Le trépied de la démocratie, décryptage de Mgr Dubost

« Il est absolument nécessaire que la liberté d’expression existe »

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« Il est absolument nécessaire que la liberté d’expression existe », déclare Mgr Dubost. Ce qui est en jeu: rien moins que la stabilité de la démocratie. Il insiste sur la promotion du dialogue comme réponse à la tuerie: « La manière d’éviter cela, c’est de montrer que nous avons besoin les uns des autres. »

Au sortir de l’audience générale du mercredi et de la rencontre avec le pape François, hier, 7 janvier, en la salle Paul VI du Vatican, quatre imams français engagés dans le dialogue interreligieux ont condamné de façon unanime l’attentat de Paris. Ils ont rencontré la presse en fin d’après-midi à l’ambassade de France près le Saint-Siège, aux côtés de Mgr Michel Dubost et du P. Christophe Roucou.

Mgr Dubost, évêque d’Evry-Corbeil-Essones, est président du Conseil pour les relations interreligieuses de la Conférence des évêques de France (CEF) et le P. Roucou est directeur du Service national pour les relations avec l’islam (SRI).

Penser aux victimes
« Quelles que soient les autres considérations, il faut penser aux victimes, à leurs familles, à tous ceux qui ont eu des discours interrompus parce que la mort a surgi de manière imprévue », a déclaré d’emblée Mgr Dubost.

Puis, il a évoqué la démocratie, en danger: « La deuxième chose, c’est que notre démocratie repose sur trois pieds: le vote, l’information et le dialogue social et au fond l’entraide sociale. Un attentat comme celui qui a eu lieu tout à l’heure, risque mettre en cause le « pied » information et nous pensons tous que c’est insupportable. Il faut absolument pour que la démocratie existe que la liberté d’information existe, même si – vous pouvez vous en douter – nous ne sommes pas d’accord avec tout ce que disait Charlie Hebdo. N’empêche, il est absolument nécessaire que la liberté d’expression existe et je crois que je représente mes confères en disant cela. »

Comment réagir
« Et comment réagir ? », s’est demandé Mgr Dubost: « Evidemment il y a ceux qui diront : il faut réagir de manière violente. Qu’il y ait des précautions supplémentaires, je crois que c’est de l’ordre de la responsabilité de l’Etat, et je pense que personne n’est contre cela. Mais nous, notre mode de réaction, c’est fondamentalement de dire : puisque c’est le trépied de la démocratie qui est en cause, il faut le renforcer et le renforcer en nous rencontrant, en nous tendant la main. »

Il déplore les enfermements qui créent la peur: « Je veux dire que tant que l’éducation, la manière de vivre fait que chacun est dans son coin, on finit toujours par avoir peur de l’autre. On risque toujours de dire du mal de l’autre et, à ce moment-là, des fous, s’appuyant sur cette peur et sur le mal que l’on dit, risquent de faire des crimes épouvantables. Donc, il nous faut montrer, à temps et à contre temps – et pas simplement montrer, vivre – une amitié avec les autres. Il me semble qu’on était complètement d’accord entre nous : notre réaction est de dire qu’il faut renforcer tous les dialogues. Le dialogue interreligieux mais aussi le dialogue dans sa maison, mais aussi le dialogue dans sa ville, mais aussi le dialogue politique. Personne ne peut se sentir exempt de cette réflexion. »

A propos de la tuerie, il ajoute: « La manière d’éviter cela, c’est de montrer que nous avons besoin les uns des autres. »

De l’Inquisition ou de la façon de parler de l’autre
Mgr Dubost a établi une analogie entre les chrétiens auxquels on reproche encore aujourd’hui l’Inquisition ou l’apartheid et les musulmans auxquels on reproche aujourd’hui le terrorisme des islamistes: « Quand, pendant une large part de ma vie, j’ai été attaqué sur l’Inquisition ou sur l’apartheid, je trouvais cela très blessant, parce que je n’étais pour rien dans l’Inquisition et pour rien dans l’apartheid et que c’était tout à fait contre mes valeurs. Et chaque fois qu’on m’interrogeait là-dessus, je me disais : « Mais enfin, où sont les croisades ? » Il y a un moment où l’on dit: « Assez ! » Et quand j’entends les gens qui attaquent les musulmans sur des choses qui ne me semblent pas vraie, j’ai envie de dire : « Assez ! On ne peut plus continuer comme cela. » Cela nous interroge tous, les media, la manière dont on parle… »

Il pose aussi la question de la façon de vivre la laïcité aujourd’hui en France: « La deuxième chose qui me semble importante : ce qui s’est passé va faire date, cela doit nous interroger sur la manière dont nous vivons la laïcité. Pour un certain nombre de gens aujourd’hui, la laïcité est « contre la religion ». Et, du coup, on a des religieux qui sont « contre la laïcité ». La Laïcité, cela suppose qu’on respecte ce que les gens pensent, qu’ils puissent l’exprimer en public sans que cela ne pose de problème. Que Charlie Hebdo a le droit d’exposer en public, sans que cela pose de problème, même des choses qui me blessent, mais, après tout, ils sont libres. Mais en même temps, il faut que les autres aussi puissent exprimer en public ce qui est leur foi. Par contre, l’Etat doit être neutre. Et d’une neutralité intelligente. C’est-à-dire que l’on ne peut pas se battre pour trois crèches et des choses comme cela… Mais il est clair que l’Etat doit être neutre. C’est tout à fait différent. »

Faire comprendre la religion de l’autre, dès le lycée
Il aborde la question de la connaissance de la religion pour les jeunes des établissements scolaires de l’Education nationale: « Il me semble que dans la formation, dans l’Education Nationale (…). Aujourd’hui, une partie de la laïcité repose sur une ignorance crasse qui engendre, paradoxalement, des extrêmes. Et je crois que l’Education Nationale, devant un tel crime, doit se dire : « Mais qu’est-ce que je fais pour faire comprendre aux uns et aux autres la religion de l’autre ? » Ou l’athéisme de l’autre, ou l’agnosticisme de l’autre. La laïcité n’est pas ignorance, n’est pas refus de la question. Or, le refus de la question conduit à la violence. Il me semble que l’un des points très important c’est cela. Il faut continuer ce que l’on fait. Cela semble toujours trop petit… »

Il a cité cette nouvelle initiative inspirée par une fête libanaise: « Vous savez qu’au Liban il y a une fête nationale qui relie musulmans et catholiques autour de la Vierge Marie. Au Liban c’est le 25 mars, qui est devenu un jour férié. Nous allons essayer de le faire en France : on va faire une première expérience à Longpont-sur-Orge cette année, le 22 mars, de manière à ce qu’on ait une fête commune de Marie, avec des musulmans. »

L’évêque a cité aussi le pèlerinage aux « Sept Dormants » promu, dès 1954, par l’islamologue Louis Massignon, professeur au Collège de France, qui voulait promouvoir « une paix sereine en Algérie », et lançait une rencontre interreligieuse, greffée sur une fête patronale bretonne – un « pardon » – dédiée aux Sept Dormants d’Éphèse, aussi connus par les musulmans sous le nom des Ahl al-Kahf – « Gens de la Caverne ».

Des initiatives républicaines et de voisinage
Il ne cache pas les difficultés du dialogue, mais propose des voies simples de dialogue: « L’une des difficultés, c’est que nos concitoyens religieux peuvent être de grands intellectuels et vous en avez parmi nous ici, et d’autres ont une religion « populaire ». Et vous pouvez faire tous les discours possibles, ce n’est pas comme cela que vous faites avancer les choses. Il faut trouver des fonctions symboliques. Je pense qu’il faut relancer des méchouis, des rencontres de musique : il ne faut pas simplement faire des rencontres « d’intellos », si vous me permettez l’expression. »

Il suggère une mobilisation républicaine: « Ce que je constate, c’est que, indépendamment de nous – j’ai eu des
nouvelles cet après-midi – il semble qu’en Essonne, un certain nombre de municipalités aient décidé de faire demain des rencontres de protestation. Et j’invite tous les chrétiens à y participer avec force. Je pense que les musulmans y participeront avec force. Mais je trouve que c’est bien que les maires prennent conscience que c’est un problème de la République et de la démocratie.

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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