Cardinal Peter Turkson in the Vatican press room

Card. Peter Turkson © ZENIT - HSM

De la Cop21 de Paris à la Cop22 de Marrakech, «l’impulsion» de Laudato si’, par le card. Turkson

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«La terre notre maison commune: défis et espoir!»

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De la Cop21 de Paris à la Cop22 de Marrakech, l’encyclique du pape François Laudato si’ « sur la sauvegarde de la maison commune », ne cesse pas d’inspirer les instances internationales, plus d’un an après sa publication, en mai 2015, comme en témoigne le cardinal Turkson, ambassadeur de Laudato si’ dans le monde : elle donne une « impulsion » par sa « sagesse ».
Zenit l’a rencontré à l’occasion du colloque organisé le 9 novembre 2016 à l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), à Paris, par la Mission du Saint-Siège et le Conseil pontifical Justice et Paix, sur le thème : « La terre notre maison commune: défis et espoir! »
Le président de Justice et Paix, le cardinal Peter Kodwo Appiah Turkson, constate que le message de Laudato si’ trace un chemin: « Face à la menace d’une catastrophe environnementale à l’échelle mondiale, je suis convaincu qu’un rayon de lumière a déjà commencé à briser les nuages lourds de l’écologie et à nous apporter ce que le pape décrit comme la chaleur de l’espoir! » Il espère que la « sagesse » de Laudato si’ sera entendue.
Dans son intervention à Paris, il a mis en évidence le « concept clé d’écologie intégrale » dont il a analysé l’évolution dans l’enseignement social de l’Église. En effet, Laudato si’, encyclique « écologique » au sens humain et intégral est une encyclique sociale.
Nous avons publié en deux parties notre traduction de l’intervention du cardinal Turkson qui est aussi le préfet nommé du nouveau dicastère au Service du développement humain intégral : la première partie samedi 12 novembre 2016, la seconde, dimanche 13 novembre. Dans la première partie, le cardinal Turkson rappelle les enseignements des papes : Léon XIII, Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI. Dans la seconde, il propose une synthèse actualisée de l’enseignement du pape François sur l’écologie humaine intégrale.
Le cardinal Turkson, 68 ans, du Ghana, ancien archevêque de Cape Coast, bibliste de formation,  fait le point pour les lecteurs de Zenit à l’occasion de ce colloque et de sa nouvelle mission.
Zenit – Eminence, vous êtes président du Conseil pontifical Justice et Paix, et préfet nommé du nouveau dicastère au « Service du développement humain intégral » : que signifie cet intitulé ?
Card. Turkson – Comme vous le savez c’est la mise ensemble de quatre dicastères créés à l’issue du concile Vatican II où l’Eglise a pris conscience qu’elle devait accompagner l’humanité dans sa marche, dans l’histoire. L’Eglise a ressenti le grand besoin de donner des signes concrets de cet accompagnement en établissant des conseils : le Conseil pour la culture, le Conseil pour le dialogue interreligieux, le Conseil pour l’unité des chrétiens. Concrètement, pour la société, on a créé aussi un Conseil pour la santé, pour les migrations, pour les situations humanitaires qui exigent la présence maternelle de l’Eglise et finalement le Conseil Justice et Paix. La réforme mise en place par le pape François met maintenant ensemble ces quatre dicastères qui s’occupent concrètement des situations sociales. Donc le nom « Congrégation au service du développement humain intégral » indique tout d’abord une nouveauté. Cette nouvelle entité n’est pas un « conglomérat », ce n’est pas une mise ensemble de ces quatre dicastères qui leur permet de continuer à travailler comme quatre dicastères mais liés par n’importe quelle raison. Il s’agit d’une prise de conscience du grand besoin de faire que ces quatre dicastères agissent et fonctionnent ensemble.
Le nom de « Congrégation au service du développement humain intégral » manifeste une prise de conscience du grand souci fondamental de ces quatre dicastères. Il y a aussi les questions de justice sociale que Justice et Paix a toujours suivies, questions aussi politiques, économiques et financières, la traite des personnes, mais aussi les questions des migrations.
Or, si on affirme que l’histoire humaine a toujours connu des déplacements de personnes, cette fois on assiste à des migrations dans quatre coins du monde. Il y a les migrations de l’Amérique du Sud vers les Etats-Unis, en Asie, vers l’Australie, les migrations des personnes de Syrie, d’Irak, d’Afghanistan vers l’Europe, mais il y a aussi les migrations de l’Afrique subsaharienne vers l’Europe. Sur ces quatre mouvements, seul celui de la Syrie, de l’Irak est motivé par une question de sécurité. Les autres sont motivées pour ainsi dire par des raisons économiques, par un déséquilibre dans le développement.
C’est pourquoi cette Congrégation va essayer de répondre à toutes ces questions humanitaires, mais mises ensemble, de façon à ce que les liens entre ces quatre dicastères soient mis en évidence. Qu’est-ce que les migrations provoquent? Les conséquences sanitaires, etc.
Il y a des migrations « écologiques »…
Certainement, du fait du manque de pluie, du phénomène El Niño, qui font que les populations ne peuvent plus se nourrir des produits de la terre, donc, à cause des changements climatiques, la saison des pluies qui manque etc.
Le titre du colloque de l’UNESCO, comme le sous-titre de l’encyclique « Laudato si’ » n’indiquent-ils pas un « défi » en tous cas, en proposant le concept de « maison commune » à une époque de tentation de repli sur soi ?
A l’origine de l’histoire humaine, au moins selon la Bible, la terre a été créée comme un jardin destiné à être la maison de l’humanité, et la tâche de l’être humain c’est de le travailler mais aussi de le garder : les deux ensemble. On doit travailler la terre pour se nourrir, pour le produit de la terre, mais il faut en même temps la garder en tant que jardin. Si l’on garde un jardin, cela veut dire que l’on prend soin de ce jardin, pour maintenir sa beauté, son ordre. Dans ce sens-là, le titre de l’encyclique « sur la sauvegarde de la maison commune » rappelle cette première expérience de l’être humain. Cela signifie que l’expérience que nous faisons maintenant parfois nie cette première expérience qui devrait être l’expérience commune. L’encyclique ne fait que rappeler cette expérience de l’humanité à l’origine de la vie et de l’histoire humaine.
Dans ce rapport entre l’homme et l’environnement il y a en effet des défis. Des défis qui viennent du fait que l’on a une expérience de l’humanité après la chute, qui a introduit une espèce de désordre dans l’histoire de l’humanité, un désordre qui se manifeste parfois dans le manque d’équilibre : au lieu de garder le jardin, on exploite le jardin, au lieu de travailler la terre, on l’épuise. Il y a donc ce déséquilibre. La manière de traiter la terre peut être considérée comme un abus. La terre, le monde n’est plus une « cosmo-logie », un « cosmos », ce qui indique un ordre qui porte la beauté : on retrouve le mot dans les « cosmétiques » que les dames utilisent. Il y a donc la tentation aujourd’hui de maltraiter la terre, de l’exploiter. C’est un « défi », mais il y a aussi « l’espoir », parce que dans l’histoire de l’humanité, même s’il y a l’expérience de la chute, il y a aussi l’expérience d’une promesse faite par Dieu, source d’espoir pour toute l’humanité.
Le Saint-Père tient ces deux choses ensemble. Au début de son encyclique, aux paragraphes 12-13, il cite ce défi-là. Mais il maintient qu’il a toujours une grande confiance dans la capacité humaine d’agir ensemble pour trouver des solutions à tous les défis, à toutes les situations auxquelles nous sommes confrontés. Dans ce sens, on considère ces défis comme tout ce qui menace le premier ordre qui doit exister entre nous, et entre nous et l’environnement, le cosmos, la création. Mais il y a aussi l’espérance : pour nous chrétiens, on part toujours de la présence de la grâce. Pour les autres, on part toujours de la « tendance » à agir ensemble en vue de nos soucis communs.
Par exemple, la sortie de l’encyclique a coïncidé avec le sommet d’Addis Abeba (Ethiopie) sur la façon de trouver le moyen de financer le contrôle du réchauffement de la terre, et on a vu aussi à Paris que les pays voulaient trouver une solution.
Des milliers de chaussures de manifestants de la marche pour le climat, devenue impossible après les attentats, ont été déposées place de la République à Paris, à la veille du sommet Cop21: des chaussures portant le nom du pape François, le vôtre, et celui du cardinal Claudio Hummes y ont été également déposées…
J’ai dû guider la délégation du Saint-Siège, et on a pu constater combien l’encyclique du Saint-Père a donné une impulsion à toutes les discussions… Dans ce sens-là, l’encyclique a été publiée à un moment providentiel. Avant même la Cop21, j’ai assisté à une conférence, organisée par Nicolas Hulot, le Sommet des consciences pour le climat, le 21 juillet 2015, pour sensibiliser les leaders et les préparer à la Cop21. Dans son discours après l’ouverture, le président de la République a cité l’encyclique Laudato si’ (cf. Discours, ndlr), cela a été un peu étonnant, puisqu’il s’agit de la France qui veille à la différence entre religion et Etat… Voilà, le président cite le Saint-Père, paragraphe après paragraphe, pour faire le point sur le grand besoin de « prendre soin », de sauvegarder la terre.
Il y a aussi une belle coïncidence aussi entre ce colloque à l’UNESCO et la Cop22 qui se tient actuellement au Maroc, à Marrakech…
Peut-être, peut-être… Je ne sais pas si, en préparant ce colloque, Mgr Follo a pensé à cela… En tous cas, on assiste à cette coïncidence : nous nous réunissons à Paris où l’on a tenu la première Cop21 et même la conférence des Consciences pour le climat, et nous nous retrouvons ici pour discuter de ce sujet au moment même où à Marrakech on discute la réalisation des accords pris ici, les grandes lignes : à Marrakech, on met la chair sur les os, pour qu’ils deviennent concrets, se réalisent. Notre colloque, en rappelant ce que l’on a dit ici il y a un an, peut donner une sorte d’impulsion, en attirant l’attention sur le besoin non seulement de conclure des accords, mais de s’engager pour leur réalisation.
Plus de 200 personnes dont au moins 40 ambassadeurs participent à ce colloque à l’UNESCO: il y a un grand intérêt pour la parole du Saint-Siège sur ces sujets ?
Certainement. Et le Saint-Siège sera toujours là et je peux imaginer que l’encyclique donnera toujours une impulsion. On a organisé un événement préparatoire à la Cop22, à Rome, au Vatican, le 28 septembre, un colloque sur le thème : « Laudato si’ vers la Cop22 ». On a établi des points que l’on a fait passer au Maroc, à la nonciature, parce que c’est le nonce qui conduit la délégation du Saint-Siège. Donc de notre côté nous nous sommes déjà préparés à Rome pour la Cop22.
Eminence, vous êtes du Ghana, ce pays de quelque 26 millions d’habitants, avec plus de 70% de chrétiens, vous avez été archevêque de Cape Coast pendant dix-sept ans : quel accueil a été réservé à Laudato si’ chez vous ?
Une des premières réactions à la publication de Laudato si’ est venue du président du Ghana, par l’ambassadeur du Ghana près le Saint-Siège : le président a félicité le Saint-Père pour le document. Puis il est venu ici même à Paris, avant la conférence des Consciences pour le climat. Il s’est référé à l’avancée du désert du Sahara, qui est une grande menace, soulignant le besoin de maintenir les forêts.
Mais le Ghana s’appelait auparavant « Côte d’or », et il y a encore beaucoup d’or, pas dans la profondeur de la terre comme en Afrique du Sud, mais très près de la surface. Donc il y a beaucoup de gens qui font des trous, et en faisant des trous, on détruit les forêts. Ce n’est pas la bonne façon de protéger la forêt et de protéger la terre contre l’avancée du Sahara. Quand on trouve une mine, on coupe d’abord la forêt, et puis on creuse le sous-sol. A la fin on laisse un grand trou qu’on ne peut plus utiliser pour rien. C’est une grande menace qui facilite plutôt l’avancée du désert et le réchauffement climatique. C’est à cela qu’on assiste chez nous, malheureusement : on coupe encore les forêts. On vient chez nous chercher un bois qui s’appelle « Bois de Rose » (en anglais « rosewood », ndlr) et on le coupe librement.
Malheureusement le besoin économique dépasse le besoin de sauvegarder l’environnement, la terre. C’est nécessaire pour un pays comme le Ghana, mais il faut garder une sorte d’équilibre entre les deux, parce que, comme le dit l’encyclique, il faut penser : quel monde on va laisser aux générations futures. Il ne faut pas exploiter cela en ne laissant qu’un désert aux générations, il faut faire plus attention à la solidarité intergénérationnelle. Il y a en tous cas des nations qui ont pris conscience de tout cela.
J’ai assisté à un congrès en Zambie : la Conférence épiscopale a organisé un événement auquel ont été invitées certaines compagnies minières et le ministre de l’agriculture pour discuter. C’était une grande tentative de prendre conscience du lien entre les activités humaines, la sauvegarde de l’environnement, et le système économique du pays. C’est une initiative très louable. Il y a donc des pays où l’on prend conscience positivement de cette situation. Il y a aussi des pays qui doivent encore un petit peu se réveiller pour voir la menace.
Vous êtes aussi bibliste, peut être voudriez-vous confier à nos lecteurs une Parole de Dieu qui vous tient à cœur et une intention de prière ?
Je me souviens de certains versets du Livre des Proverbes. C’est la Sagesse personnifiée qui parle : « Je parle mais les gens ne m’écoutent pas. Et parce que vous ne m’écoutez pas, il va arriver un moment où moi je n’écouterai pas votre voix. » C’est une sorte de réciprocité : la Sagesse parle, elle essaye de donner un enseignement, et elle espère qu’il y aura une écoute. Mais malheureusement parfois, personne n’écoute sa voix. Je pense que c’est la situation du monde d’aujourd’hui. Il y a des personnes qui nous parlent comme la Sagesse. Le Saint-Père est une de ces voix. Il y en a plusieurs dans le monde qui essayent d’attirer l’attention sur ce qui se passe. Et je souhaite que même à Marrakech, comme ici l’an passé, il y ait des voix qui nous parlent comme la Sagesse. Et je souhaite qu’il y ait une écoute de toutes ces voix. Et dans ce sens ma prière c’est que nous réussissions à développer une écoute aux différentes voix de sagesse qui nous arrivent à notre époque.

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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