieu demandera compte du progrès spirituel du frère soumis à leur juridiction ».
Le sens et la responsabilité de l’obéissance
D’où aussi son insistance sur « la valeur de l’obéissance « aveugle » requise des siens par Ignace de Loyola dans les Constitutions et dans les lettres »: « Le sujet se confie avec sérénité à la mission qui lui est assignée par son supérieur parce que ce dernier est aussi le père de son âme ; la mission confiée ne sera jamais le caprice personnel ou une soumission inconsidérée aux urgences apostoliques, mais une profonde adéquation aux désirs de l’Esprit suscités dans le cœur du sujet pour le bien de l’Église. Des désirs que le supérieur connaît grâce à l’ouverture de conscience annuelle du frère. »
Ainsi, explique le p. Forlai, « l’obéissance « aveugle » jésuite révèle sa grandeur humaniste seulement si l’on se rappelle (et souvent, on ne le fait pas !) qu’elle est prêtée à un « supérieur-père » qui connaît le sujet « intus et in cute » (intérieurement et extérieurement) et non à un général de corps d’armée qui bouge des pions sans visage sur l’échiquier des conquêtes apostoliques ».
Il insiste sur la « modernité » de cette vision du gouvernement dans l’Eglise: « En ceci, Ignace est encore plus moderne aujourd’hui que beaucoup de ses contemporains qui le citent maladroitement. Pour l’auteur des Exercices, supérieur et inférieur/sujet sont les serviteurs des motions que la divine consolation dépose dans le cœur de chacun : celles-ci – et rien d’autre – indiquent la volonté de Dieu pour le bien de la mission de l’Église. Les seconder signifie se mettre sous l’étendard du Roi éternel. Au supérieur l’art d’épouser des projets apostoliques et des désirs personnels authentiques. »
Voilà « l’enjeu »: « Si l’on sert le Royaume de Dieu en discernant les motions intérieures des religieux, il sera alors d’autant plus opportun que les sujets intéressés par l’entreprise évangélique soient toujours plus enracinés dans la « libertas indifferentiae » (liberté que donne l’indifférence ignatienne, ndlr), ou encore émancipés de maladies spirituelles conditionnantes ou déviantes par rapport à une manière droite d’agir et de sentir. Sainteté, liberté, apostolicité sont ainsi ramenée à l’unique vision et à l’unique sollicitude paternelle. »
La force thérapeutique de la grâce
C’est aussi la raison pour laquelle « le supérieur préoccupé exclusivement d’assigner des tâches ou de distribuer des fonctions serait insipide » : « La figure du supérieur qu’Acquaviva traitait est celle d’un « leader transformationnel », à savoir, capable d’aider les personnes à devenir ce qu’elles sont appelées à être ; pour ce faire, il doit savoir reconnaître et repousser de son cœur la double tentation qui l’inciterait à se mettre soit à la place du gendarme/censeur qui réprime les vices, soit de celui qui, par faiblesse, « laisse courir » sans jamais se compromettre dans la correction (à la grande indignation des bonnes volontés). »
« Le supérieur « transformationnel » de notre auteur est une âme solide, éprouvée, loin de tout respect humain ou de tout consensus, fortement désintéressée des stratégies sournoises de prolongation du pouvoir. », explique encore le p. Forlai.
Selon lui cette autorité s’appuie sur « trois piliers ». Le premier « la foi dans la force thérapeutique de la grâce : pour le Préposé de la Compagnie, la grâce est toujours à l’œuvre, il suffit de la seconder. Tout pélagianisme, même atténué, est absent de ses pages. Dieu peut transformer en un clin d’œil y compris le religieux le plus tiède ou vicieux. L’examen quotidien et général, typique de la première semaine des exercices ignaciens, demeure la meilleure façon de laisser la grâce guérissante entrer dans les sentiments de l’homme en passant à travers la porte ouverte d’un esprit réveillé et conscient ».
Un deuxième pilier, c’est la confiance dans la liberté: « La confiance dans la liberté de l’homme qui, bien que pécheur, n’est pas et ne peut pas rester esclaves de ses vices pendant toute sa vie. Acquaviva appartient à une époque où le quiétisme n’a pas encore diffusé ses idées à une large échelle. Il fait partie de la lignée de ces spirituels authentiques qui, bien que loin de tout volontarisme prométhéen, conçoivent la vie chrétienne comme une « milice », un combat continu. Le croyant, et donc le religieux, peut choisir d’être un mauvais pécheur (c’est-à-dire un résigné) ou un saint (à savoir un pécheur repenti qui ne se rend pas même quand il est touché). »
La santé du corps entier
Un troisième pilier c’est l’espoir de guérison: « La conviction que la communauté des frères peut et doit être le lieu de guérison pour celui qui en a besoin. Acquaviva suggère aux supérieurs locaux non seulement de prendre en charge les personnes plus faibles ou en danger, mais aussi d’impliquer les autres confrères dans la garde et le chemin d’amendement et de purification des sujets. Tous les composants de la résidence, éclairés par leur supérieur, sont responsables des autres : de la santé du corps entier de la Compagnie dépend le bénéfice pour les âmes que l’on sert. Au contraire de ce que l’on peut penser superficiellement, pour notre auteur, la « maladie spirituelle » du religieux n’est pas une question privée, ni une affaire que l’on peut enfermer dans l’ « hortus conclusus » (le jardin fermé, ndlt) du rapport supérieur-sujet. »
« Un regard théologique sur la vie des communautés religieuses est d’autant plus nécessaire aujourd’hui, à une époque où malheureusement semble dominer une lecture fonctionnaliste ou purement psychologique des relations communautaires », explique le p. Forlai. qui souligne l’actualité du petit livre offert par le pape à ses collaborateurs: « Les supérieurs craintifs ou aimant le « statu quo » pourront en tirer un stimulant et se réapproprier le soin spirituel de ceux qui leur sont confiés ; les défenseurs énergiques de la loi, un aiguillon pour la discrétion et la charité patiente ; les simples religieux un aiguillon pour porter les poids les uns des autres en laissant de côté le « terrorisme des bavardages » qui rejettent le frère sans appel, peut-être justement pour éviter de le prendre en charge. »
« S’il est vrai, comme c’est le cas, que l’actuelle décadence de certains secteurs de la vie consacrée doit être attribuée à un déficit d’autorité évangélique, Acquaviva nous aide au moins à nous souvenir qu’une communauté de frères sans père ne peut tenir debout, ni une communauté de « pères » totalement absorbés par les « affaires en dehors de la maison », où désormais plus personne ne regarde l’autre avec le regard bon et guérissant de Dieu », conclut le p. Forlai.
Traduction de Constance Roques

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Rédaction

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