Le pape et Martin Scorsese, 23 oct. 2018 © Vatican Media

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Le pape François dénonce la pratique courante de la torture: un "pain quotidien" et "personne ne parle

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Le pape en dialogue avec des jeunes et des personnes âgées (6/6)

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Martin Scorsese, des Etats-Unis, 75 ans, réalisateur, producteur, metteur en scène, a posé au pape François la question de l’existence du mal, à l’occasion de la sortie du livre « La Sagesse du Temps », où 250 seniors du monde entier livrent leurs histoires de vie. L’évènement a eu lieu à l’Institut Augustinianum de Rome, le 23 octobre 2018.

AB
Question de Martin Scorsese

Saint-Père, il y a longtemps que je fais des films, mais j’ai grandi dans la classe des travailleurs, dans les quartiers périphériques de New York. Là-bas, il y a une église, la cathédrale Saint Patrice : c’est la première cathédrale catholique de New York. J’ai passé beaucoup de temps dans cette église. Mais en dehors de cette église, les choses étaient très différentes : il y avait la pauvreté, la violence…

Dès mon enfance, j’ai compris que les souffrances que je voyais n’étaient pas à la télévision ou dans les films : elles étaient vraiment là, sous mes yeux, elles étaient réelles. J’ai compris que, dans la rue, il y avait une vérité  et que, dans l’église, il y avait une autre vérité qui était présentée et elles n’étaient pas, ou ne semblaient pas être les mêmes. Cela a été très, vraiment très difficile de les mettre ensemble, de réconcilier ces deux mondes. L’amour de Jésus semblait être quelque chose de complètement « à part », étranger, souvent, par rapport à ce que voyait dans la rue. J’ai eu de la chance parce que j’ai eu de bons parents qui m’ont aimé et un jeune prêtre, extraordinaire, qui est devenu une sorte de mentor pour moi et pour d’autres, dans les années de formation. Mais, aujourd’hui encore, en regardant autour de moi – journaux, télévision – il semble que le monde soit marqué par le mal. Aujourd’hui, les gens ont beaucoup de mal à changer, à croire dans l’avenir. On ne croit plus dans le bien. Nous assistons aussi aux pénibles échecs humains dans l’institution même de l’Église.

Comment nous, personnes âgées, pouvons-nous renforcer et guider les jeunes dans les expériences qu’ils doivent affronter dans la vie. Saint-Père, comment la foi d’un jeune homme ou d’une jeune femme peut-elle survivre dans cet ouragan ? Comment pouvons-nous aider l’Église dans cet effort ? De quelle manière, aujourd’hui, un être humain peut-il vivre une vie bonne et juste dans une société où ce qui nous pousse à agir est l’avidité et la vanité, où le pouvoir s’exprime avec violence ? Comment faire pour vivre bien quand je fais l’expérience du mal ?

Réponse du pape François

« Comment, de quelle manière la foi d’une jeune femme ou d’un jeune homme peut-elle survivre à cet ouragan ? Comment pouvons-nous aider l’Église dans cet effort ? ». C’est la question. C’est un ouragan, vraiment. Quand nous étions enfants, il y a eu aussi ce phénomène qui a toujours existé, mais pas aussi fort… Aujourd’hui, on voit plus clairement ce que la cruauté peut faire chez un enfant… Le problème de la cruauté : comment agir face à la cruauté ? Cruauté partout. Cruauté froide dans les calculs pour ruiner l’autre… Et une des formes de cruauté qui me frappe, dans ce monde des droits de l’homme, c’est la torture. Dans ce monde, la torture est le pain quotidien et cela semble normal, et personne ne parle. La torture est la destruction de la dignité humaine.

Autrefois, je suivais les jeunes parents, et j’ai parlé de comment corriger les enfants, comment les punir : parfois, il faut la « philosophie pratique » de la gifle, une petite gifle, mais jamais sur le visage, jamais, parce que cela ote la dignité. Vous savez où le faire – c’est ce que je disais aux parents – mais jamais sur le visage. Et la torture est comme une gifle sur la figure, c’est jouer avec la dignité des personnes. La violence. La violence pour survivre, la violence dans certains quartiers où, si tu ne voles pas, tu ne manges pas. Et cela fait partie de notre culture, que nous ne pouvons pas nier, parce que c’est la vérité et nous devons la reconnaître.

Mais je laisse la question : comment agir devant la cruauté ? La grande cruauté – j’ai parlé de la torture – et la petite cruauté qui existe entre nous ? Comment enseigner, comment transmettre aux jeunes que la cruauté est une voie erronée, une voie qui tue, non seulement la personne, mais aussi l’humanité, le sens de l’appartenance, la communauté ? Et là, il y a un mot que nous devons employer : la sagesse des larmes, le don de pleurer. Devant ces violences, cette cruauté, cette destruction de la dignité humaine, les larmes sont humaines et chrétiennes. Demander la grâce des larmes, parce que les pleurs attendrissent le cœur, ouvrent le cœur. C’est source d’inspiration, de pleurer. Dans les moments les plus forts de sa vie, Jésus a pleuré. Au moment où il a vu l’échec de son peuple, il a pleuré sur Jérusalem. Pleurer. N’ayez pas peur de pleurer sur ces choses : nous sommes humains.

Et puis partager l’expérience et je reviens sur la question du dialecte et de l’empathie. Partager l’expérience avec empathie, avec les jeunes : on ne peut pas avoir une conversation avec un jeune sans empathie. Où est-ce que je trouve cette empathie ? Ne condamnez pas les jeunes, de même que les jeunes ne doivent pas condamner les personnes âgées, mais avoir de l’empathie : l’empathie humaine. Je pars parce que je suis âgé, mais tu resteras, et c’est cela l’empathie de la transmission des valeurs. Et puis la proximité. La proximité fait des miracles. La non-violence, la douceur, la tendresse : ces vertus humaines qui semblent petites mais qui sont capables de surmonter les conflits les plus difficiles, les plus terribles. Proximité comme vous-même, peut-être, enfant, vous êtes approché de ces gens avec tant de souffrances, et peut-être à partir de là avez-vous commencé à prendre la sagesse que vous nous faites voir aujourd’hui dans vos films. Proximité avec ceux qui souffrent. N’ayez pas peur. Proximité avec les problèmes. Et proximité entre les jeunes et les personnes âgées.

Ce sont peu de choses : douceur, tendresse et proximité. Et on transmet ainsi une expérience et on fait mûrir. Les jeunes, nous-mêmes et l’humanité.

Je remercie pour toutes ces questions et pour votre réflexion, qui m’a fait parler un peu trop. Merci pour votre travail, merci à vous, les jeunes du synode et merci à vous, les personnes âgées. Je vous demande de prier pour moi. Merci.

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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