Pour une Autorité financière et monétaire à compétence universelle

« Note » du Conseil pontifical justice et paix 

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ROME, Lundi 24 octobre 2011 (ZENIT.org) –« Pour une réforme du système financier et monétaire international dans la perspective d’une autorité publique à compétence universelle »: est le titre de cette « Note » publiée ce 24 octobre 2011 par le Conseil pontifical justice et paix ». Elle a été présentée ce matin à la presse, au Vatican, par le cardinal Turkson, président de ce dicastère.

Pour une Autorité publique à compétence universelle

Préface

«La situation actuelle du monde exige une action d’ensemble à partir d’une vision claire de tous les aspects économiques, sociaux, culturels et spirituels. Experte en humanité, l’Eglise, sans prétendre aucunement s’immiscer dans la politique des Etats, “ne vise qu’un seul but: continuer, sous l’impulsion de l’Esprit consolateur, l’œuvre même du Christ venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, pour sauver, non pour condamner, pour servir, non pour être servi”».

Dans l’encyclique « Populorum progressio » de 1967, prophétique et toujours actuelle, Paul VI traçait avec clarté «les trajectoires» du rapport intime de l’Eglise avec le monde: des trajectoires qui s’entrecoupent dans la valeur profonde de la dignité de l’homme et dans la recherche du bien commun, et qui rendent aussi les peuples responsables et libres d’agir selon leurs aspirations les plus élevées.

La crise économique et financière que traversent les pays incite tout le monde – les personnes et les peuples – à effectuer un discernement approfondi des principes et des valeurs culturelles et morales qui sont à la base de la vie sociale en commun. Mais pas seulement. La crise engage les agents privés et les autorités publiques compétentes au niveau national, régional et international, à une réflexion sérieuse sur les causes et les solutions de nature politique, économique et technique.

Benoît XVI enseigne que, dans cette perspective, la crise «nous oblige à reconsidérer notre itinéraire, à nous donner de nouvelles règles et à trouver de nouvelles formes d’engagement, à miser sur les expériences positives et à rejeter celles qui sont négatives. La crise devient ainsi une occasion de discernement et elle met en mesure d’élaborer de nouveaux projets. C’est dans cette optique que, confiants plutôt que résignés, il convient d’affronter les difficultés du moment présent».

Dans la Déclaration adoptée à Pittsburgh en 2009, les leaders du G20 eux-mêmes ont affirmé que «la crise économique prouve bien l’importance d’inaugurer une nouvelle ère, celle d’une activité économique mondiale durable, basée sur la responsabilité ».

Répondant à l’appel du Saint-Père et faisant nôtres en même temps les préoccupations des peuples – surtout de ceux qui paient le prix le plus élevé de la situation actuelle –, le Conseil pontifical «Justice et Paix», dans le respect des compétences des autorités civiles et politiques, entend proposer et partager ses réflexions «pour une réforme du système financier et monétaire international dans la perspective d’une autorité publique à compétence universelle».

Ce document veut être une contribution offerte aux responsables de la terre et à tous les hommes de bonne volonté; un geste de responsabilité non seulement envers les générations actuelles, mais surtout envers celles à venir, afin que ne se perdent jamais l’espérance d’un avenir meilleur et la confiance dans la dignité et la capacité de faire le bien de la personne humaine.

Chaque personne et chaque communauté de personnes participe à la promotion du bien commun et en est responsable. Fidèles à leur vocation de nature éthique et religieuse, les communautés de croyants doivent être les premières à s’interroger sur l’idonéité des moyens dont dispose la famille humaine afin de réaliser le bien commun mondial. Pour sa part, l’Eglise est appelée à encourager chez tous les hommes et dans chacun d’eux indistinctement la volonté de participer «à ce gigantesque effort par lequel les hommes, tout au long des siècles, s’acharnent à améliorer leurs conditions de vie, selon le dessein de Dieu».

Développement économique et inégalités

Nombreuses sont les causes de la grave crise économique et financière que traverse le monde aujourd’hui, et les opinions sur le nombre et le poids de ces causes sont très variées: certains soulignent en premier les erreurs inhérentes aux politiques économiques et financières; d’autres insistent sur les faiblesses structurelles des institutions politiques, économiques et financières; d’autres encore les attribuent à des fléchissements de nature éthique survenus à tous les niveaux, dans le cadre d’une économie mondiale toujours plus dominée par l’utilitarisme et le matérialisme. Dans les différentes phases du développement de la crise, on retrouve toujours une combinaison d’erreurs techniques et de responsabilités morales.

Dans le cas des échanges de biens matériels, ce sont la nature et la capacité de production, ainsi que le travail sous ses nombreuses formes, qui fixent une limite aux quantités, en déterminant ainsi un ensemble de coûts et de prix qui, à certaines conditions, permet une affectation efficace des ressources disponibles.

Mais, en matière de monnaie et de finances, les dynamiques sont bien différentes. Au cours des dernières décennies, ce sont les banques qui ont fixé le crédit, celui-ci engendrant ensuite la monnaie qui, à son tour, a demandé une expansion ultérieure du crédit. Ainsi, le système économique a été poussé vers une spirale inflationniste qui, inévitablement, s’est trouvée limitée par le risque pouvant être supporté par les instituts de crédit qui se trouvaient soumis au nouveau danger de faillite, avec des conséquences négatives pour l’ensemble du système économique et financier.

Après la deuxième guerre mondiale, les économies nationales ont progressé, bien qu’avec d’énormes sacrifices de la part de millions et même de milliards de personnes qui, par leur comportement, en tant que producteurs et entrepreneurs d’une part, et de consommateurs et épargnants d’autre part, avaient eu confiance en un développement progressif et régulier de la monnaie et de la finance dans la ligne des possibilités de croissance réelle de l’économie.

Au siècle dernier, à partir des années 90, on a constaté que la monnaie et les titres de crédit au niveau mondial ont augmenté plus rapidement que la production des revenus, et de même pour les prix courants, ce qui a provoqué la formation de poches excessives de liquidité et de bulles spéculatives, transformées ensuite en une série de crises de solvabilité et de confiance qui se sont diffusées et poursuivies dans les années suivantes.

Une première crise a sévi dans les années 70, jusqu’au début de la décennie suivante, du fait des prix du pétrole. Puis ce sont les pays en voie de développement qui ont connu toute une série de crises. Il suffit de penser à la première crise que le Mexique a vécue dans les années 80, à celles du Brésil, de la Russie et de la Corée, puis à nouveau du Mexique dans les années 90, de la Thaïlande et de l’Argentine.

La bulle spéculative sur les immeubles et la crise financière récente ont la même origine : le montant excessif de monnaie et d’instruments financiers au niveau mondial.

Tandis que les crises dans les pays en voie de développement – qui ont risqué d’impliquer l’ensemble du système monétaire et financier – ont été contenues grâce à des formes d’interventions de la part des pays plus développés, celle qui a éclaté en 2008 a été caractérisée par un facteur décisif et explosif par rapport aux précédent
es. Elle est née dans le contexte des Etats-Unis, l’une des zones les plus importantes pour l’économie et la finance mondiales et elle a impliqué la monnaie servant aujourd’hui encore de référence à la plus grande partie des échanges internationaux.

Une orientation de style libéral – réticente à l’égard des interventions publiques dans les marchés – a fait opter pour la faillite d’un institut international important : on pensait pouvoir ainsi limiter la crise et ses effets. Ce qui, hélas, a entraîné la propagation du manque de confiance, qui a induit des changements soudains d’attitudes réclamant des interventions publiques sous formes différentes et de vaste portée (plus de 20 % du produit national) afin de tamponner les effets négatifs qui auraient emporté la totalité du système financier international.

Les conséquences sur ce qu’on appelle l’économie «réelle», en passant par les graves difficultés de certains secteurs – en premier lieu la construction –, et la diffusion d’une prévision défavorable, ont engendré une tendance négative de la production et du commerce international, avec de graves répercussions sur l’emploi, et des effets qui, probablement, n’ont pas encore donné toute leur mesure. Les coûts pour des millions et même des milliards de personnes, dans les pays développés mais surtout dans ceux en voie de développement, sont très importants.

Dans des pays où manquent encore les biens les plus élémentaires de la santé, de l’alimentation et de la protection contre les intempéries, plus d’un milliard de personnes doivent survivre avec un revenu moyen inférieur à un dollar par jour.

Le bien-être économique mondial, mesuré en premier lieu par la production du revenu, mais aussi par la diffusion des « possibilités », a augmenté au cours de la seconde moitié du XXème siècle, et ceci avec une vitesse jamais expérimentée auparavant dans l’histoire des hommes.

Cependant, les inégalités aussi ont augmenté de façon considérable au sein des différents pays, et entre eux. Tandis que certains pays et certaines zones économiques – les plus industrialisés et développés – ont vu s’accroître considérablement la production du revenu, d’autres ont en effet été exclus du processus d’amélioration généralisé de l’économie et ont même vu leur situation empirer.

Les dangers d’une situation de développement économique conçu en termes libéraux ont déjà été dénoncés avec lucidité et de façon prophétique par Paul VI – en raison de leurs conséquences néfastes sur les équilibres mondiaux et sur la paix – dès 1967, après le Concile Vatican II, dans son encyclique « Populorum progressio ». Le Souverain Pontife avait indiqué la défense de la vie et la promotion de la croissance culturelle et morale des personnes comme étant les conditions incontournables pour la promotion d’un développement authentique. C’est sur de telles bases qu’il affirmait: le développement total et planétaire «est le nouveau nom de la paix».

Quarante ans plus tard, en 2007, dans son Rapport annuel, le Fonds monétaire international reconnaissait le lien étroit entre le processus de la mondialisation géré de façon inadaptée d’une part et, de l’autre, les importantes inégalités au niveau mondial. Aujourd’hui, ces fortes inégalités économiques, sociales et culturelles qui se sont déterminées au niveau mondial sont mises sous les yeux de tous les peuples, riches et pauvres, par les moyens de communication modernes, faisant naître des tensions et d’importants mouvements migratoires.

Toutefois, il faut réaffirmer que le processus de mondialisation, avec ses aspects positifs, est à la base du développement important de l’économie mondiale du XXe siècle. Il convient de rappeler qu’entre 1900 et 2000, la population mondiale a presque quadruplé et que la richesse produite à l’échelle mondiale s’est accrue de manière beaucoup plus rapide, ce qui a entraîné une forte augmentation du revenu moyen par habitant. Au même temps, toutefois, la distribution équitable de la richesse ne s’est pas améliorée, au contraire, souvent elle s’est aggravée.

Mais qu’est-ce qui a donc poussé le monde dans une direction aussi problématique, y compris pour la paix?

Avant tout, un libéralisme économique sans règles ni contrôles. Il s’agit d’une idéologie, d’une forme d’«apriorisme économique » qui prétend tirer de la théorie les lois de fonctionnement du marché et celles appelées lois du développement capitaliste, en en exaspérant certains aspects. Une idéologie économique qui fixe a priori les lois du fonctionnement du marché et du développement économique sans se confronter à la réalité risque de devenir un instrument subordonné aux intérêts des pays qui jouissent concrètement d’une position avantageuse au plan économique et financier.

Bien qu’imparfaits, au niveau national et régional, il existe déjà souvent des règles et des contrôles; toutefois, au niveau international, ces règles et ces contrôles ont des difficultés à être appliqués et consolidés.

A la base des inégalités et des distorsions du développement capitaliste, on trouve en grande partie, en plus de l’idéologie du libéralisme économique, l’idéologie utilitariste, c’est-à-dire l’organisation théorique et pratique selon laquelle «ce qui est utile au plan personnel conduit au bien de la communauté». Il est à noter qu’une telle «maxime» renferme un fond de vérité, mais on ne peut ignorer que l’utilité individuelle – même si elle est légitime – ne favorise pas toujours le bien commun. Plus d’une fois, un esprit de solidarité est nécessaire, qui transcende l’utilité personnelle pour le bien de la communauté.

Dans les années 20 du siècle dernier, certains économistes avaient déjà mis en garde, en absence de règles et de contrôles, contre le fait d’accorder un crédit excessif aux théories devenues des idéologies et des pratiques dominantes au niveau international.

Un effet dévastateur de ces idéologies – surtout dans les dernières décennies du siècle dernier et dans les premières années du nouveau siècle – a été l’éclatement de la crise dans laquelle le monde se trouve plongé encore aujourd’hui.

Dans son encyclique sociale, Benoît XVI a identifié très précisément les racines d’une crise qui n’est pas seulement de nature économique et financière, mais avant tout de nature morale. En effet, observe le Souverain Pontife, pour fonctionner correctement, l’économie a besoin de l’éthique; non pas d’une éthique quelconque, mais d’une éthique amie de la personne. Il dénonce ensuite le rôle joué par l’utilitarisme et par l’individualisme, ainsi que les responsabilités de ceux qui les assument et les diffusent en tant que paramètres pour le comportement optimal de tous ceux – agents économiques et politiques – qui agissent et interagissent dans le contexte social. Mais Benoît XVI a également identifié et dénoncé une nouvelle idéologie: celle de la «technocratie».

Le rôle de la technique et le défi éthique

Avec, certes, ses lumières mais aussi ses graves cônes d’ombre, l’important développement économique et social du siècle dernier est dû en grande partie au développement continuel de la technique et, dans les décennies plus récentes, aux progrès de l’informatique et de ses applications, à l’économie et, en premier lieu, à la finance.

Pour interpréter avec lucidité la nouvelle question sociale actuelle, il faut cependant éviter de tomber dans l’erreur, fille elle aussi de l’idéologie néolibérale, selon laquelle les problèmes à affronter sont exclusivement d’ordre technique. En tant que tels, ils échapperaient à la nécessité d’un discernement et d’une évaluation de type éthique. Ainsi, l’enc
yclique de Benoît XVI met ici en garde contre les dangers de l’idéologie de la technocratie, c’est-à-dire le danger de rendre absolue cette technique qui «tend à provoquer une incapacité à percevoir ce qui ne s’explique pas par la simple matière» et à minimiser la valeur des choix de l’individu humain concret qui œuvre dans le système économique et financier, en les réduisant à de simples techniques variables. Non seulement la fermeture a un «au-delà», compris comme un «plus» par rapport à la technique, aboutissant à l’impossibilité de trouver les solutions adéquates aux problèmes, mais elle appauvrit toujours davantage les principales victimes de la crise au plan matériel.

Dans le contexte aussi de la complexité des phénomènes, l’importance des facteurs éthiques et culturels ne peut donc pas être négligée ou sous-estimée. En effet, la crise a révélé des attitudes d’égoïsme, de cupidité collective et d’accaparement des biens sur une vaste échelle. Personne ne peut se résigner à voir l’homme vivre comme «un loup pour l’homme», selon le concept mis en évidence par Hobbes. En conscience, personne ne peut accepter le développement de certains pays au détriment d’autres pays. Si aucun remède n’est apporté aux différentes formes d’injustice, les effets négatifs qui en dériveront au plan social, politique et économique seront destinés à engendrer un climat d’hostilité croissante et même de violence, jusqu’à miner les bases mêmes des institutions démocratiques, celles qui sont également considérées comme les plus solides et les plus sûres.

A partir de la reconnaissance de la primauté de l’être sur l’avoir, et de l’éthique sur l’économie, les peuples de la terre devraient, comme étant l’âme de leur action, assumer une éthique de la solidarité, en abandonnant toute forme d’égoïsme mesquin et en embrassant la logique du bien commun mondial qui transcende le simple intérêt contingent et particulier. En définitive, ils devraient vivre le sentiment d’appartenir à la famille humaine au nom de la dignité commune de tous les êtres humains: «Avant même la logique des échanges à parité et des formes de la justice qui les régissent, il y a un certain « dû » à l’homme parce qu’il est homme, en raison de son éminente dignité».

En 1991 déjà, après l’échec du collectivisme marxiste, le bienheureux Jean-Paul II avait mis en garde contre le risque d’«idolâtrie» du marché qui ignore l’existence des biens qui, par leur nature, ne sont et ne peuvent être de simples marchandises». Aujourd’hui, il faut recueillir son avertissement sans tarder et s’acheminer sur une voie qui soit davantage en syntonie avec la dignité et la vocation transcendante de la personne et de la famille humaine.

Le gouvernement de la mondialisation

Sur le chemin de la construction d’une famille humaine plus fraternelle et plus juste et, avant encore, d’un nouvel humanisme ouvert à la transcendance, l’enseignement du bienheureux Jean XXIII semble particulièrement actuel. Dans la Lettre encyclique prophétique « Pacem in terris », de 1963, il faisait observer que le monde s’acheminait vers une plus grande unification. Il prenait donc acte du fait que, dans la communauté humaine, la correspondance entre l’organisation politique «sur le plan mondial et les exigences objectives du bien commun universel» venait à manquer. Aussi souhaitait-il que soit un jour créée «une Autorité publique mondiale».

Face à l’unification du monde liée au phénomène complexe de la mondialisation, et face aussi à l’importance de garantir, outre les autres biens collectifs, celui représenté par un système économique et financier mondial libre, stable et au service de l’économie réelle, l’enseignement de « Pacem in terris » apparaît aujourd’hui encore plus vital et digne d’être concrétisé de façon urgente.

Dans le sillage de « Pacem in terris », Benoît XVI aussi a exprimé la nécessité de constituer une Autorité politique mondiale. Du reste, cette nécessité apparaît avec évidence si l’on pense au fait que le programme des questions devant être traitées au niveau mondial devient toujours plus dense. Il suffit de penser, par exemple, à la paix et à la sécurité; au désarmement et au contrôle des armements; à la promotion et à la sauvegarde des droits fondamentaux de l’homme; au gouvernement de l’économie et aux politiques de développement; à la gestion des flux migratoires et à la sécurité alimentaire; à la sauvegarde de l’environnement. Dans tous ces domaines, apparaissent toujours plus évidentes l’indépendance croissante entre les Etats et les régions du monde, et la nécessité d’avoir des réponses, non seulement sectorielles et isolées, mais aussi systématiques et intégrées, s’inspirant de la solidarité et de la subsidiarité et orientées vers le bien commun universel.

Comme le rappelle Benoît XVI, si ce n’est pas ce chemin qui est entrepris, «le droit international, malgré les grands progrès accomplis dans divers domaines, risquerait en fait d’être conditionné par les équilibres de pouvoir entre les plus puissants».

Ainsi que le rappelait déjà Jean XXIII dans « Pacem in terris », le but de l’Autorité publique est avant tout de servir le bien commun. Aussi doit-elle se doter de structures et de mécanismes adéquats, efficaces, c’est-à-dire qui soient à la hauteur de sa mission et des attentes dont elle est dépositaire. Ceci est particulièrement vrai au sein d’un univers mondialisé qui rend les personnes et les peuples toujours plus reliés entre eux et interdépendants mais qui montre aussi l’existence de marchés monétaires et financiers à caractère principalement spéculatif, nocifs pour l’économie «réelle», surtout celle des pays faibles.

Il s’agit d’un processus complexe et délicat. Une telle Autorité supranationale doit en effet être structurée de façon réaliste et mise en œuvre progressivement; elle a pour but de favoriser l’existence de systèmes monétaires et financiers efficients et efficaces, c’est-à-dire de marchés libres et stables, disciplinés par un ordonnancement juridique approprié, assurant un développement durable et le progrès social de tous, et s’inspirant des valeurs de la charité et de la vérité. Il s’agit d’une Autorité à dimension planétaire, qui ne peut être imposée par la force, mais doit être l’expression d’un accord libre et partagé, en plus des exigences permanentes et historiques du bien commun mondial, et non le fruit de contraintes ou de violences. Elle devrait résulter d’un processus de maturation progressive des consciences et des libertés, ainsi que de la conscience de responsabilités toujours croissantes. En conséquence, la confiance réciproque, l’autonomie et la participation ne doivent pas être négligées comme étant des éléments superflus. Le consentement doit impliquer un nombre toujours plus grand de pays adhérant avec conviction, à travers le dialogue sincère qui ne marginalise pas mais met en valeur les opinions minoritaires. L’Autorité mondiale devrait donc impliquer tous les peuples de façon cohérente, dans une collaboration au sein de laquelle ils sont appelés à contribuer, avec le patrimoine de leurs vertus et de leurs civilisations.

La constitution d’une Autorité politique mondiale devrait être précédée d’une phase préliminaire de concertation, dont émergera une institution légitimée, apte à offrir un guide efficace et à permettre en même temps à chaque pays d’exprimer et de poursuivre son bien propre. L’exercice d’une telle Autorité placée au service du bien de tous et de chacun sera obligatoirement super partes, c’est-à-dire au-dessus de toutes les visions partielles et de chaque bien particulier, en vue de la réalisation du bien commun. Ses décisions ne devront pas être le ré
sultat de la toute-puissance des pays plus développés sur les pays plus faibles. Elles devront, au contraire, être assumées dans l’intérêt de tous et pas seulement au bénéfice de certains groupes, que ceux-ci soient formés de lobbies privés ou de gouvernements nationaux.

Par ailleurs, une Institution supranationale, expression d’une «communauté des nations», ne pourrait pas exister longtemps si, au plan des cultures, des ressources matérielles et immatérielles, des conditions historiques et géographiques, les diversités des pays n’étaient pas reconnues ou pleinement respectées. L’absence d’un consensus convaincu, nourri par une communion morale permanente de la communauté mondiale, affaiblirait l’efficacité de l’Autorité correspondante.

Ce qui est valable au niveau national l’est aussi au niveau mondial. La personne n’est pas faite pour servir l’Autorité sans condition, cette dernière ayant pour tâche de se mettre à son service, en cohérence avec la valeur prééminente de la dignité de l’homme. De même, les gouvernements ne doivent pas servir l’Autorité mondiale inconditionnellement. C’est plutôt celle-ci qui doit se placer au service des différents pays membres, selon le principe de subsidiarité, en créant, entre autres, les conditions socio-économiques, politiques et juridiques indispensables aussi à l’existence de marchés efficients et efficaces, parce que super-protégés par des politiques nationales paternalistes, et parce que n’étant pas affaiblis par les déficits systématiques des finances publiques et des produits nationaux qui, en fait, empêchent les marchés eux-mêmes d’opérer dans un contexte mondial en tant qu’institutions ouvertes et concurrentielles.

Dans la tradition du Magistère de l’Eglise, reprise avec force par Benoît XVI, le principe de subsidiarité doit régler les relations entre l’Etat et les communautés locales, entre les institutions publiques et les institutions privées, y compris monétaires et financières. Ainsi, à un niveau ultérieur, il doit régir les relations entre une future Autorité publique mondiale et les institutions régionales et nationales. Un tel principe garantit la légitimité démocratique mais aussi l’efficacité des décisions de ceux qui sont appelés à les prendre. Il permet de respecter la liberté des personnes, individuellement et dans les communautés, et, en même temps, de les responsabiliser quant aux objectifs et aux devoirs qui sont les leurs.

Selon la logique de la subsidiarité, l’Autorité supérieure offre son « subsidium », c’est-à-dire son aide, lorsque la personne et les acteurs sociaux et financiers sont intrinsèquement inadéquats ou ne parviennent pas à réaliser eux-mêmes ce qui leur est demandé. C’est grâce au principe de solidarité que se construit un rapport durable et fécond entre la société civile planétaire et une Autorité publique mondiale, lorsque les Etats, les corps intermédiaires, les différentes institutions – y compris économiques et financières – et les citoyens prennent leurs décisions dans la perspective du bien commun mondial, qui transcende le bien national.

On lit dans « Caritas in veritate »: « La gouvernance de la mondialisation doit être de nature subsidiaire, articulée à de multiples niveaux et sur divers plans qui collaborent entre eux». C’est ainsi seulement que l’on peut éviter le danger de l’isolement bureaucratique de l’Autorité centrale, qui risquerait d’être délégitimée par un trop grand détachement des réalités sur lesquelles elle est basée, et pourrait aisément céder aux tentations paternalistes, technocratiques ou hégémoniques.

Il reste toutefois un long chemin à parcourir avant d’arriver à la constitution d’une telle Autorité publique à compétence universelle. La logique voudrait que le processus de réforme se développe en ayant comme référence l’Organisation des Nations unies, en raison de la dimension mondiale de ses responsabilités, de sa capacité de réunir les nations de la terre, et de la diversité de ses tâches et de celles de ses Agences spécialisées. Le fruit de ces réformes devrait être une plus grande capacité dans l’adoption des politiques et des choix contraignants parce qu’orientés vers la réalisation du bien commun au niveau local, régional et mondial. Parmi les politiques paraissant les plus urgentes, il y a celles qui sont relatives à la justice sociale mondiale: des politiques financières et monétaires qui ne nuisent pas aux pays les plus faibles; des politiques désireuses de réaliser des marchés libres et stables et une juste distribution de la richesse mondiale, grâce aussi à des formes inédites de solidarité fiscale mondiale, dont il sera parlé plus loin.

Sur la route de la constitution d’une Autorité politique mondiale, il est impossible de séparer les questions de gouvernance (c’est-à-dire d’un système de simple coordination horizontale sans une Autorité super partes) d’avec celles d’un « gouvernement partagé» (c’est-à-dire d’un système qui, en plus de la coordination horizontale, instaure une Autorité super partes) fonctionnel et proportionnel au développement progressif d’une société politique mondiale. La constitution d’une Autorité politique mondiale ne peut être réalisée si le multilatéralisme n’est pas d’abord pratiqué, non seulement au niveau diplomatique, mais aussi et surtout dans le cadre des programmes en vue d’un développement durable et de la paix. On ne peut parvenir à l’instauration d’un Gouvernement mondial si ce n’est en donnant une expression politique à des interdépendances et des coopérations préexistantes.

Vers une réforme du système financier et monétaire international capable de satisfaire les exigences de tous les peuples

En matière économique et financière, les difficultés les plus importantes viennent de l’absence d’un ensemble efficace de structures capable de garantir, en plus d’un système de « gouvernance », un système de « gouvernement » de l’économie et de la finance internationale.

Que dire sur cette perspective ?

Quelles initiatives prendre concrètement ?

A propos du système économique et financier mondial actuel, deux facteurs déterminants doivent être mis en évidence : le premier, c’est la diminution progressive de l’efficacité des institutions de Bretton Woods, à partir du début des années 70. En particulier, le Fonds monétaire international a perdu un caractère essentiel pour la stabilité de la finance mondiale : celui de réguler la création globale de monnaie et de veiller sur le montant du risque de crédit que le système assume. En définitive, on ne dispose plus de ce « bien public universel » qu’est la stabilité du système monétaire mondial.

Le second facteur est la nécessité d’un « corpus » minimum, partagé, de règles nécessaires à la gestion du marché financier mondial, dont la croissance est celle de l’économie « réelle » du fait qu’il s’est développé rapidement en raison, d’une part, de l’abrogation généralisée des contrôles sur les mouvements de capitaux et de la tendance à la déréglementation des activités bancaires et financières, et d’autre part, des progrès de la technique financière, favorisés par les instruments informatiques.

Au plan structurel, dans la dernière partie du siècle dernier, la monnaie et les activités financières se sont développées au niveau mondial bien plus rapidement que la production de biens et de services. Dans un tel contexte, la qualité du crédit a tendu à diminuer jusqu’à exposer les instituts à un risque plus grand que celui qui pouvait être raisonnablement supporté. Il suffit de considérer le sort connu par les petits et les grands instituts de crédit dans le contexte des crises qui se sont manifestées dans les années 80 et 90 du siècle der
nier, et enfin dans la crise de 2008.

Toujours dans la dernière partie du XXe siècle, on a vu se développer la tendance à définir les orientations stratégiques de la politique économique et financière dans le cadre de clubs et de groupes plus ou moins grands de pays plus développés. Sans nier les aspects positifs de cette approche, on ne peut pas ne pas remarquer qu’elle ne semble pas respecter pleinement le principe représentatif, en particulier des pays moins développés ou émergents.

La nécessité de tenir compte de la voix d’un plus grand nombre de pays a conduit, par exemple, à l’élargissement des groupes en question, en passant ainsi du G7 au G20. C’est une évolution positive, du fait qu’elle a permis d’impliquer dans les orientations de l’économie et de la finance mondiale la responsabilité de pays à plus forte population, en voie de développement et émergents.

Dans le cadre du G20, il est donc possible de mûrir des directives concrètes qui, si elles sont élaborées de façon opportune dans les lieux techniques appropriés, peuvent orienter les organes compétents au niveau national et régional vers le consolidement des institutions existantes et vers la création de nouvelles institutions, avec des instruments appropriés et efficaces au niveau international.

Dans la Déclaration finale de Pittsburgh de 2009, les leaders du G20 ont eux-mêmes affirmé que « la crise économique témoigne de l’importance de mettre sur pied une nouvelle ère de l’économie mondiale fondée sur la responsabilité ». Pour faire face à la crise et ouvrir une nouvelle ère « de la responsabilité », les leaders avancent, en plus des mesures de type technique et à court terme, la proposition d’une « réforme de l’architecture mondiale pour faire face aux exigences du XXIe siècle » ; et donc celle d’un « cadre qui permette de définir les politiques et les mesures communes pour engendrer un développement mondial solide, durable et équilibré ».

Un processus de réflexion approfondie et de réformes doit donc être entamé, en parcourant des voies créatives et réalistes tendant à mettre en valeur les aspects positifs des forums qui existent déjà.

Une attention spécifique devrait être réservée à la réforme du système monétaire international, et plus particulièrement à l’engagement de créer une forme de contrôle monétaire mondial quel qu’il soit, par ailleurs déjà implicite dans les Statuts du Fonds monétaire international. Il est clair que cela équivaut, dans une certaine mesure, à remettre en question le système des changes existants afin de trouver les modes efficaces de coordination et de supervision. C’est un processus qui doit aussi impliquer les pays émergents et en voie de développement, dans la définition des étapes d’une adaptation graduelle des instruments existants.

On voit, sur le fond, se dessiner la perspective de l’exigence d’un organisme assurant les fonctions d’une sorte de « Banque centrale mondiale » réglementant le flux et le système des échanges monétaires, à la manière des Banques centrales nationales. Il faut redécouvrir la logique de fond – de paix, de coordination et de perspective commune – qui avait conduit aux Accords de Bretton Woods, afin de fournir des réponses adéquates aux questions actuelles. Au niveau régional, un tel processus pourrait être mis en œuvre avec la mise ne valeur des institutions existant, comme par exemple la Banque centrale européenne. Toutefois, cela nécessiterait une réflexion au plan économique et financier, mais aussi et avant tout au plan politique, en vue de constituer des institutions publiques correspondantes qui garantissent l’unité et la cohérence des décisions communes.

Ces mesures devraient être conçues comme les premiers pas vers une Autorité publique à compétence universelle,comme une première étape d’un effort plus prolongé de la communauté mondiale pour orienter ses institutions vers la réalisation du bien commun. D’autres étapes devront suivre, en tenant compte de ce que les dynamiques que nous connaissons peuvent s’accentuer, mais aussi être accompagnées de changements qu’il serait vain de prévoir aujourd’hui.

Dans un tel processus, il est nécessaire de retrouver le primat du spirituel et de l’éthique et, en même temps, de la politique – responsable du bien commun – sur l’économie et la finance. Celles-ci doivent, au vu de leurs responsabilités évidentes envers la société, être ramenées dans les limites de leur vocation et de leur fonction réelles, y compris sociale, afin de donner vie à des marchés et des institutions financières qui soient véritablement au service de la personne, c’est-à-dire capables de répondre aux exigences du bien commun et de la fraternité universelle, en transcendant toutes les formes de stagnation économique et de mercantilisme performatif.

Aussi, sur la base d’une telle approche de type éthique, apparaît-il opportun de réfléchir, par exemple à:

des mesures de taxation des transactions financières, avec l’application de taux justes d’impôt, avec des charges proportionnées à la complexité des opérations, surtout de celles réalisées dans le marché « secondaire ». Une telle taxation serait très utile pour promouvoir le développement mondial et durable selon les principes de la justice sociale et de la solidarité, et elle pourrait contribuer à la constitution d’une réserve mondiale destinée à soutenir les économies des pays touchés par la crise, ainsi que la restauration de leur système monétaire et financier ;

des formes de recapitalisation des banques avec aussi des fonds publics, en mettant comme condition à ce soutien un comportement « vertueux » et visant à développer l’économie « réelle » ;

la définition du cadre de l’activité de crédit ordinaire et des banques d’investissement. Une telle distinction permettrait d’instaurer une discipline plus efficace des « marchés occultes » privés de tout contrôle et de toute limite.

Un sain réalisme demanderait du temps, nécessaire pour construire d’amples consensus, mais le bien commun universel est toujours présent à l’horizon, avec ses exigences inéluctables. Aussi est-il souhaitable que tous ceux qui, dans les universités et les différents instituts, sont appelés à former les classes dirigeantes de demain se consacrent à les préparer à leurs responsabilités, qui sont celles de discerner et de servir le bien public mondial, dans un monde en constante mutation. Il est nécessaire de combler le fossé entre la formation éthique et la préparation technique, en soulignant particulièrement la synergie inévitable qui existe entre le plan de la « praxis » et celui de la « poièsis ».

Un effort identique est demandé à tous ceux qui peuvent éclairer l’opinion publique mondiale, afin de l’aider à affronter ce monde nouveau, non plus dans l’angoisse, mais dans l’espérance et la solidarité.

Conclusions

Avec les incertitudes actuelles, dans une société capable de mobiliser des moyens importants, mais où la réflexion au plan culturel et moral reste inadéquate quant à leur utilisation pour réaliser des objectifs appropriés, nous sommes invités à ne pas renoncer, et surtout à construire un avenir de sens pour les générations futures. Il ne faut pas avoir peur de proposer des nouveautés, même si elles peuvent déstabiliser les équilibres de forces préexistantes qui dominent sur les plus faibles. Elles sont la graine qui, mise en terre, germera et ne tardera pas à porter ses fruits.

Comme Benoît XVI a exhorté, il est indispensable de trouver des agents à tous les niveaux – social, politique, économique, professionnel – mus par le courage de servir et de promouvoir le bien commun grâce à une bonne vie. Eux seuls réussiront à vivre et à voir au-
delà des apparences, en percevant le fossé qui existe entre ce qui est réel et qui existe déjà, et ce qui est possible mais jamais expérimenté.

Paul VI a souligné la force révolutionnaire de l’« imagination prospective », capable de percevoir dans le présent les possibilités qui y sont inscrites, et d’orienter les hommes vers un avenir nouveau. En libérant son imagination, l’homme libère son existence. Il est possible, grâce à un engagement d’imagination communautaire, de transformer non seulement les institutions, mais aussi les styles de vie, et de susciter un avenir meilleur pour tous les peuples.

Au cours des siècles, les Etats modernes sont devenus des ensembles structurés, concentrant leur souveraineté dans les limites de leur territoire. Et les situations sociales, culturelles et politiques se sont transformées progressivement. Leur indépendance s’est accrue – de sorte qu’il est devenu naturel de penser à une communauté internationale intégrée et toujours plus dirigée par un système partagé – mais une forme corrompue de nationalisme est restée, selon lequel l’Etat estime pouvoir, de façon autarcique, réaliser le bien de ses concitoyens.

Aujourd’hui, tout cela semble surréaliste et anachronique. Aujourd’hui, toutes les Nations, petites ou grandes, de même que leurs gouvernements, sont appelées à dépasser cette « situation de nature » qui voit les Etats luttant entre eux en permanence. Malgré certains de ses aspects négatifs, la mondialisation réunit davantage les peuples, les incitant à s’orienter vers un nouvel « Etat de droit » au niveau supranational, une situation soutenue par une collaboration plus intense et plus féconde. Suivant une dynamique analogue à celle qui, dans le passé, a mis fin à la lutte « anarchique » entre les clans et les royaumes rivaux, en vue de la constitution d’Etats nationaux, l’humanité doit aujourd’hui s’engager dans la transition entre une situation de luttes archaïques entre les entités nationales et un nouveau modèle de société internationale plus unie, polyarchique, respectueuse de l’identité de chaque peuple, dans le cadre de la richesse variée d’une unique humanité. Un tel passage, qui a d’ailleurs déjà timidement commencé, assurerait aux citoyens de tous les pays – quelles qu’en soient la dimension ou la puissance – la paix et la sécurité, le développement, des marchés libres, stables et transparents. Selon Jean-Paul II, « de même qu’à l’intérieur des Etats … le système de la vengeance privée et des représailles a été remplacé par l’autorité de la loi, de même il est maintenant urgent qu’un progrès semblable soit réalisé dans la communauté internationale ».

Le temps est venu de concevoir des institutions ayant une compétence universelle lorsque des biens vitaux et partagés de toute la famille humaine sont en jeu, des biens que les Etats individuellement sont incapables de promouvoir et de protéger par eux-mêmes.

Les conditions sont réunies pour dépasser un ordre international « westphalien », dans lequel les Etats ressentent l’exigence de la coopération mais sans saisir l’occasion d’intégrer les souverainetés respectives pour le bien commun des peuples.

Il revient aux générations actuelles de reconnaître et d’accepter en toute conscience cette nouvelle dynamique mondiale vers la réalisation d’un bien commun universel. Certes, cette transformation s’effectuera au prix d’un transfert, graduel et équilibré, d’une partie des attributions nationales à une Autorité mondiale et aux Autorités régionales, ce qui s’avère nécessaire à un moment où le dynamisme de la société humaine et de l’économie, ainsi que le progrès de la technologie, transcendent les frontières qui se trouvent en fait déjà érodées dans l’univers mondialisé.

La conception d’une nouvelle société et la construction de nouvelles institutions ayant une vocation et une compétence universelles sont une prérogative et un devoir pour tous, sans aucune distinction. C’est le bien commun et l’avenir même de l’humanité qui sont en jeu.

Dans ce contexte, chaque chrétien est spécialement appelé par l’Esprit à s’engager, avec décision et générosité, afin que les nombreuses dynamiques à l’œuvre s’orientent vers des perspectives de fraternité et vers le bien commun. D’immenses chantiers d’activité s’ouvrent pour le développement intégral des peuples et de chaque personne. Comme l’affirment les Pères du Concile Vatican II, il s’agit d’une mission à la fois sociale et spirituelle, qui « a … beaucoup d’importance pour le Royaume de Dieu, dans la mesure où (elle) peut contribuer à une meilleure organisation de la société humaine ».

Dans un monde en voie de mondialisation rapide, la référence à une Autorité mondiale devient le seul horizon compatible avec les nouvelles réalités de notre époque et avec les besoins de l’espèce humaine. Toutefois, il ne faut pas oublier que, du fait de la nature blessée des hommes, cela ne se fait pas sans angoisses ni souffrances.

Dans le récit de la Tour de Babel (Gn 11,1-9), la Bible lance un avertissement à propos de la façon dont la « diversité » des peuples peut se transformer en un véhicule d’égoïsme et un instrument de division. Dans l’humanité, le risque existe bien que les peuples finissent par ne plus se comprendre et que les diversités culturelles provoquent des oppositions inguérissables. Le mythe de la Tour de Babel nous prévient aussi qu’il faut bien se garder d’une « unité » de façade seulement, qui est toujours le siège d’égoïsmes et de divisions, du fait de l’instabilité des bases de la société. Dans les deux cas, Babel est l’image de ce que les peuples et les individus peuvent devenir lorsqu’ils ne reconnaissent pas leur dignité transcendante intrinsèque et leur fraternité.

L’esprit de Babel est l’antithèse de l’Esprit de la Pentecôte (Ac 2, 1-12), du dessein de Dieu pour toute l’humanité, c’est-à-dire de l’unité dans la vérité. Seul un esprit de concorde, qui dépasse les divisions et les conflits, permettra à l’humanité d’être véritablement une seule famille, jusqu’à concevoir un monde nouveau avec la constitution d’une Autorité publique mondiale, au service du bien commun.

[Traduction non officielle]
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ZENIT Staff

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