Le pape avant les jésuites du Bangladesh © laciviltacattolica.com

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Entre le pont et l’eau, ou quand le pape cite le Curé d’Ars et Vézelay

Conversations avec les jésuites de Birmanie et du Bangladesh

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Durant son 21e voyage apostolique en Birmanie et au Bangladesh (27 novembre-2 décembre 2017) le pape François a rencontré, comme de coutume, les communautés jésuites présentes dans ces pays. Parmi les thèmes abordés durant ces dialogues à bâtons rompus : la grâce de la « honte », le don des larmes, l’attitude juste face à la souffrance, la vocation jésuite…
Dans ces conversations transcrites par le p. Antonio Spadaro, directeur de la revue Civiltà cattolica, il a insisté sur la miséricorde en citant deux références françaises : une œuvre d’art à Vézelay et une parole de saint Jean-Marie Vianney, Curé d’Ars.
Le 29 novembre, à l’archevêché de Rangoun, devant 31 jésuites, le pape a en effet parlé de « l’astuce » de Dieu en commentant un tableau dans la basilique Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay, en France : « D’un côté de la chapelle il y a Judas pendu… mort. Et à côté de lui le démon est prêt à l’emporter. De l’autre côté de la chapelle, il y a la figure du Bon Pasteur, qui l’a attrapé, l’a mis sur ses épaules et l’a emmené. Ce sculpteur du 13e siècle était un artiste, mais dans son cœur c’était aussi un théologien. C’était un mystique. Et il était courageux. … Il a dit quelque chose qu’aucun de nous ne dirait officiellement : Dieu est intelligent. Dieu est malin. Et il est spécial. Si nous regardons attentivement les lèvres du Bon Pasteur, nous voyons qu’il porte un sourire qui plaisante, comme s’il disait au démon : “Je t’ai bien eu.” »
« Cela m’enseigne beaucoup, a confié le pape François. Il faut toujours espérer ». Et de citer aussi la réponse du Curé d’Ars à la veuve d’un homme qui s’était suicidé, craignant que son époux ne soit allé en enfer : « Entre le pont et l’eau, il y a la miséricorde de Dieu ». « N’oubliez jamais le mot miséricorde », a redit le pape.
Une grande honte
Le pape François a évoqué également les Birmans qui avaient fait une longue route pour participer aux rencontres avec lui, au prix de sacrifices : « Quand j’ai entendu cela… j’avoue que j’ai un grand sentiment de honte. Le peuple de Dieu nous enseigne des vertus héroïques. Et j’ai honte d’être le berger d’un people qui me dépasse en vertu, en soif de Dieu. »
« S’il existe une grâce que le jésuite doit demander, a-t-il ajouté, c’est la honte, une grande honte… C’est une grâce ! »
Ce voyage, a-t-il admis, était « très difficile » à entreprendre et même « risqué » mais « c’est justement parce que c’était difficile qu’il fallait que je le fasse !… Je suis venu parce que nous devons être aux carrefours de l’histoire ».
Dénonçant une nouvelle fois la situation des réfugiés, des victimes de trafics humains, des enfants exploités au travail, le pape s’est attristé des frontières fermées de certains pays européens : « Le plus douloureux est que pour prendre une telle décision ils ont dû fermer leurs cœurs. Et notre travail missionnaire doit aussi rejoindre ces cœurs qui sont fermés à l’accueil des autres… c’est un sérieux problème. Ce soir, nous allons dîner. Beaucoup de ces réfugiés n’ont qu’un morceau de pain pour dîner. »
Que peuvent faire les mots ?
Face à la souffrance, a-t-il assuré, « les réponses intellectuelles n’aident pas. Je ne suis pas anti-intellectuel… il faut beaucoup étudier mais… pour une mère qui a perdu son fils, pour un homme qui a perdu sa femme, son enfant, pour un homme malade… que peuvent faire les mots ? »
Comment aider ? « Rapproche-toi ! et pense à la façon dont cette personne peut t’aider. Rapproche-toi. Accompagne. Reste proche. » Le pape a recommandé « juste un regard… un sourire, serrer les mains, les bras, toucher… mais ne donnez pas d’explications ».
Il a encouragé par ailleurs à étudier les « racines du fondamentalisme », cette « attitude de l’âme qui se présente comme le juge des autres ».
Jésuites : discernement, inculturation
Le pape François s’est arrêté également sur la vocation des jésuites, insistant sur le discernement : « si vous rencontrez un jésuite en formation qui ne peut pas discerner, qui n’a pas appris le discernement et qui montre très peu d’intention de l’apprendre, même si c’est un excellent jeune homme, dites-lui de chercher une autre voie. Le jésuite doit être un maître du discernement, pour lui-même et pour les autres… Le critère vocationnel pour la Compagnie est ceci : le candidat peut-il discerner ? Apprendra-t-il à discerner ? »
Pour la mission, il a aussi plaidé pour un retour aux « racines » : « Où sont mes racines ? Ai-je des racines ? Mes racines sont-elles solides ou fragiles ? … Il n’y a pas de véritable amour s’il n’a pas de racines. »
« Nous ne pouvons pas penser à une mission… sans le mystère de l’Incarnation, a-t-il poursuivi. Le mystère de l’Incarnation éclaire complètement notre approche de la réalité et du monde, toute nos proximités aux peuples, aux cultures. La proximité chrétienne est toujours incarnée.… le jésuite est quelqu’un qui doit toujours se faire plus proche… pour regarder, pour écouter sans préjugés, mais mystiquement. »
« Regarder sans peur et regarder mystiquement » : pour le pape, « l’inculturation commence par cette façon de regarder. L’inculturation n’est pas une mode, non. C’est l’essence même de la Parole qui s’est faite chair, qui a pris notre culture, notre langage, notre chair, notre vie, et qui est morte. L’inculturation c’est prendre en considération la culture du peuple vers lequel je suis envoyé. »
La grâce des larmes
Enfin, au Bangladesh, le 1er décembre, dans la nonciature apostolique de Dacca, le pape a rencontré 13 jésuites présents dans le pays. Il a mentionné avec eux la situation de la minorité Rohingya persécutée en Birmanie, dont beaucoup ont fui au Bangladesh.
« Les scandales médiatiques aujourd’hui concernent les banques et pas les personnes, a-t-il déploré. Face à tout cela nous devons demander une grâce : pleurer. Le monde a perdu le don des larmes… L’impudence de notre monde est telle que la seule solution est de prier et de demander la grâce des larmes. »
Le pape a aussi souligné que les enfants communiquaient « la tendresse » : « la tendresse fait du bien dans ce monde cruel : nous en avons besoin ». « La sociologie est importante, oui, mais la prière compte plus, beaucoup plus », a-t-il aussi affirmé.

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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